Libéralisme économique

From Liberpédia

par François Guillaumat

Libéralisme économique est le nom que certains praticiens confus de la science politique donnent à la philosophie politique libérale telle que la prônent les économistes.

Libéralisme économique et libéralisme politique

Pour dégager la notion de libéralisme économique, il faut d’abord élucider ses rapports avec ce qu’on appelle « libéralisme politique ».

Le libéralisme dit « politique » recherche l’organisation politique capable de promouvoir la liberté et débat donc d’abord de questions institutionnelles : s’il a besoin de connaître son but, il ne se soucie pas principalement de le définir. C’est donc une branche appliquée de la science politique, un art qui se fonde sur la connaissance de l’histoire, seulement éclairée par la logique de la stratégie et par celle de la philosophie politique ; il porte par conséquent sur un objet différent de cette dernière, qui se soucie d’abord de définir la justice après avoir étudié la nature des rapports entre les hommes et leurs productions, et bien avant de s’interroger sur les conditions politiques qui pourraient lui permettre de régner.

Nous allons voir que le libéralisme économique est plus proche de la philosophie politique, puisqu’il porte constamment sur le même objet. Mais il ne se confond pas pour autant avec elle ; on peut même dire que le libéralisme économique n’existe pas en tant que discipline intellectuelle, comme existent la science économique et la philosophie politique. Le « libéralisme économique » est plutôt un mouvement ou plutôt une tradition telle que l’ histoire des idées politiques peut la décrire. Et si on l’appelle « économique », c’est parce qu’il est principalement mené par des économistes et inspiré par la science économique, même si ce ne peut être que par le truchement crucial d’un jugement de valeur.

Science économique et philosophie politique

La science économique est purement descriptive et ne peut pas en tant que telle fournir de normes, mais :

— pour exister en tant que science elle doit présupposer comme normes la recherche de la vérité et le respect de la rationalité d’autrui, c’est-à-dire deux fondements de la philosophie libérale elle-même — tout savant qui n’est pas libéral est pris dans la contradiction de nier implicitement une condition préalable de la science ;


— pour exister en tant que science économique, elle doit reconnaître sa raison d’être qui est de distinguer les actes créateurs des actes de destruction — et il s’agit bien de n’importe quelle création et non pas seulement de production matérielle ou marchande, les malentendus à ce sujet n’étant que de mauvaises raisons pour disqualifier la science économique là où elle pourrait être nécessaire ;
— pour procéder à une analyse quelconque de l’action humaine, elle doit postuler que les êtres humains comptent pouvoir disposer de certaines ressources pour réaliser leurs projets ; à ce titre, il est contradictoire de postuler certains Droits de propriété pour pouvoir logiquement définir des situations théoriques, puis de faire comme si ces Droits n’existaient pas quand il s’agit de juger les politiques et les institutions.
— il se trouve que tout acte juste est créateur, alors que tout acte injuste est destructeur : les solutions pratiques de la science économique sont les mêmes que celles de la philosophie politique.

Tout acte juste est créateur, tout acte injuste est pure destruction

En effet :

— Toute réaffectation volontaire de son patrimoine par un propriétaire légitime lui donne davantage de valeur, ne serait-ce qu’à ses yeux ; de même, dans tout échange volontaire, où par définition personne ne vole personne, chacun donne plus de valeur à ce qu’il reçoit qu’à ce qu’il donne en échange : ces deux types d’actes sont donc par définition productifs, créateurs de valeur. Rothbard a démontré le caractère nécessaire et suffisant de ces relations.
— En revanche, toute injustice, toute violation de la propriété naturelle, détruit le lien entre le porteur d’un projet et ses possessions, qui donnait leur valeur à ces dernières ; en outre toute remise en cause de la propriété, sur quelque richesse que ce soit, met en branle un processus de rivalité pour le butin où, en tendance, les efforts faits pour s’emparer de l’enjeu consomment de la richesse à la hauteur de celle qui a été ou sera volée — c’est la Loi de la destruction totale, aussi appelée Loi de Bitur-Camember. « Mettre en cause la propriété c’est la détruire » est donc une proposition vraie dans tous les sens du terme, le sens économique comme le sens juridique.

Pourquoi tant de libéraux sont économistes

Cette correspondance entre acte juste et acte productif, entre injustice et destruction, explique que l’économiste compétent qui n’est pas libéral est un cynique, ou alors déteste ses semblables. Elle peut aussi expliquer pourquoi si peu de libéraux ne sont pas économistes, pourquoi si peu de philosophes politiques, ou soi-disant tels, échappent à l’erreur s’ils ne sont pas économistes : dans la mesure où ils ignorent cette logique de l’action qu’est la théorie économique, ils sont incapables d’identifier et de juger certaines incohérences éventuelles impliquées par leurs principes, alors que la cohérence logique est le critère du vrai dans leur domaine de compétence supposée.

Il est vrai que tout grand philosophe qui a su réfléchir aux notions de création, de violence, de destruction, de consentement, de responsabilité, est capable de retrouver la propriété naturelle comme critère ultime de justice ; cependant, tout philosophe n’est pas assez « grand » pour cela, et c’est au moins le cas de tous ceux qui sont tombés dans les pièges de la sophistique étatiste, parce qu’elle leur présentait une causalité sociale fausse qu’ils n’avaient pas appris, comme ils l’auraient dû, à démasquer comme telle :

  • un exemple en est la « Doctrine sociale de l’Église », dont les partisans peuvent se méprendre gravement sur les relations causales qui existent, ou qui n’existent pas dans la société.
  • Un autre exemple se trouve chez les spécialistes de science politique et autres répétiteurs en philosophie, qui prennent pour de la « philosophie politique » une glose superficielle des écrits de gens qui passent pour des penseurs politiques, alors que les principes fondamentaux de ces auteurs se contredisent souvent entre eux, voire au sein de leurs propres écrits.

Ne pas faire de la cohérence des principes l’alpha et l’oméga de la pensée politique normative, c’est n’en avoir aucune, et d’autant plus irrémédiablement qu’on entretiendrait des illusions à ce sujet.

C’est pourquoi, dans la pratique, la plupart des gens deviennent libéraux en apprenant la science économique :

  • parce que celle-ci donne d’abord l’occasion de se rendre compte que certaines politiques ou institutions de l’étatisme n’ont pas l’effet que leur prêtent leurs partisans, mais le plus souvent un effet inverse
— évidemment parce que ces politiques sont imposées par la force, et que l’emploi de la force impose des contraintes supplémentaires aux actes productifs tout en niant, et en empêchant de s’exprimer, la rationalité des producteurs qui est la source de cette production
— et tout autant parce que, les lois de la causalité sociale et politique étant ce qu’elles sont, ce ne sont pas les intentions proclamées mais les rapports de force qui déterminent les politiques réelles, et ce n’est pas la loi mais la spécificité des facteurs de production qui détermine l’incidence des charges et des butins de la redistribution politique.
— On trouve une illustration de ces effets dans toutes ces politiques qui volent les pauvres pour donner le butin à des riches alors qu’on prétend et que l’on croit le contraire ; les politiques économiques et sociales, parce qu’elles déresponsabilisent ceux qui les font comme ceux qui les subissent, donnent naissance à une illusion systématique quant à leurs effets réels, dont le discours public ne tient pas compte pour l’essentiel.
  • ensuite, parce qu’elle permet de démontrer qu'aucune de ces politiques et institutions ne peut avoir l’effet que leur prêtent, ou font semblant de leur prêter, ceux qui les approuvent — notamment parce que :
l’argent public finit toujours dans des poches privées, parce que
la redistribution politique est toujours faite par les puissants, aux dépens des faibles, et parce qu’
il n’y a jamais de profit certain : de sorte que toute politique redistributive doit nécessairement, si elle y était seulement jamais parvenue pour un temps, finir par échouer complètement dans son but de voler les uns au profit des autres ;
  • enfin, ayant entrepris de lire les auteurs qui affirmaient cela depuis des lustres, on finit par trouver les raisonnements qui rappellent que si ces politiques, si ces institutions étatiques ne peuvent pas faire ce que tout le monde croit « bien » et ne font que le « mal », c’est parce qu’elles sont injustes, c’est-à-dire délictueuses et criminelles.
« Rappellent », parce qu’on aurait dû le savoir depuis toujours : si elles le sont, injustes, délictueuses et criminelles, c’est parce que par définition, les puissants y exercent contre les faibles une violence agressive. Elles violent donc nécessairement la justice naturelle telle que chacun la connaît et la reconnaît comme telle dans sa vie normale, c’est-à-dire quand il ne se rêve pas en homme de l’état.

Ces deux faits : que tout emploi agressif de la force est pure destruction, sans aucun profit réel pour personne, et que la plupart des gens qui s’opposent à l’injustice sont ceux qui ont compris cela, explique que persiste la notion du Libéralisme économique comme doctrine, notion de pure science, voire de sociologie politique mais qu’un raisonnement de philosophie politique ne permet pas de conserver — puisqu’en tant que mouvement politique celui-ci n’a pas de pensée distincte de la philosophie politique libérale, et qu’en outre celle-ci peut logiquement se passer de lui même si, en pratique, on voit bien que seuls les grands philosophes y parviennent.

C’est aussi ce qui explique ce paradoxe qu’ un bon économiste peut être un bien meilleur philosophe politique qu’un philosophe moyen'. C’est parce que l’objet de leurs études respectives — les conséquences de la pensée et de l’action et leurs solutions pratiques — est le même : de sorte quon peut se servir des raisonnements de l’une pour compléter l’autre ou pour la vérifier : pour identifier à chaque étape les erreurs de raisonnement de l’une à l’aide d’un raisonnement correct formulé dans l’autre.

C’est enfin ce qui explique qu’on prête à la science économique une capacité à justifier le libéralisme qui n’existe en fait que si on associe à ses conclusions, lesquelles sont purement descriptives, des énoncés normatifs qui ne lui sont pas propres — même si, comme toute science, elle doit les présupposer.

Le Libéralisme économique n’existe donc pas en tant que doctrine distincte, mais traduit seulement deux convictions des économistes à condition qu’ils soient compétents :

— un énoncé normatif emprunté à la philosophie — morale et métaphysique : il est bon de créer et mauvais de détruire ;
— un énoncé descriptif issu de la science économique proprement dite, en ce qu’elle se rapporte à sa raison d’être : la violence est pure destruction, de sorte que la violence ne peut servir la création que dans la mesure où elle s’oppose à une autre violence qui est, elle, destructrice.

Dénaturer les concepts politiques normatifs est l’arme numéro 1 du socialisme pseudo-démocratique

L’apport premier de la science économique consistera à dissiper les fausses définitions et les faux concepts qui abondent à ce sujet dans la sophistique étatiste, et qui constituent l’arme principale du socialisme pour violer la justice naturelle en dénaturant le Droit. En particulier,

— le métier de l’économiste est d’apprendre à distinguer les actes créateurs des actes destructeurs, et celui qui n’a pas appris à le faire révèle son incompétence : ainsi, du socialiste Schumpeter qui parlait de « destruction créatrice » à propos d’une création de richesse — par les entrepreneurs — qui ne fait que rendre moins nécessaires ses substituts. Rendre moins rare une classe d’objets, cela peut abaisser la valeur de chacun, mais cela les laisse intacts, et ne les met pas moins mais davantage au service des projets de qui que ce soit : c’est la raison d’être même de la création, qui est toujours l’inverse de la destruction.
— le métier de l’économiste implique aussi d’avoir appris à distinguer la violence de la non-violence, et la violence destructrice de la violence contre-destructrice — défensive ou réparatrice. La violence agressive est destructrice, la non-violence et la violence défensive et réparatrice servent la création — c’est une autre manière de dire que les actes justes sont créateurs, alors que les actes injustes sont pure destruction.

Le « libéralisme économique » rejoint évidemment à ce titre le corps central de la philosophie politique libérale dans sa définition d’un acte violent comme privant un autre de ce qu’il possédait, c’est-à-dire de ce dont il disposait pour servir ses projets.

Une arme essentielle de la sophistique étatiste consiste à dénaturer cette définition, pour rationaliser la violence prédatrice des hommes de l’état :

1.— en cherchant à la faire passer pour « non-violente » : ce sont le mythe d’un contrat social distinct des contrats réellement conclus qui constituent la société civile, et le mythe de la représentation qui appartient à la religion pseudo-démocratique et socialiste, et au prétexte duquel les puissants parlent et agissent comme s’ils avaient le Droit de décider de tout à la place des citoyens, sous prétexte que les élus les « représentent », comme si leur « droit de vote » valait ce que les hommes de l’état leur volent sous ce prétexte.
La réalité est au contraire que le prétendu pouvoir que donne le bulletin de vote est en fait infinitésimal, en pratique imperceptible — c’est pourquoi les spécialistes parlent de l’« irrationalité du vote », alors que le vote quotidien, incessant sur le marché, l’exercice permanent de sa souveraineté par le citoyen en tant qu’acheteur et vendeur est à 100 % efficace, parce que chacun y obtient exactement ce qu’il veut dans la mesure du possible, d’abord pour lui-même parce qu’il repart avec ce qu’il a réellement choisi, et pour la société parce qu’il y influence les procédures de décision dans la mesure exacte de l’enjeu que cela représente pour lui.
L’objection comme quoi la pseudo-démocratie socialiste serait juste parce qu’elle serait « égalitaire » énonce le contraire exact de la vérité : il se trouve que la seule égalité réalisable est l’égalité politique : que personne ne s’impose à personne, de sorte que personne ne dispose de personne contre sa volonté, ne s’en serve comme d’un instrument ou d’un esclave ; or, cette égalité-là, la seule qui soit conforme à la justice, ses soi-disant « représentants » la violent systématiquement en usurpant le pouvoir de décision des citoyens, et son socialisme en instituant des castes de parasites sociaux aux dépens de producteurs contraints de les entretenir.
La vraie démocratie, c’est le marché : le « peuple » ne peut vraiment décider que lorsque chacun des citoyens décide effectivement lui-même de tout ce dont il est humainement possible de décider directement. Par conséquent, tout progrès de l’étatisme usurpe le pouvoir des citoyens et détruit la démocratie : le socialisme est incompatible avec la démocratie réelle définie par le seul principe qui puisse la justifier — que chacun a le Droit de décider des affaires qui sont les siennes.
2. — en reconnaissant la violence du pouvoir d’état mais en la prétendant défensive ou « réparatrice », c’est-à-dire en faisant passer pour des « agresseurs » ceux qui ne le sont pas, afin d’empêcher qu’on reconnaisse et combatte comme tels ceux qui le sont : l’étatiste pseudo-conservateur accusera de « concurrence déloyale » des offreurs qui n’emploient ni la force ni de la tromperie, et le marxiste parlera sans preuve d’« exploitation capitaliste » ; les deux parleront d’« abus de position dominante ». Tous faux concepts sophistiques et mensongers, dont la seule raison d’être est de falsifier l’interprétation morale d’un exercice paisible du Droit de propriété, pour pouvoir violer plus facilement ce dernier.
Tous ces faux raisonnements ne changent rien au fait qu’ on n’est pas un voleur quand on n’est pas en voleur alors qu’en revanche, on est un voleur quand on est un voleur — et l’étatisme, c’est le vol.

Les soi-disant « économistes » qui acceptent les fausses notions de la pseudo-démocratie socialiste sont des charlatans : de même qu’un philosophe politique, un économiste qui n’est pas libéral est un imposteur, soit qu’il mente sciemment, soit qu’il prétende à une compétence qu’il n’a pas.

On remarquera que le sophisme de la pseudo-« démocratie représentative », de même que celui de la « justice du socialisme », dénaturent l’un et l’autre la notion de consentement, pierre angulaire du raisonnement normatif en droit comme en économie : l’un et l’autre postulent son existence là où il ne peut pas y en avoir, c’est-à-dire en dehors des deux conditions sans lesquelles il n’a pas de sens :

— un acte effectif de la pensée qui acquiesce à la décision et
— un objet concret sur quoi cet acte puisse légitimement porter, c’est-à-dire une propriété dont vous ayez le Droit de disposer, et dont l’usage que vous en faites ait des conséquences réelles pour vous.

Contrairement à toute une tradition absurdiste d’« unanimité » au sens collectiviste, celle où tout le monde devrait demander la permission à tout le monde pour faire quoi que ce soit, je ne peux pas « consentir » à ce qu’un autre fasse ce qu’il veut de ce qui est à lui, parce que je n’en ai pas le Droit.

De même, je ne saurais « consentir » à ce que d’ autres fassent ce qu’ils veulent avec ce qui n’est pas à eux, comme l’implique le prétendu « droit de vote » de la pseudo-démocratie socialiste, parce que ni moi ni eux n’en avons le Droit.

Toute conception valide du « consentement » dépend logiquement de la notion de propriété, de sorte que toute notion d’« unanimité » qui ne réfère pas à une définition préalable de qui a le Droit de consentir et à quoi, est un tissu de contradictions qui produit automatiquement la confusion et l’arbitraire.

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