La rationalité comme seul critère de distinction entre les normes politiques

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Par François Guillaumat

Ceci est une suite de mes réflexions sur les rapports entre le conservatisme et le libéralisme, étendues depuis aux autres dénominations de la norme politique.

Pourquoi, pour condamner les utopies qui inspirent le protectionnisme, parler de « pseudo-conservatisme » et non de « conservatisme », de « pseudo-corporatisme » et non de « corporatisme » ? C'est que, de même que pour le nationalisme, il faut tenter de sauver au maximum le principe avant de le condamner. Si on se borne à analyser le sens des mots, le « conservatisme » n'est pas plus ni moins justifié que le libéralisme, puisqu'on peut les interpréter comme de simples aspirations non raisonnées, subjectives, l'une à « la liberté », l'autre à « la conservation » ; de même, du « traditionalisme », ou de l'affirmation « identitaire » : en donnant un autre nom à cette aspiration, il arrive que l'on juge y avoir assez réfléchi. C'est d'ailleurs, d'après le subjectivisme ambiant, la « sensibilité » qu'ils seront censés « exprimer » ; il y a d'autres aspirations de ce genre, comme « combattre les abus des puissants », la « démocratie », le « progrès social », « secourir les pauvres » ou « protéger la nature » — qui n'est d'ailleurs a priori qu'une variante de la « conservation de ce qui est ».

Ces aspirations se heurtent évidemment à des contraintes de fait, dont certaines sont insurmontables, comme les lois de la nature et leur émissaire, les lois de la logique : si à partir de l'objectif que l'on s'est donné, on ne parvient pas à identifier l'acte « juste », défini comme celui qui en rapproche, on est assuré de ne pas l'atteindre.

Par exemple, on ne peut pas en rester à une définition du « libéralisme » comme aspiration subjective au desserrement des contraintes, parce qu'on ne peut pas en faire une norme politique : toute norme politique implique le droit de défendre celle-ci par la force et peut, droit donc s'exprimer en termes de contraintes violemment imposées. Un libéralisme radical, c'est-à-dire pensé jusqu'au bout, doit donc être tout le contraire de l'anomisme des anarcho-communistes, qui poussent jusqu'à ses conséquences absurdes l'aspiration subjective à la « liberté ». C'est forcément, comme toute philosophie politique, un système d'interdictions absolues, puisque la première exigence d'une définition cohérente de la norme politique, c'est de reconnaître son caractère nécessaire de contrainte.

Vouloir l'impossible conduisant à l'échec, on finit donc parfois par se rendre compte qu'il faut exprimer ses aspirations par des concepts normatifs cohérents. Et dans la mesure où il s'agit de politique, de principes politiques cohérents.

Or, il n'existe qu'un seul principe politique cohérent, c'est la non-agression ou propriété naturelle ou politique du Décalogue, que nous appelons, nous, libéralisme. On peut démontrer directement la propriété naturelle à partir de l'interrogation spécifiquement politique sur

« Qui a le Droit de faire quoi, et quand, et dans quelles circonstances »,

qui équivaut à se demander, en prenant évidemment pour test de la vérité et de l'erreur celui qui est nécessaire et suffisant en philosophie politique, la norme de la cohérence logique (qui équivaut à celle de l'universalité) :

« Quels sont les principes de la propriété légitime » ?

À cette question, il n'y a qu'une réponse cohérente :

« On est propriétaire légitime de ce qu'on a pas volé, c'est-à-dire pris à un autre contre son consentement »

Il s'ensuit que la seule norme politique rationnelle consiste dans l'interdiction du vol entendu au sens large, avec ses tenants et aboutissants :

—tu ne désireras pas injustement le bien d'autrui ;
—tu n'assassineras pas ;
—tu ne feras pas de faux témoignage ;
—tu ne mentiras pas.

En conséquence, toute tentative construite, réfléchie, pour formuler une aspiration quelconque dans le domaine politique doit, si elle a éliminé toutes les contradictions, nécessairement déboucher là-dessus, et là-dessus seulement : en tant que principe politique, la non agression est universelle et exclusive de toute autre. De sorte qu'un conservatisme véritablement pensé doit être équivalent au libéralisme raisonné, de même que l'égalitarisme, la démocratie, l'écologisme, le progressisme, le solidarisme, le corporatisme, etc. Il n'y a qu'une seule norme politique justifiée, une seule manière de la découvrir : la cohérence logique. En revanche il existe pour y parvenir une multitude de points de départ possibles, dont les diverses aspirations subjectives légitimes, celles dont on n'a pas reconnu en cours de réflexion qu'il fallait les abandonner complètement ; et de ce fait il existe plusieurs dénominations acceptables, traduisant ces aspirations légitimes-là. La seule vraie question qu'il faut poser, parce que c'est la seule distinction réelle, est :

« la norme politique choisie est-elle subjective ou raisonnée ? Cohérente ou contradictoire ? Pensée ou non pensée ? »

Il peut donc exister :

—un conservatisme cohérent qui voit dans les seules violations du Droit les changements qu'il faut proscrire,
—un écologisme cohérent qui reconnaît qu'il n'y a pas de richesses naturelles et qu'on ne peut être pollué et faire condamner la pollution que si on a des Droits sur la chose polluée ;
—un progressisme cohérent qui a reconnu comme condition du progrès que :
« ceux qui pensent soient libres des ingérences de ceux qui ne pensent pas » (Ayn Rand) ;
—un égalitarisme cohérent qui a compris que la seule « égalité » concevable et réalisable, c'est que personne ne s'impose à personne par la force,
—un solidarisme pensé qui ne confond pas la solidarité et le vol, sachant que les seules « solidarités » que crée le pillage institutionnel sont la solidarité entre les victimes et la solidarité entre les voleurs ;
—une aspiration à la démocratie qui a compris qu'une condition nécessaire pour que « le peuple » se gouverne « lui-même », c'est que chacun fasse ce qu'il veut avec ce qui est à lui, le marché étant à ce titre cent mille fois plus démocratique que n'importe quel simulacre de « représentation » ; et que donner à une caste le pouvoir de dominer les autres contredit la définition même de la démocratie, en introduisant une opposition entre « le peuple » qui gouverne et « lui-même » qui subit ce gouvernement.
—De même, il peut y avoir un corporatisme cohérent qui, affirmant souhaiter « l'auto-organisation de la société », a reconnu que celle-ci ne peut passer que par des contrats, volontaires, parce qu'imposer une distinction quelconque entre « organisateurs » violents et « organisés » qui les subissent viole le principe de sa définition, en créant une distinction contradictoire entre l'« auto » qui prétend organiser et « la société » qui est censée l'être, et en instituant l'irresponsabilité, destructrice de la régulation sociale.

Encore une fois, la seule vraie distinction, la seule opposition radicale, le seul critère de choix et la seule cause d'élimination tient à la question :

« la norme politique choisie est-elle subjective ou raisonnée ? Cohérente ou contradictoire ? Pensée ou non pensée ? »

C'est pourquoi il ne peut pas y avoir d'« anti-libéralisme » qui soit logique. Il y a des discours incohérents, ou des critiques justifiées d'un pseudo-libéralisme contraire à la propriété naturelle. Et on n'a pas non plus à combattre en tant que tels le conservatisme, traditionalisme, progressisme, solidarisme, écologisme, etc. puisqu'on peut traduire ces aspirations légitimes en une norme — en la norme politique cohérente.

À l'inverse, tout énoncé politique normatif incompatible avec cette norme-là est forcément faux, aveugle aux lois de la nature, contradictoire, et contraire à l'aspiration affichée par ses partisans. En somme, c'est une pseudo-norme. Donc, de même qu'il existe

—un pseudo-libéralisme qui méprise la propriété et qui n'est de ce fait qu'un pseudo-anarchisme libertaire, et
—un pseudo-libéralisme démocrate-social, semi-esclavagisme authentique qui proscrit comme extrémistes tous ceux qui ne partagent pas ses croyances,

il existe

—un pseudo-« écologisme » socialiste et de ce fait fanatiquement gaspilleur,
—un pseudo-« nationalisme » protectionniste et de ce fait saboteur de l'intérêt national,
—un pseudo-« solidarisme » qui vole les faibles au profit des puissants,
—une pseudo-« démocratie » qui prend prétexte de votre prétendu « droit » de vote pour affirmer, contre l'évidence, que vous auriez acquiescé aux usurpations du pouvoir social par les hommes de l'État (et qui dénonce comme populistes ceux qui critiquent ces usurpations[1]),
—un pseudo-« corporatisme » monopoliste donc destructeur, déresponsabilisant et de ce fait contraire à l'intérêt des métiers,
—un pseudo-« conservatisme » utopique et de ce fait contraire à sa première vertu présumée, qui est de partir du réel existant.

Voyons, à titre d'exemple, comment ledit « conservatisme » se heurte aux lois de la réalité (et peut devenir « pseudo » à chacune des ces occasions).

—La première loi de la réalité, c'est qu'il y a des lois de la nature qui rendent certains changements inéluctables comme elles en rendent d'autres impossibles. Une aspiration conservatrice, ou traditionaliste, ou « identitaire », qui veut empêcher des changements naturels est donc vaine et purement destructrice. Si le pseudo-« conservateur » veut à ce titre forcer les autres à réaliser cette utopie, la seule limite aux violences qu'il exercera contre eux en pure perte réside dans les bornes de son pouvoir. Et plus cette norme aura fait de dupes, et plus il en aura.
—La deuxième loi de la réalité, c'est qu'on ne peut à la fois préserver le Droit et figer la société en l'état, et que de ces deux ambitions seule la première est pensable : vouloir réaliser l'autre n'exige pas seulement l'abolition de tous les Droits de propriété existants au profit exclusif des hommes de l'État (ce que Ayn Rand appelle le Moratoire sur les cerveaux : elle exigerait aussi qu'on arrête l'opération des lois naturelles de notre monde sublunaire, qui sont celles de la genèse et de la corruption : or, on ne peut évidemment pas empêcher cette genèse et cette corruption, seulement créer et organiser pour en combattre les effets ; mais cela, un Moratoire sur les cerveaux l'empêcherait certainement.
—En outre, étant donné que toute richesse est produite par quelqu'un et appartient à quelqu'un (Ayn Rand), la propriété naturelle est toujours première. La violer est une innovation radicale dans l'ordre social, qu'on a bien le droit de trouver contradictoire avec l'ambition d'« empêcher le changement » (ces trois types de contraintes sur le raisonnement sont évidemment liées).

Il s'ensuit naturellement que, si on veut « conserver » quelque chose de l'ordre social, on ne peut le faire que des Droits de propriété légitime.

Les pseudo-conservateurs, qui ne veulent pas l'admettre, sont obligés de recourir à des pseudo-concepts, absurdes, pour camoufler leur désir de se dispenser des lois de la logique en ménageant la chèvre de leurs aspirations utopiques et le chou de leur reconnaissance verbale des Droits de propriété (à l'inverse des pseudo-progressistes qui dénoncent la propriété mais ne veulent pas se faire prendre en flagrant délit d'empêcher le progrès, ça ne gêne pas les pseudo-conservateurs de paraître empêcher le progrès, mais ils ont besoin de cacher, à eux-mêmes et à leurs dupes, qu'ils violent la propriété : d'où la prédilection des pseudo-conservateurs pour la réglementation par opposition à l'impôt, qui vole de façon trop voyante et trop explicite).

—Par exemple, « empêcher les abus » de la propriété. Cette notion évoque notre expérience subjective de n'avoir pas aimé l'usage que tel ou tel a fait un jour de ses possessions légitimes. Mais elle est contradictoire : le droit de propriété existe, ou n'existe pas : vouloir « limiter » l'usage que Tartempion fait de son bien, c'est s'en déclarer soi-même propriétaire. Dans ce cas, à qui appartient-il ?
—De même, prétendre « limiter » la propriété équivaut à vouloir couper la cinquième patte à tous les lapins. La propriété est là, précisément, pour poser la limite de ce que j'ai le droit de faire et pas toi. Elle est elle-même limite. Vouloir la « limiter » en sus, c'est la nier dans son essence — dans la pratique, la livrer à l'arbitraire des puissants et autoriser n'importe quelle confiscation qui évitera de dire son nom.


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