Humanisme et constructivisme

From Liberpédia

L’humanisme consiste à considérer les être humains comme des êtres humains : des individus qui ont tous les mêmes droits, sont responsables de leurs actes et ont leurs propres raisons d’agir. Le constructivisme, au contraire, consiste à nier la rationalité, la responsabilité et les droits d’autrui, et donc à traiter les êtres humains non comme des êtres humains, mais comme des objets.

Nous avons souligné dès le début qu’il existait deux visions de la société, une vision mécaniciste et une vision humaniste. Bien évidemment, la première vision est celle des constructivistes. Mais nous le savons, les libéraux pragmatiques ou utilitaristes sont également proches de cette vision : ils se fixent des objectifs collectifs, mais ils considèrent que, d’un point de vue pratique, il est parfois préférable de laisser faire les individus. Comme Friedrich Hayek l’a souligné, la véritable distinction n’est pas la distinction habituelle entre les socialistes et les conservateurs (ou la droite et la gauche), mais entre les constructivistes et les libéraux, c’est-à-dire entre ceux qui pensent possible de « construire » une société et ceux qui pensent qu’il faut laisser agir les individus sans que l’on puisse savoir ce qu’il en résultera.
Pascal Salin, Libéralisme, ch. 1.
La supériorité du capitalisme sur le communisme c’est qu’il n’a pas été nécessaire de l’inventer.
Coluche
The curious task of economics is to demonstrate to men how little they really know about what they imagine they can design. To the naive mind that can conceive of order only as the product of deliberate arrangement, it may seem absurd that in complex conditions order, and adaptation to the unknown, can be achieved more effectively by decentralizing decisions and that a division of authority will actually extend the possibility of overall order. Yet that decentralization actually leads to more information being taken into account.
Friedrich Hayek, The Fatal Conceit : The Errors of Socialism (1988), p. 76

Humanisme

Humanisme et égalité

En agissant sans demander leur avis aux autres, chacun se reconnaît ipso facto comme un être humain ayant le droit de faire ce qu’il veut avec ce qui est à lui, à commencer par son corps : chacun respire, parle et mange sans demander l’autorisation à autrui. (cf. la démonstration de Hoppe et la présentation des principes du Droit libéral)

Chacun reconnaît donc ce droit à soi-même : la question est donc de savoir s’il est cohérent et le reconnaît également aux autres, autrement dit s’il accepte l’idée d’un droit universel et commun à tous les êtres humains, ou s’il préfère simplement la loi du plus fort, ou s’il commet le sophisme d’auto-exemption

L’humanisme consiste à considérer que les êtres humains ont des droits parce qu’ils sont des êtres humains, et que dès lors ces droits sont les mêmes pour tous les êtres humains : c’est ce qu’on appelle l’égalité en Droit, ou plus correctement, l’identité des droits. Le même principe se retrouve dans la notion de Droits de l’homme bien comprise.

Humanisme et libéralisme

L’humanisme bien compris est donc synonyme du libéralisme bien compris : dans les deux cas, le principe de base est l’identité des droits entre les êtres humains.

Humanisme et responsabilité

Le corollaire du fait de respecter les êtres humains en tant que tels est de les considérer également comme responsables : un objet, une poupée, une chaise ou même un animal ne peuvent pas être tenus à rembourser des dégâts, et ne sont donc pas responsables de leurs actes.

Si, comme nous l’avons relevé, le constructiviste considère souvent lui-même comme un être humain et non le reste de l’humanité, dans le cas de la responsabilité c’est au contraire sa propre humanité qu’il nie :

  • Les politiciens ne sont pas responsables, puisque ce sont les autres qui devront supporter les conséquences de leurs actes : c’est l’irresponsabilité institutionnelle.

Constructivisme

Constructivisme et égalité

Le constructiviste au contraire ne reconnaît pas que les êtres humains ont des droits par le simple fait d’être des êtres humains. Ils peuvent tout au plus avoir des « droits » qui leur sont accordés par la loi, c’est à dire des privilèges, mais fondamentalement, le constructivisme implique nécessairement une inégalité : tous ne peuvent pas décider à la fois selon quel Plan construire le socialisme.

Ainsi, pour le constructiviste, les gens sont tous des imbéciles - sauf lui. Pour lui, les gens ne savent pas comment s’habiller, quoi manger, quelle couleur leur maison doit avoir, combien de fenêtres elle doit avoir, pour quel salaire travailler, comment choisir ses employés, quoi étudier à l’école, etc. Lui, non seulement il est certain qu’il sait tout cela pour lui, mais il est également persuadé qu’il le sait aussi pour tous les autres. Même les gens qu’il n’a jamais vus, il est convaincu qu’il sait mieux qu’eux-mêmes ce qui est bien pour eux.

Humanisme contre constructivisme

Le constructivisme est donc le contraire de l’humanisme : alors que l’humanisme considère les êtres humains comme des êtres humains, libres et responsables, le constructivisme consiste à considérer les êtres humains (ou plutôt tous les êtres humains à l’exception du constructiviste), comme des poupées, des jouets, bref des objets avec lesquels « on » peut construire ce que l’on veut, qui ne sont ni libres ni responsables, ni coupables de leurs crimes, ni méritoires de leurs vertus.

D’où bien sûr la notion de construction du socialisme, courante dans le bloc de l’Est, alors que le capitalisme, comme Coluche nous le rappelle ci-dessus, ne se « construit » pas : il est un état naturel des choses.

Pour le constructiviste, le monde peut se résumer à une partie d’un jeu vidéo tel que SimCity ou The Sims : il y a un nombre de paramètres limités, les réactions des individus à ses décisions sont préprogrammées et donc prévisibles, et lui-même est un dictateur omnipotent et immortel, arrivé là on ne sait comment, mais sachant mieux que les individus concernés ce qui est bien pour eux et ce que leur avenir doit être, et que les individus, justement, ne sont rien d’autre que des pixels qui bougent et qu’il peut donc diriger à sa guise.

Ainsi, un enfant qui joue avec des poupées peut décider librement :

  • Dans quelle maison Ken et Barbie vont habiter ;
  • Si Ken et Barbie peuvent ou non sortir ensemble, quelle peut être leur orientation sexuelle, etc. ;
  • Ce que Ken et Barbie peuvent manger, fumer, et boire ;
  • Quelles autres poupées Ken et Barbie peuvent inviter chez eux ;
  • Et bien sûr, comment Ken et Barbie doivent s’habiller.

L’humaniste est celui qui a compris que s’il peut certes être amusant de jouer ainsi avec des poupées, il n’a pas le Droit de jouer ainsi avec d’autres êtres humains, puisque lui-même reconnaît qu’eux n’ont pas le Droit de jouer ainsi avec lui (principe d’universalité des règles de justice et d’identité des droits).

Les économistes sont souvent humanistes, car leur compréhension de la réalité fait qu’ils peuvent difficilement ignorer que les paramètres ne sont pas limités et les décisions des individus ne sont pas préprogrammées, bref, que le socialisme, qu’il soit ou non une utopie souhaitable, est de toutes façons impossible.

Ne sont donc pas humanistes mais au contraire constructivistes ceux qui :

  • Réglementent le marché du logement et du terrain (zoning laws, autorisations de construire, demandes d’autorisation pour ne serait-ce qu’ajouter une fenêtre à sa maison, et évidemment, le même principe poussé à sa conclusion logique dans les pays plus communistes, attribution de logements par la corruption politique) ;
  • Prétendent décider de la vie sexuelle ou maritale d’autres êtres humains (lois sur le mariage, interdiction de l’homosexualité, interdiction du sexe avant le mariage, etc.) ;
  • Prétendent interdire ou réglementer l’usage de l’alcool, du tabac, des drogues, ou même de la nourriture trop grasse. La conclusion logique de ce genre de comportement est bien sûr de considérer les êtres humains comme une propriété ;
  • Prétendent décider à la place des propriétaires ce que ceux-ci peuvent faire avec ce qui est à eux, et donc qui inviter chez eux (discrimination) ;
  • Réglementent la façon de s’habiller, par exemple en voulant imposer l’uniforme scolaire.

Le constructivisme selon Hayek

Plus formellement, le constructivisme consiste en l’arrogance de croire savoir avec certitude quels choix sont les meilleurs, et la prétention d’avoir le droit de les imposer par la force, contre la préférence démontrée des libres choix individuels, et l’ordre spontané qui en émerge :

Rationalism in this sense is the doctrine which assumes that all institutions which benefit humanity have in the past and ought in the future to be invented in clear awareness of the desirable effects that they produce; that they are to be approved and respected only to the extent that we can show that the particular effects they will produce in any given situation are preferable to the effects another arrangement would produce: that we have it in our power so to shape our institutions that of all possible sets of results that which we prefer to all others will be realized; and that our reason should never resort to automatic or mechanical devices when conscious consideration of all factors would make preferable an outcome different from that of the spontaneous process. It is from this kind of social rationalism or constructivism that all modern socialism, planning and totalitarianism derives.
Friedrich Hayek, Studies in Philosophy, p. 85.

Le mépris de la rationalité des autres

Si Hayek parle de rationalisme, c’est parce qu’il considérait le constructivisme comme une « surestimation des pouvoirs de la raison ». Or, si les libéraux cohérents reconnaissent que le concept de « constructivisme » chez Hayek corespond à quelque chose de réel, ils objectent à sa définition qu’à l’évidence, si les constructivistes surestiment les pouvoirs de leur propre raison, c’est parce qu’ils ne font que mépriser la rationalité des autres. S’ils nient leurs Droits, c’est parce qu’ils les considérent comme des objets à manipuler et non comme des êtres pensants qui savent des choses qu’eux-mêmes ne peuvent pas savoir.

Le slogan autoritaire des hommes de l’Etat : “ce n’est pas rationnel donc moi je vais y mettre de l’ordre” traduit donc le plus souvent une simple incapacité, un refus de comprendre pourquoi les autres font ce qu’ils font et c’est ce que Hayek appelait le constructivisme. Hayek y voyait un “excès de rationalisme” mais correctement interprété, le constructivisme est la surestimation de son propre intellect, généralement le fait d’un irresponsable (officiel), par mépris de la rationalité d’autrui. Ce que Hayek appelait l’“arrogance meurtrière” (c’est le titre anglais de son dernier ouvrage ) est un péché d’orgueil, une prétention à se placer au-dessus de l’humanité. La prétention des planificateurs, usurpant le pouvoir et l’initiative sociale, à remplacer à eux tout seuls l’ensemble des cerveaux qui y interagissent est, pour reprendre une autre expression de Hayek, une superstition.
François Guillaumat, Abus de position dominante

La dispersion de l’information

Hayek a ainsi montré que le socialisme ne peut pas marcher car un planificateur central ne peut pas obtenir toute l’information nécessaire à la prise de décision, alors que le marché permet la coordination d’une multitude d’informations dispersées par le mécanisme des prix, ce que Hayek appellait à juste titre une merveille :

I have deliberately used the word « marvel » to shock the reader out of the complacency with which we often take the working of this mechanism for granted. I am convinced that if it were the result of deliberate human design, and if the people guided by the price changes understood that their decisions have significance far beyond their immediate aim, this mechanism would have been acclaimed as one of the greatest triumphs of the human mind.
Friedrich Hayek, “The Use of Knowledge in Society
a little reflection will show that there is beyond question a body of very important but unorganized knowledge which cannot possibly be called scientific in the sense of knowledge of general rules: the knowledge of the particular circumstances of time and place. It is with respect to this that practically every individual has some advantage over all others because he possesses unique information of which beneficial use might be made, but of which use can be made only if the decisions depending on it are left to him or are made with his active cooperation.
Friedrich Hayek, “The Use of Knowledge in Society

Ainsi, Hayek a formalisé et tiré les conséquences économiques de ce qui devrait être une évidence : les gens les plus concernés sont les plus compétents pour prendre les décisions qui les concernent. Cela vaut tout autant pour l’entrepreneur qui est plus compétent pour prendre les décisions qui concernent son entreprise qu’un planificateur central, que pour la personne qui décide elle-même comment s’habiller, avec qui vivre, etc, au lieu d’obéir aux ordres d’un paternaliste central.

Voir aussi

Conséquences et applications

Les implications épistémologiques et politiques de l’humanisme

L’humanisme conduit donc tout naturellement à rejeter :

  • La réification, qui oublie que seuls les êtres humains peuvent agir ;

Le constructivisme au quotidien et autres exemples

L’« utopie » constructiviste consiste en un régime totalitaire où chaque détail de la vie est planifié et ordonné à la virgule près :

Les rues et les places sont convenablement disposées, soit pour le transport, soit pour abriter contre le vent. Les édifices sont bâtis confortablement ; ils brillent d’élégance et de propreté, et forment deux rangs continus, suivant toute la longueur des rues, dont la largeur est de vingt pieds. (Thomas More, Utopia [1])

En pratique politique, le constructivisme consiste généralement à décrèter un nombre, taux, ou mesure arbitraire de quelque chose et user de la violence pour l’atteindre :

Pascal Couchepin veut réduire d’un tiers le nombre de fumeurs. [...] [il a] précisé qu’il ne considérait pas un prix de 10 francs par paquet comme « antisocial », « puisque se faire du mal à soi-même n’est pas social ».

Pascal Couchepin explique que la part de fumeurs dans la population est déjà passée de 32 à 30%. « J’aimerais toutefois qu’elle recule jusqu’à 20% ». Ce qui signifie qu’un fumeur sur trois devrait arrêter la cigarette. Pour y parvenir, « il y aura plus de restrictions, mais sans exagération », affirme-t-il.[2] (TSR, 2007-12-30)

Mais deux fumeurs sur trois ne devraient pas arrêter la cigarette ? Et pourquoi 20%, et pas 10%, ou 0,354 % ?

In Finland, smoking has been on the decline for a number of years. In 2013, 16% of Finnish 15–64-year-olds smoked on a daily basis. The new action plan envisages no more than 2% of 15–64-year-olds using tobacco products by the year 2040. [3]

Dans la même catégorie de constructivisme, nous pouvons naturellement ranger l’ensemble des « féministes » voulant imposer, par la violence, des taux de 50% (pourquoi 50 ?) de femmes pour telle ou telle activité (ré-introduisant ainsi le genre dans la loi, alors qu’une véritable égalité consiste précisément à l’en rayer).

The law was announced on March 8 on International Women’s Day 2017 as part of a drive by the nation to eradicate the gender pay gap by 2022.[4]
  • En République populaire démocratique de Corée, seules 18 coupes de cheveux sont autorisées par l’État socialiste [5]

La summum de l’arrogance nauséabonde étant sans doute attteint par Paul Ehrlich :

Le Temps : L’humanité compte actuellement près de 7,5 milliards d’habitants. Quel serait le chiffre idéal, selon vous?
Paul Ehrlich : Il dépend bien sûr du niveau de vie, et donc de consommation, des gens. Avec celui que nous connaissons dans les pays développés, le chiffre adéquat serait d’un milliard et demi environ.

La réification, ou le constructivisme à l’envers

Alors que le constructivisme consiste à traiter les êtres humains comme des objets, l’erreur contraire peut aussi être commise : traiter des objets ou des abstractions comme des êtres humains dotés de volonté. Il en va ainsi de la réification, qui consiste à parler d’abstractions comme si elles étaient des personnes.

Un cas particulier est celui de la prétendue imposition des entreprises, « les entreprises » devant parfois même payer l’impôt ecclésiastique ou la redevance audiovisuelle. Or, une entreprise est un ensemble de contrats - et non une personne - elle ne peut donc pas plus regarder la télévision ou se rendre à l’église qu’un caillou ou le verbe avoir... et elle ne peut pas non plus payer d’impôts.

Références