Friedrich Hayek

From Liberpédia

Friedrich Hayek, né Friedrich August von Hayek le 8 mai 1899 à Vienne, mort le 23 mars 1992 à Fribourg-en-Brisgau), était un philosophe et économiste autrichien. En 1974, il a partagé avec Gunnar Myrdal le « Prix Nobel d’économie » pour leurs travaux respectifs sur la conjoncture.

Biographie

Friedrich August von Hayek naît à Vienne dans une famille d’intellectuels. Son père avait ainsi écrit un ouvrage de botanique, tandis que par sa mère il était cousin de Ludwig Wittgenstein. Il fait des études de droit et de sciences politiques à l’Université de Vienne dont il sort Docteur en Droit en 1921 et Docteur en Sciences politiques en 1923. Devenu économiste, il conserve un intérêt pour le Droit, qu’il développera à partir de 1955[1], et la psychologie : son Sensory Order marque le lien entre ses conceptions de la rationalité et celles du marché[2]. Initialement formé par Friedrich von Wieser, proche des idées socialistes, il se rapproche des idées libérales après avoir rejoint Ludwig von Mises à son Institut de recherche sur la conjoncture et lu sous sa direction les ouvrages de Menger et de Böhm-Bawerk.

De 1923 à 1924, Hayek sert d’assistant au professeur Jeremiah Jenks à New York University. Il travaille ensuite pour les hommes de l’état autrichien, aidant à résoudre les problèmes économiques engendrés par le Traité de Sèvres.

Puis, en 1931, Lionel Robbins l’ayant invité à faire une série de quatre conférences à la London School of Economics, il y connaît un tel succès qu’il y est par la suite nommé professeur.

A une époque où ce qu’on appelle la « Crise de 1929 » concentre l’attention sur les causes des Krachs financiers, l’explication de Hayek rencontre un grand intérêt[3] mais la pression sur les hommes de l’état est immense pour qu’ils « fassent quelque chose » contre la crise dont ils ont pourtant la véritable cause, et lorsque Keynes publie sa Théorie générale, il éclipse les explications sérieuses. Hayek, au lieu d’exposer les contradictions et les impasses de ce texte de circonstance, attend que son auteur change d’avis, comme il avait changé d’avis après la parution de son ouvrage de 1930 sur la monnaie[4], alors que Hayek s’était donné beaucoup de mal pour le réfuter[5].

La conséquence est que, comme l’avait prévu William Hutt, la Théorie générale de Keynes remporte un grand succès, les opportunistes se rallient, et Hayek est éclipsé pour des décennies : seule la stagflation des années 1970, coïncidence d’inflation et de chômage que les keynésiens avaient décrétée « impossible », ressuscite l’intérêt pour des théories plus réalistes de la conjoncture. En 1974, juste après la mort de Mises Hayek recevra le « Prix Nobel d’économie ».

Critiques libérales

Dès ses premiers écrits de théorie politique, Hayek a trouvé des auteurs libéraux pour juger qu’il allait trop loin dans sa critique du « rationalisme » : tout en admettant que son rejet nominal de la preuve philosophique pure le rendrait plus acceptable dans une époque marquée par le scientisme, ils ont aussi relevé les contradictions auxquelles ce rejet l’exposait :

  • Les économistes autrichiens partisans de Ludwig von Mises regrettent qu’il ait rejoint l’épistémologie de Karl Popper, abandonnant sa conception d’une théorie économique purement rationnelle[6], que ses écrits et son renom auront pourtant contribué à réhabiliter[7].
  • Les tenants d’une philosophie politique rationnelle ne se sont pas fait faute d’exposer les contradictions qui peuvent naître du fait d’argumenter pour telle ou telle norme sociale tout en niant la possibilité d’une définition rationnelle de la justice[8].
C’est ainsi que, dès la parution de La Constitution de la liberté de Hayek en 1960, Rothbard lui a reproché les contradictions de sa notion de « coercition », parce que celle-ci rassemble sous cette dénomination commune aussi bien des actes violents que l’exercice paisible d’un Droit de propriété[9].
A la suite de Droit, législation et liberté, Hans-Hermann Hoppe reprend la critique de Rothbard, affirmant que de telles incohérences naissent du refus de reconnaître la propriété de soi (ou le principe de non agression qui lui est équivalent) comme le seul critère de justice intellectuellement défendable ; au-delà de cette critique, il trouve des contradictions dans la théorie « évolutionniste » de la formation des normes de Hayek, les expliquant par le parti pris, paradoxal de sa part, d’exclure la pensée comme explication d’un processus où celle-ci est par définition à l’œuvre toujours et partout[10].
  • Si les économistes libéraux rationalistes reprochent à Hayek d’avoir finalement trop concédé à l’expérimentalisme dominant, c’est pourtant dans sa Counter-revolution of science[11] que l’on trouve la première bonne description des abus de la méthode expérimentale là où elle est logiquement inapplicable[12] pour détruire la morale commune et le Droit naturel, en disqualifiant a priori le raisonnement philosophique qui les fonde.

C’est pourquoi les libéraux qui critiquent Hayek au nom du rationalisme ne le reconnaissent pas moins comme un auteur dont la lecture est indispensable pour initier ceux qui le lisent à la plupart des traditions libérales ; et il les a mis sur tant de pistes intéressantes que rares sont ceux qui n’ont pas une grande dette intellectuelle à son égard[13].


Ouvrages


Notes

  1. ^  Il considérait en effet qu’un bon économiste devait s’intéresser à tous les champs de la connaissance. C’est ainsi qu’il avait déclaré que :

    « Personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste et je suis même tenté d’ajouter qu’un économiste qui n’est qu’économiste peut devenir une gêne, si ce n’est un danger. »

  2. ^  Le premier essai de Hayek en philosophie politique a été publié au Caire en 1955 par la National Bank of Egypt sous le titre The Political ideal of the rule of law.
  3. ^  Hayek tient cette explication monétaire de la conjoncture de Ludwig von Mises, continuateur de la tradition autrichienne et suédoise lancée par Eugen von Böhm-Bawerk et Knut Wicksell
  4. ^  A Treatise on Money en deux tomes : The Pure theory of money et The Applied Theory of Money. Dans « La critique autrichienne » en 1983, Hayek disait de Keynes :

    «  il ne fait toujours pour moi aucun doute que Maynard Keynes ne maîtrisait pas parfaitement l’ensemble du corpus de la théorie économique disponible à l’époque, et ne se souciait pas vraiment d’apprendre aucun raisonnement au-delà de la tradition marshallienne qu’il avait apprise lors de la seconde moitié de ses années de premier cycle à Cambridge. Son souci premier fut toujours d’influencer la politique économique, et la théorie économique n’était pour lui qu’un instrument à cette fin. Il faisait confiance à sa puissance intellectuelle pour inventer une meilleure théorie dans ce but, et c’est ce qu’il essaya de faire sous plusieurs formes différentes. »

  5. ^  Hayek explique son raisonnement à l’époque :

    « Je me dois d’expliquer pourquoi je ne suis pas revenu à la charge après que j’avais consacré beaucoup de temps à une analyse attentive de ses écrits — manquement que je n’ai jamais cessé de me reprocher depuis.

    Ce n’était pas seulement (comme je l’ai affirmé de temps à autre) l’inévitable déception d’un jeune homme qui s’était entendu dire par le célèbre auteur que ses objections n’avaient plus d’importance, puisque Keynes lui-même avait cessé de croire à ses propres arguments.

    Ce n’était pas non plus vraiment que je m’étais rendu compte qu’une réfutation efficace des conclusions de Keynes devrait s’en prendre à toute son approche «macro-économique ». Cétait plutôt que sa méconnaissance de ce qui me semblait être les questions essentielles m’avait fait comprendre qu’une critique digne de ce nom devrait traiter davantage de ce que Keynes n’avait jamais abordé que de ce dont il avait traité, et qu’en conséquence, développer ce qui n’était encore qu’une théorie insuffisante du capital était un préalable nécessaire pour régler définitivement son compte à l’argumentation keynésienne.

    Tant et si bien que je me suis attelé à cette tâche, dont j’entendais qu’elle menât à une discussion des déterminants de l’investissement dans un système monétaire. Mais la partie préliminaire de cet ouvrage, de « pure » théorie, se révéla beaucoup plus difficile, et me prit beaucoup plus de temps que je ne m’y étais attendu.

    Quand la guerre éclata, rendant douteux que la publication d’un aussi gros volume soit encore possible, je publiai dans un ouvrage séparé ce qui avait été prévu comme la première étape d’une analyse des faiblesses keynésiennes, laquelle fut indéfiniment différée.

    La cause principale de cet ajournement fut que je me retrouvai rapidement aux côtés de Keynes dans son combat contre l’inflation sous prétexte de guerre, et la dernière chose que j’aurais voulu à cette époque était d’affaiblir son autorité.

    Bien que je considère les théories de Keynes comme les responsables principales de l’inflation du dernier quart de siècle, je demeure convaincu que c’était une dérive qu’il n’avait pas voulue, et qu’il aurait fait tout son possible pour l’empêcher. Je ne suis pourtant pas sûr qu’il y serait parvenu, n’ayant jamais compris que seule une inflation accélérée pouvait durablement assurer un niveau d’emploi élevé.»

    Ibid.
  6. ^ Son article de 1937, « Economics and Knowledge », se voulait déjà une critique de la métholodogie de Ludwig von Mises, mais il traduisait en fait une incompréhension certaine de la distinction que celui-ci faisait entre théorie et histoire : dans l’approche de Mises, ce que Hayek pouvait envisager comme des « objections théoriques » n’étaient en fait qu’un énoncé des questions fondamentales auxquelles l’ historien de l’économie, pour expliquer ou prévoir les événements historiques uniques, doit évidemment répondre, étant donnée la théorie économique par ailleurs développée a priori, de sorte que Mises n’avait pas de motif pour interpréter ces simples rappels, qu’il aurait pu faire lui-même, comme un défi à son enseignement.
  7. ^ Sur le rôle de Hayek dans la réhabilitation de l’approche autrichienne, voir Hans-Hermann Hoppe « Le rationalisme autrichien à l’ère du déclin du positivisme ».
  8. ^  contradiction pratique que Ayn Rand et ses Objectivistes appellent le sophisme du « vol de concepts ».
  9. ^  C’est un « anti-concept par amalgame » (« Package-deal ») au sens de Ayn Rand : il consiste à placer sous la même dénomination des existants de nature foncièrement différentes, ce qui ne peut qu’égarer le raisonnement au lieu de le servir. Rothbard a reproduit sa critique de la notion de « coercition » chez Hayek dans L’Ethique de la liberté.
  10. ^ La critique de Hayek par Hoppe se trouve dans « F.A. Hayek on Government and Social Evolution: A Critique » (Review of Austrian Economics, vol. 7, n° 1) ; en français, Hayek démocrate-social.
  11. ^ La Counter-revolution of science de Hayek a été partiellement traduit par Raymond Barre comme Scientisme et sciences sociales, et on trouve chez Hervé de Quengo la traduction de la partie historique, qui mettait en cause le milieu intellectuel français ravagé par la Révolution française, et que Raymond Barre avait laissée de côté.
  12. ^  Friedrich Hayek avait conçu cette critique du scientisme avant de tomber sous l’influence de Karl Popper. C’est l’époque où ce dernier écrit Misère de l’historicisme, livre passionnant pour le profane mais dont celui-ci comprendra mieux les limites s’il lit aussi « Les débuts historiques de l’école autrichienne d’économie » de Ludwig von Mises et « Le réversible n’est pas testable —Réflexions sur la pensée politique de Karl Popper » d’Anthony de Jasay.
  13. ^ Finalement, les libéraux rationalistes remercient Hayek:

    - d’avoir contribué à réhabiliter la preuve logique en théorie sociale, même si c’était pour l’abandonner lui-même à la fin.

    - d’avoir, en développant les analyses de Ludwig von Mises à partir d’autres points de vue, mis l’accent sur le rôle de l’esprit humain dans la société (le thème du roman de Ayn Rand, Atlas shrugged), et la manière dont les violations du Droit, en premier lieu par l’Etat, détruisent l’information nécessaire à la régulation sociale, d’abord dans la planification centrale, ensuite dans la politique conjoncturelle, enfin dans toutes les autres formes d’interventionnisme étatiste.

    - d’avoir ainsi, par une influence qu’il doit aussi à ses ambiguïtés comme à sa reconnaissance tardive comme économiste, contribué à discréditer des politiques destructrices comme la planification autoritaire et l’inflation, et inspiré un renouveau du débat d’idées aussi bien en théorie sociale descriptive qu’en philosophie politique.
  14. ^ La Constitution de la liberté est née des conférences de Claremont (1957) aux États-Unis qui avaient réuni en particulier Bruno Leoni, Milton Friedman et Friedrich von Hayek. Dans leur foulée, Friedman a écrit Capitalisme et liberté et Hayek, La Constitution de la liberté.
  15. ^ Bruno Leoni (1913-1967), en réaction à La Constitution de la liberté, avait écrit en 1961 La liberté et le droit. Les idées de son livre convaincront Hayek au point que ce dernier, pour en tenir compte, écrira Droit, législation et liberté pour en tenir compte. Carlo Lottieri a raconté cette histoire à l’occasion de la présentation à Paris, le 22 février 2006, de la traduction française de La liberté et le droit qu’il a préfacée (Les Belles Lettres - bibliothèque de la liberté). En pages 13-14 de la « préface », celui-ci résume ainsi l’histoire :

    « ... comme Hayek lui-même l’a mis en évidence dans une conférence à Pavie quelques mois après la mort de Leoni (« Bruno Leoni the Scholar », dans « Omaggio a Bruno Leoni », édité par Pasquale Scaramozzino, Quaderni della Rivista Il Politico, n° 7, Milan, Giuffré, 1969, pp. 21-25.), l’auteur de Law, Legislation, and Liberty se rapproche de l’idée d’un droit évolutif principalement à cause des critiques que son ami italien lui avaient adressées dans ses commentaires aux thèses - complètement différentes - exposées dans The Constitution of Liberty. »


Voir aussi