Protectionnisme

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« Les hymnes à l’exportation ne sont que stupidité et mensonge. Ils supposent de n’avoir pas conscience de l’inanité de toute distinction entre commerce intérieur et international. » (Jacques Rueff)

Dans son sens courant, le protectionnisme consiste à employer la force pour empêcher Paul d’échanger avec Jean sous le prétexte que le premier habite un certain pays et le second un autre. Le protectionnisme viole donc les droits de propriété et détruit automatiquement la production : il dispose par la force du revenu des résidents d’un pays, pour les empêcher de faire des échanges qu’ils auraient voulu faire, et qui de ce fait auraient par définition été productifs.

Le motif habituel du « protectionnisme » consiste dans l’espoir que si on empêche Paul d’échanger avec ce salétranger de Jean, il sera forcé de commercer avec Henry, à qui il ne veut pas acheter mais qui a pour mérite — le seul —d’habiter le même pays que lui.

L’argument de l’« intérêt national »

Le prétexte du protectionnisme est de « favoriser les intérêts nationaux » au détriment de ceux des salétrangers. Il suffit d’identifier l’ensemble des intérêts en cause (et pas seulement ceux qui crient le plus fort) pour voir que c’est un mensonge : la frontière n’est pas le lieu où s’opposent les intérêts, puisque le protectionnisme favorise aussi des salétrangers, et nuit à de gentils nationaux. Fondé sur une distinction en l’espèce non pertinente entre les résidents du pays auquel il prête arbitrairement des vertus supérieures, et les salétrangers qu’il présente faussement comme des « ennemis », il engendre un conflit d’intérêt automatique entre les « gentils nationaux » puisqu’il vole certain d’entre eux au profit supposé des autres, allant même jusqu’à leur voler l’argent pour payer les douaniers qui les dépouillent ainsi par la violence. Les avantages supposés que le protectionnisme distribue à certains producteurs sont volés aux acheteurs de leurs produits et, parce qu’il les prive de l’argent nécessaire pour acheter d’autres produits, à tous leurs autres fournisseurs ; il ne favorise donc que certains producteurs aux dépens des autres, tout en ne profitant qu’exceptionnellement à ceux qui reçoivent ses butins.

C’est pourquoi la frontière n’est qu’un prétexte parmi d’autres pour permettre aux puissants de voler les faibles : il n’y a pas de différence entre les effets de ce protectionnisme-là et les autres privilèges de monopole, imposés à l’intérieur des frontières. Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit que d’inventer des prétextes pour empêcher certains échanges, par nature productifs. Et en empêchant ces échanges productifs, cette forme de monopole appauvrit les gentils nationaux dans leur ensemble. En effet, il force ceux-ci à faire davantage d’efforts rien que pour obtenir les mêmes produits. L’effet global du protectionnisme sur un pays est donc fatalement d'appauvrir celui-ci, immédiatement, certainement et universellement. Il entretient par la force des emplois dans des domaines d’activité non rentables, et donc réduit la production par rapport à ce qu’elle pourrait être.

Si l’on croit protéger voire développer l’emploi en entretenant artificiellement ceux qui sont les moins productifs, pourquoi ne pas revenir à la productivité du Moyen-Âge, où les 9/10 de la population travaillait la terre, avec la pauvreté qui l’accompagnait ? Pour saisir toute l’absurdité de cet argument, lire la Pétition des fabricants de chandelles par Frédéric Bastiat.

Cette falsification de l’intérêt national, qui présente comme avantageuses pour un pays des actes de violence criminelle qui lui sont toujours nuisibles sans aucun profit pour personne, fait du protectionnisme un exemple typique, et majeur, de pseudo-nationalisme. C’est faussement que le protectionnisme se présente comme conforme à l’« intérêt national » : non seulement il appauvrit toujours le pays à qui on l’inflige, mais il y crée de toutes pièces un conflit interne — tout en inventant un conflit tout aussi artificiel avec des non-résidents. À cet égard, le protectionnisme est le contraire exact de la catallaxie : il est pure destruction alors que la catallaxie est par définition productive, et il transforme des amis en ennemis, aussi bien à l’intérieur des frontières qu’à travers celles-ci.

L’argument de l’autarcie

Certains pourraient rétorquer que malgré la charge énorme qu’il inflige à un pays, le protectionnisme agricole est indispensable pour assurer l’autarcie alimentaire du pays en cas de guerre.

C’est un argument de « biens publics » qui ne vaut pas plus cher que n’importe quel autre, c’est-à-dire rien du tout. Le risque d’approvisionnement, comme tout risque, est personnel, et il n’y a aucune raison de ne pas reconnaître ce fait.

Quant à la pénurie, elle ne peut jamais apparaître que si, en plus, les hommes de l’État imposent des prix maximum ou pire, un rationnement. Pour l’essentiel, l’effet des entraves à l’approvisionnement sur un marché n’est que de renchérir les produits pour la durée de ces entraves. Or, entraver les approvisionnements est justement ce que fait le protectionnisme ; il a pour effet de réaliser immédiatement, et certainement, l’éventualité lointaine et faible contre laquelle il prétendait prétendument protéger ses sujets. Et en appauvrissant tout le monde, c’est dans l’immédiat qu’il expose les plus pauvres à la perspective de la malnutrition voire de l’inanition. Ainsi, la pellagre, maladie de carence, est apparue en Sicile à la suite des lois protectionnistes imposées par le gouvernement italien en 1887.

En la matière, l’intervention de l’État ne fait que substituer une forme d’assurance imposée, donc forcément inadaptée et plus généralement associée à des interdictions de produire et d’échanger, à celle que les gens auraient organisée pour eux-mêmes. L’utopie de l’autarcie est en fait une variante de l’utopie de « sécurité sociale » et comme celle-ci, elle se dissout à l’examen rationnel par les experts de l’analyse du risque et de leur couverture.

Et la violence des hommes de l’État sous prétexte de faire face au risque d’approvisionnement ne fait que surajouter ses effets destructeurs propres aux éventuelles entraves qui naîtraient de la violence des autres États : elle ne fait que provoquer un renchérissement permanent et sans commune mesure qui, en privant artificiellement ses victimes d’une partie de leurs richesses, les prive aussi de moyens pour faire face à l’éventuel renchérissement temporaire en cas de difficultés d’approvisionnement. Et de ce renchérissement permanent, les pauvres sont les premières victimes. C’est donc la politique de Gribouille qui se jetait à l’eau pour éviter d’être mouillé par la pluie.

Si on énumère les moyens privés de faire face aux difficultés d’approvisionnement — constitution de réserves associée à la spéculation, conversion des moyens de production en cas de hausse des prix —, on peut facilement s’apercevoir que l’ingérence étatique est purement nuisible.

Lorsque les hommes de l’État prétendent assurer une fonction de prévoyance, ils spéculent sur l’évolution à venir des prix des matières premières ; mais quelle différence avec les autres spéculateurs qui opèrent sur le marché en question ? C’est qu’ils sont irresponsables, qu’ils peuvent forcer les autres à payer pour leurs erreurs avec pour conséquence que les pertes qu’ils causent, fort loin de les priver des moyens de se tromper à l’avenir, pourraient fort bien leur fournir de nouveaux prétextes pour ce faire — ayant provoqué des catastrophes dont l’illusion fiscale masque les véritables coupables, ils peuvent même se poser en sauveurs, ce qu’on voit sans arrêt dans tous les domaines.

L’ingérence des hommes de l’État pour faire face aux difficultés d’approvisionnement a donc pour effet non seulement d’instituer en permanence les inconvénients contre lesquels ils prétendent nous protéger – une hausse relative des prix – mais aussi d’imposer une procédure de décision perverse qui surajoute l’incertitude, dont leur arbitraire est la cause, à celle qui naît des errances de la politique internationale.

Bien entendu, aux sophismes de la « gestion collective du risque » le protectionnisme agricole surajoute le sophisme consistant à faire de l’alimentation un cas à part, comme si le risque y associé y était un risque de pénurie absolue, ce qui n’a aucun sens pour un pays assez grand pour être indépendant, comme s’il n’existait pas de possibilité de réaffecter les facteurs de production en cas de changement de prix, et comme si l’agriculture n’était pas elle-même dépendante d’approvisionnements — et de débouchés — dont le protectionnisme agricole ne peut évidemment rien faire pour les rendre plus sûrs.

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