Jean-Claude Michéa

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Remarque introductive au texte qui suit : L'intellectuel socialiste (et ex-communiste) Jean-Claude Michéa est devenu depuis le début des années 2000 et notamment depuis son livre Impasse Adam Smith la coqueluche des milieux pseudo-conservateurs de gauche et de droite. Il incarne à cet égard une branche spécifique de l'idéologie archi-dominante en France, à savoir l'anti-libéralisme. Présenté par ses admirateurs – parmi lesquels Eric Zemmour, Alain de Benoist, Dany Robert-Dufour, Marine Le Pen… – comme un penseur puissant et anticonformiste, il n'est en réalité qu'un chien de garde parmi x autres – simplement vaguement plus original et sophistiqué dans son argumentation que beaucoup d'autres – de l'étatisme socialo-communiste, c'est-à-dire du système d'exploitation des faibles par les puissants.

Quelques commentaires à propos de cette interview de Jean-Claude Michéa par Elizabeth Lévy : http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2007-09-06/jean-claude-michea-et-la-servitude-liberale/989/0/199481

1) Cet entretien ne prouve qu'une chose, et qu'on savait déjà : que le libéralisme est d'abord l'objet de falsifications. Il semble que ce soi-disant philosophe politique ne sache tout simplement pas que l'objet de la philosophie politique est de définir le Droit ; de sorte que, si le libéralisme ne va pas au-delà, ce n'est pas parce qu'il méconnaît les autres valeurs, mais simplement parce qu'étant une philosophie politique, ce n'est pas son propos que de le traiter. Parmi les auteurs libéraux contemporains, Ayn Rand et à sa suite les philosophes néo-aristotéliciens comme Henry Veatch et Douglas Rasmussen ont montré comment cette philosophie politique s'intègre dans la philosophie morale, laquelle est par définition plus étendue dans son objet : le critère de distinction en est que la justice, étant applicable à tous, doit reposer sur des critères rationnellement acceptables par chacun donc universellement observables, alors que des biens communs plus spécialisés apparaissent dans les groupes plus restreints. C'est en raison de la nature de son objet qu'il faut bien se mettre d'accord sur cette "idéologie"-là, et lui en faire le procès, c'est méconnaître sa raison d'être même.

Le libéralisme est donc tout sauf un agnosticisme moral et une résignation au moindre mal, il traduit au contraire une morale sociale objective : LA morale sociale objective, parce que raisonnée, et une exigence absolue de justice. Dans son principe, il définit la société politique idéale – au sens de Ayn Rand, l'auteur de "Capitalism, the unknown ideal" : "Le capitalisme : l'idéal méconnu" – et on y parvient, que son point de départ soit une aspiration à desserrer les contraintes sociales, à libérer les facultés créatrices de l'homme ou au contraire à préserver ce qui en vaut la peine : ce qui compte, c'est l'objectivité. Il n'est en effet que la systématisation, dans ce qu'elle a d'universel, de la morale sociale commune, que chacun pratique dans sa vie de tous les jours et enseigne à ses enfants, quand il ne se rêve pas en homme de l'Etat : avec pour conséquence que toute agression ou tromperie, qui détruit en pure perte les efforts des hommes, y est par définition proscrite.

À l'appui de cette philosophie politique, la théorie économique démontre que le vol, qu'il soit privé ou institutionnel sous la dénomination d'étatisme ou de socialisme, détruit en tendance toute la richesse dont il s'empare.

Ces raisonnements établissent définitivement l'interdiction du vol (entendu au sens de disposer du bien ou de la personne d'autrui sans son consentement) comme bien commun politique universel et comme condition des autres biens communs, à commencer par la science, comme l'a montré Hans-Hermann Hoppe, puisque les valeurs qui lui sont contraires ne sont que des "biens" illusoires, et font au contraire le mal. Ils reconnaissent dans la propriété naturelle - celle qu'on n'a pas volée - le seul fondement possible d'un ordre moral légitime, la responsabilité qui en découle étant une condition nécessaire de la régulation sociale.

Jean-Claude Michéa commet donc un contresens absolu, en désignant comme une erreur dogmatique ce qui n'est que la conscience des catégories pertinentes : cela ne prouve que son incompétence philosophique générale, outre son charlatanisme spécifique à propos de son objet prétendu :

Charlatanisme, parce qu'il est patent qu'il n'a lu aucun des auteurs libéraux contemporains – ou s'il en a lu certains, il n'en a rien compris –, même les moins inconnus comme Hayek. Il y a vingt-quatre ans, Alfred Grosser s'était fait fort de réfuter Hayek sans l'avoir lu, et même sans seulement savoir en quoi consistaient ses conclusions, sur la prétendue "justice sociale" ; mais au moins, il savait que Hayek existait. Ici, on nous cite les sempiternels Tocqueville - dont François Bourricaud disait qu'il était "génialement faux" - et Benjamin Constant, que les libéraux contemporains n'ont quasiment pas lu, de sorte que ce n'est certes pas lui qui peut les avoir inspirés : pas un mot de Frédéric Bastiat, dont les "Harmonies économiques" viennent d'être rééditées, ni de Ludwig von Mises, ni de Murray Rothbard, ni de Hans-Hermann Hoppe, sans parler des économistes comme Milton Friedman et Henri Lepage. Ayn Rand a vendu des millions de livres, mais cet individu qui prétend juger "le libéralisme" n'en a jamais entendu parler, sinon il ne dirait pas ces absurdités-là :

"ignorantus, ignoranta, ignorantum".

Et comme nous avons affaire à quelqu'un qui, littéralement, ne sait pas de quoi il parle, c'est inévitablement qu'on le voit attribuer au "libéralisme" les actes de violence agressive qui en constituent, par définition, la violation. Cette contradiction, il pourrait la dire "inévitable" et l'attribuer, à coups de rationalisations, aux "contradictions du capitalisme" chères aux marxistes ; mais ici, sa définition du libéralisme étant irrémédiablement fausse, il semble seulement qu'il ne la voie pas. Peut-être croit-il, comme tant d'antilibéraux, que la France serait "libérale" ? Peut-être prend-il vraiment pour du "libéralisme" cette foire d'empoigne, cette guerre de tous contre tous sous prétexte d'élection qu'est la pseudo-démocratie socialiste au pouvoir, qui nous écrase d'impôts sans aucun profit pour personne ?

Rien n'interdit a priori de le croire, étant donnée son incompétence. Le subjectivisme et le relativisme sont bien ce qui tient lieu de pensée à la pseudo-démocratie socialiste, mais c'est justement pour cela et en cela que celle-ci est antilibérale. Les confondre (sous la dénomination trompeuse de "libéralisme philosophique") est une vieille erreur de l'église catholique au XIXe siècle, et il faut vraiment, pour reproduire cette erreur, ne rien connaître des auteurs libéraux de la tradition philosophique réaliste.


2) Les discours de Jean-Claude Michéa sur l'"infériorité morale" du libéralisme ne traduisent que son "incompréhension élémentaire" des valeurs en cause. Peut-être a-t-il besoin qu'on lui mette les points sur les i ?

Prenons l'exemple de la santé : ce n'est pas l'alpha et l'oméga de notre ambition personnelle, et on pourrait même dire que chacun aspire à ne pas devoir s'en soucier. Et pourtant nous faisons ce que nous pouvons pour échapper à la maladie, et c'est même un idéal pour lequel nous sommes à juste titre prêts à renoncer à d'autres valeurs. Eh bien il en est de même de la justice : éviter l'injustice, ou lui échapper, c'est aussi une aspiration bien limitée de l'expérience humaine, et nous aimerions bien n'avoir jamais la tentation de commettre une malhonnêteté, ni devoir nous soucier des méchants qui nous veulent du mal. Encore une fois, l'idéal serait que personne n'ait seulement à s'en soucier. Malheureusement il y a des gens qui commettent des abus de confiance et des agressions, soit parce qu'ils croient pouvoir en profiter soit, comme Jean-Claude Michéa, parce qu'ils ne comprennent pas quand ils en sont. Ne pas avoir à se soucier de l'injustice, c'est-à-dire réduire à zéro la valeur des efforts que font les libéraux pour définir l'injustice et pour la combattre, c'est bien l'aspiration de l'humanité-victime, mais là encore, c'est un idéal.

Il y a donc deux choses que Jean-Claude Michéa ne comprend pas, et qui devraient être évidentes : la première est qu'un idéal n'est pas quelque chose qui devrait absorber toute l'existence d'un être ; c'est bien au contraire ce qu'il ne peut pas se permettre de poursuivre jusqu'au bout. Le deuxième est que ce n'est pas parce qu'on a un idéal qu'on ne saurait en avoir d'autres, c'est même impossible.

Bien entendu que le libéralisme est un idéal : celui que personne ne soit jamais frappé, dépouillé, emprisonné, déporté de force, réduit en esclavage. C'est l'idéal qu'on peut comprendre dès lors qu'on a atteint l'âge de raison, et qu'on a compris que les conflits détournent les efforts des hommes de ce qui leur permet de grandir, et que même les délinquants et les hommes de l'état, qui vivent sur le dos des autres, vivraient mieux s'ils avaient choisi de produire au lieu de voler.

Malheureusement Jean-Claude Michéa semble ne pas comprendre l'injustice élémentaire qu'il y a à se faire voler, c'est-à-dire réduire à une sorte d'esclavage, parce qu'il est lui-même un receleur de cet esclavagisme : il vit d'argent que la police a volé au peuple par la force, et il trouve ça normal. Or, forcer les autres à subventionner des opinions qu'ils pourraient bien combattre, les trouvant idiotes et même criminelles, c'est de la censure, et c'est très concrètement que c'est injuste : Thomas Jefferson avait d'ailleurs une formule pour décrire ce comble de l'oppression. Et il ne comprend pas non plus que c'est précisément ce que le libéralisme condamne : quand il demande comment le libéralisme pourrait trancher "entre le droit des travailleurs à faire grève et celui des usagers à bénéficier du service public" la réponse est pourtant évidente pour quiconque a compris ce que c'est que le libéralisme : le libéral tient que le "droit de grève" n'existe pas, qu'il n'est qu'un refus de l'Etat, refus injuste, contraire au bien commun, de reconnaître et de faire respecter les contrats qui, comme en Suisse assureraient la "paix du travail" ; et le libéral interprète les prétendus "services publics" comme de purs instruments de pillage et d'oppression des faibles par les puissants, et de destruction des richesses à due concurrence des deniers volés par l'impôt et le monopole : de sorte que c'est en prônant leur privatisation complète et définitive qu'il résout leurs "dilemmes".

L'incompréhension de ces questions par Jean-Claude Michéa ne se traduit pas seulement par le fait qu'il est dupe du prétendu "droit de grève" et des prétendus "services publics", ce qui le disqualifie déjà comme philosophe politique dans l'absolu ; elle se traduit aussi par le fait qu'il ne sait pas que le libéralisme condamne expressément l'un et les autres au nom de la justice naturelle (et de la démocratie, et certainement pas au nom d'une quelconque "technique" mot qui, en l'espèce, n'a aucun sens), ce qui le disqualifie aussi comme "professeur de philosophie" à la française, c'est-à-dire comme répétiteur des idées d'autrui.

Jean-Claude Michéa n'est en fait qu'un énième exemple de ce que l'enseignement supérieur peut donner lorsque celui-ci est presque exclusivement payé par de l'argent volé au peuple : pour ceux qui l'ont voulu et qui l'imposent par la force, c'est un instrument de censure au service de la "Caste Exploiteuse" pour paraphraser Emil du Bois-Reymond, la "garde du corps intellectuelle du Socialisme au pouvoir" ; et pour les gens qui l'habitent, une immunité contre toutes les conséquences sinon naturelles de la paresse et de l'incapacité.

Sa conception du libéralisme, comme celle de tous les autres anti-libéraux (quelle que soit leur tendance), se borne à répéter des poncifs qui soit n'ont rien à voir avec une définition de la justice – "l'égoïsme", l'"esprit de calcul" –, soit sont directement contraires à celle qu'en donnent les libéraux – le "désir de pouvoir", d'"exploiter les autres", et au premier chef la "neutralité morale". Jean-Claude Michéa a le culot de prôner l'"honnêteté" alors que c'est la vertu centrale du libéralisme. Mais s'il arrêtait seulement de colporter ces mensonges-là sur ce qu'il est réellement, cette vertu, il l'aurait déjà assez servie.


3) Reprocher au libéralisme une prétendue absence de morale définie alors qu'on met soi-même en avant des concepts dépourvus de sens précis comme cette "common decency" qu'on ne sait même pas traduire, cette "égalité" dont Engels lui-même reconnaissait qu'il en existait une infinité de définitions incompatibles (et en rejetant apparemment la seule qui soit justifiée), ou même ces "crimes contre l'humanité" qui ne désignent qu'une réaction émotive à des actes arbitrairement choisis, c'est l'hôpital (du subjectivisme) qui se moque de la charité (tolérante). C'est bien ce Michéa qui n'a pas de philosophie morale déterminée, parce qu'il ne veut pas se soumettre à l'exigence première de la pensée philosophique : employer des mots qui aient un sens précis et, s'agissant de philosophie morale, des mots qui permettraient sans ambiguïté de porter un jugement sur les actes des personnes. Idéologue "nioulouque" d'une social-démocratie dont on se demande bien ce qu'il lui reproche au-delà de la pose "rebelle" convenue du Parti Révolutionnaire Institutionnel qui nous gouverne, ce qu'il revendique est du dernier banal : c'est de se dispenser des règles de la logique quand sa subjectivité prend le dessus. S'il avait compris le message des lumières écossaises, on pourrait dire qu'il reproduit leur message, s'opposant à une pensée trop méprisante à l'égard des intuitions et des traditions des ancêtres, censées nous transmettre la quintessence de leur rationalité ; mais il faudrait qu'on y trouve une allusion dans ce qu'il dit ; à défaut, on soupçonne que ce message-là lui a largement échappé. Alors qu'est-ce qui reste ? Une sorte de semi-philosophe, à moitié cohérent, et qui en veut surtout aux libéraux de l'être davantage que lui : n'est-ce pas le propre de l'absurdisme que de ne se pratiquer qu'à l'occasion ?