Hans-Hermann Hoppe/La vertu de la discrimination
La vertu de la discrimination
Hans-Hermann Hoppe, Junge Freiheit, 15 juillet 2005 [1], traduction François Guillaumat [2]
Plus maître chez soi ? Exclure est un Droit fondamental
Dans l’état le plus libre de l’histoire de l’Allemagne, les Puissants, sous la forme du gouvernement de coalition rouge-verte viennent de décréter que la discrimination serait désormais un acte illégal. Les rouges-verts suivent ici une directive de Bruxelles, mais dans leur rage « anti-discriminatoire », ils vont singulièrement au-delà des prescriptions de l’UE. Il est vrai que l’opposition a bloqué au Bundesrat la loi « contre la discrimination » de la coalition rouge-verte. Cependant, même les successeurs prévisibles du pouvoir rouge-vert, la coalition noire-jaune, finira par en voter une, de loi « contre la discrimination », même sous une forme atténuée. Et cela introduira en Allemagne des conditions comparables à celles des États-unis, où les Puissants scrutent aux rayons X la conduite personnelle et professionnelle des individus privés à la recherche de la moindre trace de « discrimination ».
C’est là une question qui exige d’être examinée à fond.
Thèse fondamentale numéro un : la discrimination est absolument inéluctable et nécessaire. Lorsque je sors avec Hans et Franz, Jutta et Karin, je discrimine contre Peter et Paul, Ilse et Elisabeth. Lorsque j’achète chez Spar, je discrimine contre Edeka. Si je mange aujourd’hui des asperges, je discrimine contre les haricots et les petits pois. Lorsque je vais en vacances en Autriche, je discrimine contre la Suisse et les Antilles. Agir, ça veut dire faire des choix ; choisir, ça veut dire préférer celui-ci à celui-là ; et préférer ceci à cela, ça veut dire distinguer, discriminer.
La question n’est pas : est-il justifié de discriminer ? Mais, sans aucune exception : « comment faut-il que je discrimine, aux dépens de qui et de quoi ? » En particulier cette question-ci est fondamentale : dois-je y appliquer ma propre capacité discriminante et tirer les leçons de mes propres erreurs, ou dois-je me laisser dicter par d’autres mes distinctions et la révision de mes propres jugements — par des politiciens ou des bureaucrates judiciaires ?
La propriété privée permet d’éviter les conflits
Deuxième thèse fondamentale : l’institution de la propriété privée est l’expression pure de la discrimination, et en même temps le fondement de la liberté personnelle. Car ce n’est pas seulement que la discrimination est inéluctable ; c’est aussi que la discrimination — la discrimination dans la faculté de choisir — est une vertu. Elle n’est rien de moins que... la condition même de la liberté et de la civilisation.
Depuis qu’Adam et Eve ont été chassés du Paradis, les êtres humains vivent dans l’« empire de la rareté ». Il y a moins de biens qu’il n’en faut pour la satisfaction de tous nos besoins. Et cela peut engendrer des conflits : deux ou plusieurs personnes ont des prétentions sur les mêmes biens : leurs opinions sur ce qu’il faut en faire sont inconciliables. Nous avons là un conflit, et pour éviter autant que possible des conflits de ce genre, en en vient à l’enseignement de l’institution de la propriété privée comme peut-être la plus grande « découverte » de l’humanité.
L’institution de la propriété privée comme solution au problème du conflit sur les biens non surabondants est l’expression d’une discrimination : le propriétaire de ce bien-ci, c’est moi et non pas toi ; et c’est toi, et pas moi, qui es propriétaire de ce bien-là. J’ai un pouvoir exclusif de disposer de ceci, et toi de cela. Je peux décider librement, sans ta permission, quel usage je fais de ma propriété ; et toi tu décides, indépendamment de moi, ce que tu fais de la tienne (aussi longtemps, bien entendu, que ces décisions indépendantes ne portent pas atteinte à l’intégrité physique de la propriété de l’autre). En particulier, j’ai le Droit de t’exclure de l’usage de ma propriété, ou de fixer les conditions auxquelles tu es autorisé à t’en servir ; et toi, tu as le même Droit relativement à ta propre propriété.
Alors que la propriété privée permet d’éviter les conflits, la propriété commune accroît au contraire leur occurrence. Si toi et moi sommes co-propriétaires d’un seul et même objet, et s’il n’existe pas entre nous une parfaite harmonie des intérêts (ce dont on sait que même dans des couples mariés c’est assez rarement le cas), alors nous avons encore un conflit : on ne peut pas appliquer en même temps deux ou plusieurs intérêts divergents à un objet donné. Alors, ou bien c’est ton opinion à toi qui l’emporte, et c’est moi le perdant ; ou alors c’est moi qui gagne, et c’est toi qui perds. Nous ne pouvons pas agir librement, indépendamment l’un de l’autre. Cependant, nous pouvons tout de même nous séparer, divorcer, et à cette occasion céder nos parts de propriété respectives.
Cependant, même cette possibilité du divorce disparaît, et les conflits deviennent inéluctables et permanents, lorsque des biens rares se retrouvent en « propriété publique », comme par exemple les routes, les écoles, les parcs, etc.
Nous serions soi-disant tous « propriétaires » des biens en question, mais comme personne ne possède aucun titre de propriété aliénable sur une portion d’entre eux, ce sont toujours les hommes de l’état qui exercent le contrôle effectif et de ce fait c’est à eux qu’il faut s’adresser comme à des « propriétaires ».
Nous avons, toi et moi, des intérêts divergents en ce qui concerne les « biens publics ». Par exemple, tu voudrais passer en voiture dans cette rue, alors que moi je voudrais y organiser une manifestation. Mais ni toi ni moi ne pouvons réellement décider ce qui va se passer, pas plus que nous ne pouvons nous défaire de cette « propriété », en la vendant à un autre. Par conséquent, l’existence même des biens « publics » rend le conflit inéluctable, et les « propriétaires » nominaux de ce genre de biens apprennent bien vite à se détester à fond.
Finalement, les lois « contre la discrimination » ne signifient rien d’autre que la « nationalisation » de la propriété et, ce faisant, elles mettent en route un processus de « dé-civilisation ». En adoptant des lois « contre la discrimination » les hommes de l’état confisquent aux propriétaires privés le Droit d’exclure qui est inhérent au principe de la propriété privée. Ils les dépossèdent de leur propriété, dans la mesure où ils la livrent « au public ». Ce faisant, les hommes de l’état détruisent les fondements de la liberté personnelle. Ils nous dépouillent toujours plus de toute protection, attisent les conflits, et favorisent les conduites anormales, non civilisées.
L’intégration forcée contre la libre association
Les lois « contre la discrimination » sont là pour empêcher les employeurs de décider qui ils veulent embaucher et licencier, les bailleurs de choisir à qui louer, et les commerçants de déterminer à qui ils vendront leurs produits et leurs services. Elles interdisent désormais aux associations privées de se donner tout quels statut que leurs membres auront jugées conformes à leurs intérêts ; aux banques et aux assurances de distinguer entre bons et mauvais risques de crédit ou de pertes, etc. C’est une intégration forcée qui remplace la liberté de s’associer.
Le Droit d’exclure est un Droit protecteur fondamental. Si je ne peux plus décider comme je veux qui je chasse de chez moi, alors je ne suis, littéralement, plus protégé contre quoi que ce soit. Il fut un temps où l’on disait « Charbonnier est maître chez soi ». Les lois « contre la discrimination » font en sorte que nous ne soyons plus maîtres chez nous. Ce ne sont plus les propriétaires privés mais les hommes de l’état qui décident désormais qui peut entrer et sortir, et faire ou laisser faire quoi, dans les entreprises privées, les auberges, les clubs et même les ménages.
Les conséquences d’une politique d’intégration forcée imposée par les hommes de l’état sont prévisibles et en même temps observables absolument partout. Le Droit d’exclure d’autres personnes de sa propriété est le moyen qui permet d’empêcher qu’il vous arrive quelque chose de moche ou que vous jugez désagréable. L’exclusion me permet de me protéger contre les écoliers, apprentis, étudiants, employés, locataires, clients, invités, etc. qui sont mal élevés, paresseux, indignes de confiance, va-de-la-gueule, irrespectueux, irresponsables, débauchés, bref : que moi je considère comme effroyablement mauvais. A l’inverse, l’intégration forcée, c’est-à-dire la « non-discrimination » favorise et entretient la mauvaise conduite et le caractère pervers.
Dans une société civilisée, le prix le plus élevé à payer pour la mauvaise conduite, c’est l’exclusion. Les personnages totalement dépourvus d’éducation ou d’humanité se retrouvent bien vite rejetés par tous et par chacun, et deviennent des parias, en marge de la civilisation. C’est là un prix élevé, et c’est pourquoi l’incidence de tels comportements, normalement, est faible. En revanche, lorsqu’on vous empêche de chasser les autres de sa propriété, alors que vous jugez leur présence indésirable, alors on encourage la mauvaise conduite, les comportements criminels et les caractères carrément tordus. Au lieu qu’on les repousse dans l’isolement, aux marges de la société, leur comportement déplaisant devient toujours plus visible, et plus choquant. C’est l’ensemble des relations dans la société, aussi bien privées que professionnelles, qui sont de plus en plus dépourvues de considération et de respect, niveleuses et non civilisées.
C’est pourquoi on ne peut que conclure ceci : si on est pour la civilisation, il faut combattre les lois « contre la discrimination », avec toute la force et la véhémence nécessaires. Et comme premier pas dans cette direction, les abolitionnistes doivent apposer l’avis suivant : Accès Interdit aux Politiciens.