Néolibéralisme

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Lieu commun, formule passe-partout et fantasme ultimes de la pensée politico-idéologique contemporaine. En réalité, pratiquement personne ne se réclame du « néolibéralisme » depuis plusieurs décennies. Et il ne s’agit pas non plus d’un phénomène social (économique et/ou sociologique) qu’on pourrait rationnellement décrire ou définir. Sémantiquement, depuis qu’il s’est diffusé massivement dans les champs intellectuel, médiatique et politique au début des années 1980, le terme est censé désigner un libéralisme nouveau, limité à l’économie (libéralisme économique) – se traduisant par une « déification du marché » et une « dérégulation » tous azimuts – et de ce fait distinct du libéralisme classique (quelques propagateurs, parmi d’innombrables autres, de cette idée absurde : Jean-François Kahn, Natacha Polony et Coralie Delaume). Or, les théories libérales d’un Locke ou d’un Bastiat, par exemple, sont toujours aussi valables après des siècles, et reprises par les libéraux d’aujourd’hui. Le « néo » n’a donc aucun sens. Au contraire, les libéraux n’auraient aucun complexe à se déclarer « paléo-libéraux »[1] ou « archéo-libéraux » pour bien montrer que le libéralisme n’est pas une question de mode. Par ailleurs, significatif du caractère fourre-tout du mot, « néolibéralisme » est également très souvent employé peu ou prou comme synonyme d’« ultralibéralisme », étiquette presque aussi absurde – Emmanuel Todd par exemple, là aussi parmi x autres, est coutumier de cet emploi.

Un anti-concept

L’expression « néolibéralisme » est dénuée de sens logique, car le libéralisme suit une longue tradition historique. Les minarchistes d’aujourd’hui n’ont pas des idées très différentes d’un John Locke, et même l’anarcho-capitalisme s’inscrit dans une lignée idéologique qui remonte à Lysander Spooner et à Gustave de Molinari. Autrement dit, il n’y a pas de moment logique dans l’histoire de la pensée libérale dont on pourrait dire qu’avant ce moment c’est le « libéralisme » et après c’est le « néolibéralisme ».

Non-libéralisme

Par ailleurs, si le mot « néolibéralisme » a eu un sens, si des penseurs s’en sont effectivement réclamés, c’est à un moment bien précis de l’histoire des idées – le Colloque Lippmann[2] – et c’était pour désigner un « libéralisme », considéré comme nouveau à l’époque (ce qui était vrai), fortement imprégné de social-étatisme, un pseudo-libéralisme de notre point de vue. En d’autres termes, le « néolibéralisme » définissait l’inverse de ce que les obsédés de l’anti-« néolibéralisme » prétendent stigmatiser aujourd’hui ! (naturellement, les obsédés en question sont en réalité de simples ennemis du libéralisme)

Autrement dit, dans le sens qu’a réellement eu « néolibéralisme  » durant quelques années (les décennies 1940 et 1950) et dans certains milieux, le terme était tout au plus une formule fort maladroite pour désigner – favorablement pour ceux qui s’en réclamaient à l’époque du Colloque Lippmann, défavorablement pour les (vrais) libéraux de tous temps –, une économie mixte, une social-démocratie, ou même un « capitalisme d’État » ou capitalisme de connivence, toutes choses non libérales que les vrais libéraux sont évidemment les premiers à dénoncer. Dans le fatras conceptuel que constitue le terme « néolibéralisme » aujourd’hui, certains anti-libéraux, en revanche, sont donc de pure mauvaise foi lorsqu’ils prétendent dénoncer ce non-libéralisme-là, puisque ce qu’ils réclament est encore moins de libéralisme, autrement dit encore plus de ce non-libéralisme ![3]

Le procédé, naturellement, relève du sophisme de l’épouvantail habituel : puisque presque personne ne se réclame du néolibéralisme, il est facile de l’accuser de tous les maux, et de mettre les échecs de toute politique, aussi socialiste soit elle, à son compte. En parallèle, étant donné qu’aucun État existant n’est véritablement libéral, quiconque se prononce pour le libéralisme est d’emblée accusé de défendre le « néolibéralisme », dont le caractère nuisible aura été établi sans opposition. CQFD.

  1. ^  À ne pas confondre cependant avec ce sous-courant spécifique du libéralisme radical qui se désigne lui-même par l’étiquette de « paléo-libéralisme ».
  2. ^  Voir Colloque Walter Lippmann + Walter Lippmann La Cité libre.
  3. ^  Ainsi par exemple, Natacha Polony n’hésite pas à classer comme « néolibéral » un régime où l’État contrôle directement pas loin de 60 % du PIB [4]. Pourrait-on dès lors suggérer poliment un régime « néosocialiste » qui consisterait en un État se cantonnant à ses tâches régaliennes à 5 % du PIB ? (Voir aussi [5] et [6] )

Voir aussi


Mots clés : néo-libéralisme