Discours sur le libre-échange prononcé à Bordeaux
Discours sur le libre-échange prononcé à Bordeaux, le 23 février 1846
Par Frédéric Bastiat
Bastiat et le libre-échange[1], pp. 239-240.
L'association du libre-échange a été fondée à Bordeaux le 10 février 1846.
Dans un discours prononcé à Bordeaux, le 23 février 1846, devant les premiers membres de l’association qu’il venait de créer, il disait :
« Le moment est venu, élevons intrépidement principe contre principe ; il faut savoir enfin de quel côté est la vérité. Si nous nous, trompons, si l’on nous démontre qu’on enrichit les peuples en les isolant, poussons la protection jusqu’au bout. Renforçons nos barrières internationales, ne laissons rien entrer du dehors, comblons nos ports et nos rivières, et demandons à nos navires, pour dernier service, d’alimenter pendant quelques jours nos foyers. Que dis-je, et pourquoi n’élèverions-nous pas des barrières entre tous les départements ? Pourquoi ne les affranchirions-nous pas tous des tributs qu’ils se paient les uns aux autres, et pourquoi reculerions-nous devant la protection du travail local sur tous les points du territoire, afin que les hommes forcés de se suffire à eux-mêmes soient partout indépendants et qu’on cultive le sucre et le coton jusqu’aux glaces des Pyrénées ? Mais, si nous sommes dans le vrai, enseignons, réclamons, agitons, tant que nos intérêts seront sacrifiés et nos droits méconnus.
« Proclamons le principe de la liberté, et laissons au temps d’en tirer les conséquences. Demandons la réforme et laissons aux monopoleurs le soin de la modérer. Il est des personnes qui reculent devant l’association parce qu’elles redoutent la liberté immédiate. Ah ! Qu’elles se tranquillisent ! Nous ne sommes point des législateurs ; la réforme ne dépend pas de nos votes, la lumière ne se fera pas instantanément, et le privilège a tout le temps de prendre ses mesures. Ce mouvement sera même un avertissement pour lui et on doit le considérer comme un des moyens tant recherchés de transition. Levons-nous calmée, mais résolus.
« Il s’agit de savoir si nous entrerons enfin, dans les moeurs constitutionnelles..... si les Français, comme on les en accuse, trouvant trop longue la route de la légalité et de la propagande, ne savent poursuivre que par des moyens violents des réformes éphémères, il s’agit de savoir s’il y a encore parmi nous du dévouement, de l’esprit public, de la vie, ou si nous sommes une société assoupie, indifférente, léthargique, incapable d’une action suivie et tout au plus animée encore par quelques rares et vaines convulsions. »