« Murray Rothbard » : différence entre les versions

From Liberpédia
Line 29: Line 29:


===Les sophismes isolationnistes===
===Les sophismes isolationnistes===
De même qu'en théorie économique Murray Rothbard  recommandait une politique monétaire  incompatible aussi bien avec ses propres principes politiques qu'avec  l'ajustement monétaire,  en politique internationale sa pensée  était marquée par des ''erreurs de raisonnement''  nés de la volonté d'appliquer l'approche philosophique au-delà des limites de sa validité.
De même qu'en théorie économique Murray Rothbard  recommandait une politique monétaire  incompatible aussi bien avec ses propres principes politiques qu'avec  l'ajustement monétaire,  en politique internationale sa pensée  était marquée par des ''erreurs de raisonnement''  nées de la volonté d'appliquer l'approche philosophique au-delà des limites de sa validité.


====L'erreur de catégorie de la politique étrangère ''a priori''====
====L'erreur de catégorie de la politique étrangère ''a priori''====

Revision as of 1 January 2006 à 01:38

Rothbard.jpg

Murray Newton Rothbard (2 mars 1926 - 7 janvier 1995), fut un économiste américain, théoricien de l'Ecole autrichienne d'économie (élève de Ludwig von Mises), du libéralisme et de l'anarcho-capitalisme.


L'économiste du laissez-faire

En économie, Murray Rothbard a popularisé la pensée de Ludwig von Mises, dans un langage et avec des arguments plus propres à convaincre les économistes contemporains, formés à l'empirisme. Son premier essai économique fut un coup de maître : dans un recueil d'articles publiés en 1956, sous le nom de Towards Liberty il publiait un article intitulé "Toward a Reconstruction of Utility and Welfare Economics", il y réfutait dès l'origine ces rationalisations encore courantes de l'étatisme que sont les "externalités" et les "services collectifs" — aussi parfois appelés "biens publics", montrant que ces rationalisations refusent le seul critère objectivement observable de l'accroissement d'utilité — l'action volontaire — au profit de gloses arbitraires sur des préférences dont la prétendue mise en forme mathématique n'est là que pour faire oublier qu'en réalité on ne peut pas les connaître, ni les mesurer, ni les comparer : l'action, et seule l'action, permet de connaître les préférences, elle en est la preuve authentique et unique.

Le critère de la préférence démontrée comme seule preuve de l'action productive permettra à Rothbard de dépasser son maître Mises dans la compréhension du monopole. Mises admettait la possibilité d'un "monopole" sur un marché libre ; dans le chapitre 10 de Man, Economy and State, intitulé "Monopole et concurrrence", Rothbard démontre que le concept est contradictoire — et il l'est depuis ses origines grecques : toute forme d'organisation contractuelle est a priori productive (et conforme à la justice naturelle), tout acte de violence agressive fausse la concurrence (et viole la justice naturelle) et de ce fait mérite qu'on l'appelle "privilège de monopole".

C'est ainsi que Murray Rothbard établit le caractère productif de tout acte pacifique, et l'impossibilité de prétendre scientifiquement qu'un acte qui viole le consentement d'un propriétaire ajouterait à une quelconque "production totale". Ce qui lui pemet de conclure que le laissez-faire capitaliste réalise la production maximum, et que quiconque affirme que l'intervention de l'état pourrait accroître cette production est ipso facto un charlatan.

À l'imitation de L'Action humaine de von Mises, Rothbard entendait mettre en avant un système complet d'économie politique. D'où les deux tomes de Man, Economy and State, complétés par Power and Market, développement des effets destructeurs de l'intervention étatique déjà évoqués à la fin du premier Traité. Rothbard y fait un large usage du raisonnement à l'équilibre, mais dans les conditions énoncées par Mises. Il y développe aussi la théorie autrichienne de la conjoncture, et le caractère nécessaire du revenu d'intérêt.

L'épistémologue réaliste

Rothbard a aussi établi la "Loi de Rothbard", loi empirique comme quoi c'est dans le domaine où ils sont les plus mauvais que les gens se croient les meilleurs, et s'est employé à l'illustrer lui-même : disciple du plus grand économiste monétaire du XXe siècle, Ludwig von Mises, il a réussi à ne pas comprendre les conditions de l'ajustement monétaire et à prôner l'étalon-or avec 100% de réserves, ce qui est aussi incompatible avec la liberté des contrats qu'implique sa philosophie politique qu'avec toute compréhension de ce qu'est un instrument financier.

Si Rothbard était capable de remettre en cause les plus anciens concepts, et de reconnaître pour vrais des faits généraux de l'action humaine qu'on ne peut pas imaginer autres qu'ills ne sont, c'est parce que Rothbard ne cherchait pas à "vérifier" expérimentalement les propositions de type 2 + 2 = 4. Il tenait pour définitivement établi tout axiome, c'est-à-dire toute proposition dont on est obligé de se servir au cours de toute tentative pour la réfuter. C'est dire qu'il n'était pas empiriste ni positiviste.

Ce parti pris permet aux économistes autrichiens de se libérer des analyses et des concepts qui dépendent de la possibilité d'obtenir des statistiques dans les domaines qui relèvent de la seule logique. Par exemple dans celui de l'incertitude, ou dans celui de l'information, tout comme celui du monopole. Pour illustrer les progrès possibles en appliquant cette méthode appropriée à son objet , on peut rappeler que, s'il a fallu 70 ans à Hayek pour comprendre que la "justice sociale" n'a pas de sens comme concept normatif, c'est parce qu'il faut commencer par se poser la question.

Cependant, à la différence de Mises, Rothbard fondait le raisonnement logique non sur une conception kantienne de l'apriori mais sur une théorie aristotélicienne des concepts, qu'on pourrait rattacher à l'objectivisme de Ayn Rand, Nathaniel Branden et Leonard Peikoff. Ainsi, c'est dans la tradition même d'Aristote qu'il l'avait réfuté sur le monopole, comme Böhm-Bawerk en 1881 sur le revenu d'intérêt.

Le philosophe politique

Il restait à démontrer que le laissez-faire capitaliste est conforme à la justice : c'est ce qu'il fait dans L'Éthique de la Liberté. Il y montre que la seule définition cohérente de la justice est la propriété naturelle, la libre disposition reconnue comme juste de toute possession qu'on n'a pas volée, c'est-à-dire prise à un autre sans son consentement. L'Éthique de la liberté décline les conséquences de cette définition, reprenant de nombreuses solutions de la tradition juridique et en contestant d'autres.

L'application des principes libéraux se heurte évidemment aux dilemmes qu'engendre l'emploi de la force pour protéger le Droit, dans la mesure où, sans l'avoir voulu, cet emploi de la force implique le risque de faire du tort à des innocents. Murray Rothbard n'en tirait pas des conclusions pacifistes ni non-violentes. Dans L'Éthique de la liberté, il a cherché à définir, de façon forcément contestable, les cas où cet emploi de la force reste justifié. Rothbard condamnait les guerres du XXe siècle avec leur proportion croissante de civils massacrés, interprétant à sa manière leur déroulement ainsi que ce qu'il pouvait comprendre de la politique internationale. Ses successeurs ont  "résolu" une bonne partie des cas de conscience posés aux décideurs politiques en réécrivant l'histoire ou en faisant comme s'ils n'existaient pas. À ce titre, ils méritent le titre d'historiens révisionnistes, certains d'entre eux dans tous les sens du terme.

S'opposant à l'ordre moral imposé par les hommes de l'État et dénonçant les subventions et privilèges de monopole que les hommes de l'état attribuent aux grandes entreprises, Murray Rothbard aurait pu passer pour « de gauche » sur l’échelle idéologique contemporaine. En fait, par son réalisme épistémologique et éthique, il appartenait bien davantage à la droite traditionnelle, la compétence économque en plus : à l'âge de 12 ans, il demandait à sa famille communiste ou anarchiste atterrée ce qu'ils reprochaient exactement à…  Francisco Franco ! Contre ce qui fait aujourd'hui l'essence de la gauche, il a toujours condamné au nom de l'objectivité du Bien les vices mêmes qu'il reprochait aux hommes de l'état de prétendre interdire en violation du Droit, et dénonçait plus que tout les mises en cause du Droit de propriété qu'inspirent le relativisme et le socialisme contemporains. Son anarchisme était un anarcho-capitalisme, et dénonçait en priorité l’intrusion des hommes de l'état dans les droits de propriété et dans l’économie de marché au moyen de contrôles, réglementations, subventions et interdictions.

Les sophismes isolationnistes

De même qu'en théorie économique Murray Rothbard recommandait une politique monétaire incompatible aussi bien avec ses propres principes politiques qu'avec l'ajustement monétaire, en politique internationale sa pensée était marquée par des erreurs de raisonnement nées de la volonté d'appliquer l'approche philosophique au-delà des limites de sa validité.

L'erreur de catégorie de la politique étrangère a priori

En effet la politique internationale, comme toute politique mais plus encore que la politique nationale parce qu'elle oppose deux ou plusieurs états, par définition agressifs et violents, est le domaine du dilemme, de la recherche du moindre mal, où les principes de la liberté ne peuvent pas s'appliquer directement ni certainement.

Au contraire, on ne peut connaître la politique à mener que par l'intuition politique, à la suite d'une une analyse approfondie de ses relations causales. Cela exige une connaissance, et une expérience directe des sociétés politiques en cause, ainsi de leurs relations mutuelles, qu'on ne peut évidemment pas acquérir si on croit pouvoir en décider à l'avance.

De même, l'opportunité d'une politique dépend essentiellement des circonstances, ne serait-ce que parce qu'elle dépend de rapports de forces qui changent constamment. Prétendre en décider a priori, c'est garantit l'échec de la politique en question; en quoi que celle-ci puisse consister.

Prétendre définir a priori une politique étrangère est donc une erreur de catégorie philosophique qui à son tour garantit l'incompétence en la matière de celui qui la commet.

Une conséquence logique du fait que l'opportunité d'une politique doit forcément dépendre des circonstances, que tout jugement sur celle-ci doit être le produit final d'une étude historique localisée et datée, et non d'un raisonnement philosophique général est que les notions mêmes d'"isolationisme" ou d'"interventionnisme", de "pacifisme" ou de "bellicisme" n'ont aucun sens dans l'absolu, c'est-à-dire indépendamment du contexte politique auquel le jugement d'opportunité s'applique.

Or c'est précisément ce que Murray Rothbard avait prétendu faire dans For a New Liberty : définir a priori l'isolationnisme comme "la" politique étrangère libérale.

Conséquence : quiconque a étudié sérieusement une question de politique internationale n'a pu que constater que Rothbard et les rothbardiens y méconnaissent les faits qui ne vont pas dans le sens de leurs conclusions préétablies. Ne connaissant que les États-Unis et et se croyaient dispensés de connaître les autres états, ils n'ont pas mesuré à quel point ces derniers étaient plus criminels et menteurs encore, de sorte qu'ils ont plus souvent qu'à leur tour pris le parti des pires assassins contre ceux qui essayaient de les neutraliser, et repris à leur compte les mensonges de leur propagande.

Cette erreur de catégorie s'accompagne de sophismes secondaires :

Le leurre des frontières

Le leurre des frontières consiste à croire que les lois de la politique seraient différentes à l'étranger : 

Alors qu'il sait mieux que quiconque que si vous ne vous occupez pas de politique,  ça n'empêchera pas la politique de s'occuper de vous,  l'isolationniste rothbardien s'imagine que,  une fois passé les frontières,  alors il faudrait que ça change,  et qu'il n'y ait plus d'agresseurs chez les étrangers : 

"si on les laisse tranquilles,  ils nous laisseront tranquilles".

L'anthropologie pourrait suffire à dissiper cette illusion en réfutant ses présupposés racistes sous-jacents comme quoi les non-Occidentaux n'auraient pas d'efficace propre, et ne feraient que réagir aux initiatives des Occidentaux — lesquels, dans la version antiblancs de ce racisme-là, seraient les seuls qui puissent jamais commettre des agressions.

Cependant, l'histoire même des États-Unis aurait dû y suffire aussi : au cours du premier quart de siècle de leur existence,  les États-Unis ont été attaqués par les pirates barbaresques, par la France, et par l'Angleterre. C'est pour cela qu'ils ont passé le reste du XIX° siècle  à conquérir préventivement l'espace stratégique extérieur à leur état :  c'était cela la "Frontière". 

Maintenant que les territoires conquis y ont été incorporés,  on oublie qu'ils n'en faisaient pas partie et on prétend faire naître un "impérialisme" américain à la fin du XIX° siècle ;  cette façon d'écrire l'histoire  repose sur un choix tronqué,  et une interprétation contestable,  des événements,  qui laissent bel et bien soupçonner une recherche de preuves à l'appui exclusif de conclusions préétablies.

L'analogie verbale sur l'interventionnisme

Un sophisme plus simple est une confusion verbale : l'isolationnisme rothbardien prétend s'autoriser, pour affirmer que l'"interventionnisme" à l'étranger ne peut qu'échouer, du fait que l'"interventionnisme" économique échoue toujours à réaliser ses objectifs prétendus.

Or, si "interventionnisme" économique échoue bel et bien à réaliser ses objectifs prétendus, il réalise par définition l'un au moins de ses objectifs réels, qui est de voler les faibles et de donner aux puissants le butin de ce vol .

Pour ce qui est des objectifs affichés, si l'"interventionnisme" économique ne peut jamais qu'échouer, c'est parce qu'il prétend  servir la production alors qu'il est  par définition agressif,  et que la violence agressive est pure destruction

C'est cela, et cela seul qui relève du raisonnement a priori sur l'"interventionnisme" : toute extension de ce type de raisonnement au-delà de cette vérité axiomatique, ce que faisait Rothbard et font les rothbardiens, est sophistique et conduit inéluctablement à l'erreur.

C'est vrai des autres aspects de l'interventionnisme économique, comme l'identité réelle de ses victimes et bénéficiaires, qui relèvent bien des lois économiques a priori de l'incidence réelle et de la protection effective, mais pas indépendamment des circonstances.

C'est évidemment aussi vrai de l'"interventionnisme" à l'étrangertout ce qu'on peut savoir a priori c'est que des bandes d'agresseurs s'y opposent à d'autres bandes d'agresseurs, de sorte que logiquement, l'opportunité de prendre parti ou non pour les uns ou pour les autres ne peut pas, justement, se décider a priori.

Et pour ce qui est de l'efficacité de cette intervention-là,  c'est la victoire, et non la production qui est le critère ostensible de sa réussite ou de son échec,  et en outre cette violence peut parfaitement servir la production,  dans la mesure où elle s'en prend à des criminels, ce que sont par définition les hommes de l'état étrangers.

Une variante de ce sophisme verbal, empruntée à la gauche, et qui est lui aussi caractéristique de l'emploi illégitime de l'approche a priori dans un domaine qui relève de l'histoire, est l'argument du welfare-warfare state : il consiste à présenter comme un lien nécessaire et universel la coïncidence entre le dévelopemment de l'état-providence et la guerre observée aux États-Unis au cours des années 1960.

Sans même devoir expliquer cette coïncidence historique, il suffit d'un seul contre-exemple pour réfuter ces prétentions universelles, et on peut en donner deux : l'évolution de la Grande-Bretagne vers le laissez-faire au moment où elle développait son empire, et a contrario, l'expansion de l'état-providence bismarckien en Europe occidentale aux dépens de toute volonté de survie depuis le milieu des années 1960.

Les contradictions pratiques liées à l'objection de la complexité

La confusion verbale sur l'"interventionnisme" traduit parfois un argument plus subtil : celui-ci invoque l'opacité de la société à ceux qui prétendent la changer pour démontrer que la politique étrangère  est vouée à l'échec parce que la société y est trop complexe et imprévisible pour qu'on puisse y agir efficacement. 

C'est vrai que la politique internationale est encore plus complexe que la politique nationale ;  cependant, c'est un argument dont un rothbardien peut difficilement se servir sans contradiction, puisqu'il veut dire qu'il aurait dû l'étudier encore davantage pour éviter d'en dire n'importe quoi,  alors que lui prétend, avec sa "politique étrangère libertarienne" a priori,  qu'on s'en dispense complètement

En outre,  si le caractère opaque et imprévisible de la société vouait nécessairement à l'échec tout interventionnisme à l'étranger,  ce ne serait guère moins vrai de toute action politique,  y compris dans le cadre national. Or, que fait-on quand on dénonce une politique étrangère au nom  du caractère "inconnaissable et imprévisible" de la société internationale,  sinon de la politique,  dans le cadre à peine moins "inconnaissable et imprévisible"  de la société nationale ?

Pour établir définitivement le caractère sophistique de ce type d'argumentation,  il suffit de rappeler  qu'en politique il y a forcément à un moment ou à un autre un vainqueur et un vaincu :  ce fait suffit à réfuter  l'idée suivant laquelle toute politique serait nécessairement vouée à l'échec par le caractère opaque et imprévisible de la réalité sociale.

Il n'y a donc pas de politique inéluctablement vouée à l'échec parce que les événements sont par nature imprévisibles,  et une autre politique qui marcherait…  on ne sait trop pourquoi,  au juste, puisqu' ils le sont toujours, imprévisibles,  les événements. Il y a des politiques qui marchent parce qu'elles étaient adaptées à une situation complexe,  et d'autres qui échouent parce qu'elles ne l'étaient pas.

Si on veut une politique qui marche,  il faut  analyser la situation politique,  et non, en effet,  on n'a aucune garantie qu'on ne s'y trompe pas,  ni qu'un événement imprévisible ne viendra pas tout changer,  et oui, c'est parce que les gens sont rationnels et inventifs — et, à l'étranger, différents.  En revanche on sait  qu'il y aura un vainqueur et un vaincu, de sorte qu'on peut réussir,  mais qu'on peut aussi être écrasé — y compris si on ne fait rien.

Et on peut tout autant savoir  que si on prétend définir une politique  a priori,  c'est-à-dire sans savoir où on met les pieds, eh bien on est sûr de se faire écraser

Par conséquent, si l'argumentaire sur la complexité prouvait tout "interventionnisme" à l'étranger est forcément voué à l'échec, il prouverait la même chose de toute action politique y compris la sienne, et notamment de toute politique étrangère quelle qu'elle soit :  encore une fois, les frontières n'y changent rien.

Ce qui nous amène au dernier type de sophisme isolationniste rothbardien :

Le mythe de la politique innocente

L'isolationnisme rothbardien repose finalement sur le présupposé utopique suivant lequel certains types de choix politiques pourraient être exempts des incertitudes et des responsabilités morales qui sont en réalité inhérentes à la politique, de sorte qu'aucune politique ne peut en fait y échapper :

On vient de conclure que si  la complexité sociale  et le libre arbitre des acteurs vouait inéluctablement à l'échec l'intervention à l'étranger,  ce serait tout aussi vrai de n'importe quelle politique étrangère.

C'est le moment de rappeler que quand on peut agir,  ne rien faire,  c'est encore  agir.  C'est une illusion — du type "principe de précaution" — que d'imaginer que l'action aurait des conséquences tandis que l'inaction n'en aurait pas

Comme l'a montré l'exemple des socialismes léniniste et hitlérien, qu'on aurait pu et dû écraser dans l'oeuf,  l'inaction aussi a des conséquences imprévisibles et potentiellement catastrophiques sur une réalité opaque et dangereuse.

Refuser d'employer la violence contre un agresseur alors qu'on pourrait le faire, c'est autoriser ses agressions. Refuser  la violence contre les tyrans sous prétexte de ne pas "ajouter la guerre à la guerre",  c'est laisser libre cours  à la violence agressive, comme si on n'admettait pas que la violence peut et doit être défensive et réparatrice.

C'est facile d'avoir raison quand on écrit soi-même l'histoire

Rien n'est plus facile que de réécrire l'histoire  en disant que tout se serait mieux passé si les États-Unis n'étaient pas intervenus au cours de la Première guerre mondiale :  mais si c'est tellement facile,  c'est justement parce qu'on ne sait rien du tout de ce qui se serait passé autrement.  Et de toutes façons il faut  soigneusement choisir ses exemples pour prétendre,  faussement, tirer des conclusions générales de ce type d'histoire virtuelle réécrite.

Quant à réfuter cette histoire virtuelle réécrite il suffit,  pour y parvenir, de lui opposer à son tour  l'argument de l' opacité et de l' imprévisibilité —  en y ajoutant bien sûr celui de l'ignorance absolue.  

Ce n'est pas innocemment qu'on prend des positions politiques

Autre aspect de l'illusion de la politique innocente,  l'idée des rothbardiens suivant laquelle ils pourraient prendre des positions politiques sans se soucier de ses implications dans la société politique réelle

Ainsi, les rothbardiens s'étonnent périodiquement d'être mis dans le même sac que les fanatiques de l'"anti-impérialisme" esclavagiste-absurdiste qui,  comme eux, défendent les tyrans génocidaires à la suite de raisonnements absurdes,  alors que leurs raisonnements absurdes à eux sont différents

Cet étonnement leur vient de l'incapacité qu'ils se sont infligés à eux-mêmes de faire une analyse politique.  Pour ceux qui la pratiquent naturellement, cette analyse politique,  il est évident que dans un conflit il y a deux camps,  et que si on dénonce  l'un  on est dans l'autre ;  évident qu'en temps de guerre,  ceux qui demandent à leur état d'abandonner le combat militent pour la victoire de ses ennemis

Si on ne le comprend pas, on ne devra pas être surpris que qu'autres le comprennent quand même et en tirent les conséquences.

Conclusion : si on veut faire de la politique, il faut en admettre l'ensemble des règles et implications

Murray Rothbard et ses successeurs en politique étrangère ont dénoncé certaines politiques pour en exiger une seule autre, au nom de postulats généraux qui sont controuvés,  notamment :

— l'affirmation implicite de prétendues "différences de nature" entre les politiques qu'ils critiquent et la leur, et qui n'existent tout simplement pas.

Ces erreurs s'ajoutent à

— leur prétention sophistique à trancher a priori  de la politique étrangère, qui garantit l'incompétence de quiconque en est la dupe ;

En termes libertariens,  la politique internationale traite par définition de conflits complexes entre bandes de criminels.  Si on prétend en juger on doit analyser à chaque fois  la situation politique concrète,  pour savoir quelle démarche se trouve être la moins nuisible,  et quand, et où.

Il y a toujours eu de la jalousie dans l'hostilité de Rothbard et des rothbardiens envers les néo-conservateurs ;  mais si les néo-conservateurs,  eux,  ont un pouvoir alors que les rothbardiens n'en ont pas,  c'est aussi parce qu'ils ne se sont pas, à la suite de faux raisonnements,   dispensés d'étudier sérieusement la politique internationale.

L'historien de la société

Outre ses œuvres dans les domaines de l'économie et de la politique, Rothbard s'est également intéressé à l'histoire économique. Il a commencé sa carirère avec Conceived in Liberty, histoire des Etats-Unis avant la Déclaration d'indépendance. En 1963, il publiait America's Great Depression, explication autrichienne de la crise de 1929 et des sottises de la politiques américaine avant et après que l'historien Paul Johnson devait reprendre dans son ouvrage Modern Times. Il est un des rares auteurs qui ait disserté dans son œuvre Perspective autrichienne sur l'histoire de la pensée économique sur les écoles qui ont précédé Adam Smith, telles que celles des scolastiques et des physiocrates.

Le politicien manqué

L'action partisane de Murray Rothbard ne traduit pas une intuition de l'opportunité politique aussi sûre que la plupart de ses démonstrations de philosophie et d'économie politiques. Elle a au contraire traduit les difficultés du philosophe qui voudrait bien appliquer directement ses principes de justice face à une société politique complexe et changeante, et dont la plupart des acteurs cherchent justement à les violer, ces règles de justice.

Incompétent en politique intérieure

Ainsi, Murray Rothbard n'a pas réussi à donner une importance réelle au Libertarian Party américain qu'il avait contribué à fonder. Chercheant à peser sur la politique sans transiger sur ses principes, il s'est retrouvé à prendre des positions politiques qui n'étaient pas seulement fluctuantes mais le mettaient en porte-à-faux vis-à-vis des "camps" susceptibles de prendre le pouvoir.

Pendant la guerre du Vietnam, on l'a vu s'acoquiner avec la gauche communiste et défaitiste qui a provoqué en 1975 la chute du Sud-Viêtnam avec les 3 millions d'assassinats qui en ont résulté. Après que Reagan, qu'il traitait d'"idiot", avait gagné la Guerre froide, son dégoût des candidats réellement éligibles aux postes de pouvoir l'a conduit à faire gagner la gauche en 1992 en soutenant ce candidat de diversion qu'était Ross Perot, puis donner son appui au socialiste de droite (protectionniste) Patrick Buchanan.

À la fin de sa vie, il passait moins de temps à dénoncer les pires ennemis de la liberté que ses alliés potentiels dans l'arène politique, parce que ceux-ci font une analyse réaliste de la situation politique et admettent que pour y exercer une influence il faut afficher une position claire et compatible avec l'appartenance à un camp.

Nuisible en politique étrangère

Ses positions en politique étrangère traduisaient en outre ses erreurs philosophiques en la matière. Murray Rothbard, qui ne lisait aucune langue étrangère et qui avait peur de prendre l'avion, aurait pu s'y reconnaître incompétent. Au lieu de cela, élevé dans la tradition isolationniste du Sénateur Taft, et croyant pouvoir y appliquer directement ses principes, il prétendait définir a priori une politique étrangère libertarienne comme "non interventionniste".

Fort de cette erreur de catégorie, connaissant mieux que quiconque les turpitudes de son propre état et incapable de mesurer celles des autres, il n'a cessé de dénoncer la politique étrangère des seuls États-Unis, exaltant à l'occasion les pires tyrannies et répétant leurs mensonges de propagande.

Certains de ses successeurs le suivent encore sur cette voie, le génie en moins. Sans influence aucune, ils cherchent parfois à se donner de l'importance par des déclarations scandaleuses au profit de quelque génocideur ennemi de leur pays, en espérant que les commentateurs qui comptent à droite leur feront l'aumône d'une dénonciation.

Oeuvres