Les Dangers de la réglementation : une approche par les processus de marché
Par Israel Kirzner, Professeur à New York University
Titre original : The Perils of regulation: A Market-Process Approach (1978) A l'époque où il a écrit cet ouvrage, Israel M. Kirzner était Professeur d'Economie au Département d’économie de New York University. Connu pour ses travaux sur la théorie des marchés et de l'entrepreneur, ses livres comprennent aussi The Economic Point of View (1960), Market Theory and the Price System (1963), An Essay on Capital (1966), Competition and Entrepreneurship (1973) et Perception, Opportunity and Profit (1983). Auteur de nombreux articles et recensions, le Pr. Kirzner a pris la parole dans plus de quarante séminaires et congrès professionnels. Le Pr. Kirzner a été diplômé summa cum laude de Brooklyn College ; il a reçu en économie un M.B.A. et (l'un des quatre docteurs de Ludwig von Mises) un Ph.D à New York University.
INTRODUCTION
Cela fait au moins deux siècles que les économistes débattent des mérites de la réglementation pour l'économie de marché. Au cours des décennies récentes, cependant, ce débat paraissait s'estomper et il a semblé, pendant un certain nombre d'années, que les économistes, à très peu d'exceptions près, approuvaient (et en fait participaient à propager) une opinion fortement favorable à une intervention massive de l'Etat sur le marché. Ce n'est que récemment que le balancier de l'opinion savante a commencé à s'écarter d'une position carrément interventionniste, permettant de renouveler le débat classique sur la réglementation publique de l'économie.
Une position favorable à une réglementation substantielle du marché par les hommes de l'Etat doit naturellement être fortement distinguée des critiques révolutionnaires du capitalisme. La position interventionniste, à la différence des critiques révolutionnaires, apprécie en général complètement le rôle du système de marché dans une allocation efficiente des ressources. La position interventionniste accepte complètement le théorème central de l'économie du bien-être comme quoi le marché concurrentiel en équilibre général réaliserait l'optimalité au sens de Pareto, à partir d'hypothèses appropriées. Cependant, ils considèrent que l'intervention est nécessitée par l'impossibilité, dans le monde réel, de réaliser les conditions nécessaires à un équilibre parfaitement concurrentiel. Du fait des "défaillances" chroniques du marché attribuables à la violation de ces hypothèses, la position interventionniste juge indispensable que les hommes de l'Etat modifient activement le fonctionnement du marché libre par des doses substantielles, voire massives, d'intervention et de réglementation. La position interventionniste tient que l'économie de marché, convenablement modifiée par une combinaison judicieuse de contrôle public sur les prix, la qualité des produits, et l'organisation de l'activité, peut obtenir des résultats raisonnablement satisfaisants. Cette position a si bien pris auprès des universitaires que l'interventionnisme, toujours appuyé par l'intuition du profane, est pratiquement devenu une orthodoxie incontestée.
Cela ne fait que peu de temps que cette orthodoxie a commencé à s'effondrer. Le profane comme l'économiste ont commencé à soupçonner que les interventions de l'Etat, particulièrement celles qui limitent la concurrence et contrôlent les prix, conduisent en permanence à des conséquences indésirables. La confiance dans la capacité des décideurs publics à élaborer un programme utile de contrôles pour corriger les "défaillances" du marché sans entraîner de nouveaux problèmes attribuables à l'action de l'Etat elle-même, cette confiance a été assez complètement ébranlée.
Pour une grande partie du public, et même pour les économistes, l'effondrement de l'orthodoxie a été une surprise brutale, sinon un choc et un bouleversement. Il incombe maintenant aux économistes de réexaminer la théorie du marché. Ils ont commencé à voir que le postulat suivant lequel le marché peut s'approcher d'un équilibre concurrentiel est plus solide qu'on ne l'avait pensé jusqu'à présent. Ils ont avancé l'idée que les réglementations de l'Etat produisent leurs propres distorsions indésirables dans les résultats du marché. Finalement, les économistes ont commencé à comprendre que les déterminismes de la réglementation tendent à assurer que les interventions sur le marché auront bien plus de chances d'être entreprises pour promouvoir les intérêts de groupes particuliers (sans excepter les réglementateurs eux-mêmes) que ceux du public en général.
Cette étude vise elle aussi à attirer l'attention sur des problèmes qui semblent être des résultats inéluctables de l'intervention de l'Etat sur les marchés. Cependant, l'approche adoptée ici diffère substantiellement de celles que je viens de mentionner, en ce qu'elle ne postule pas la réalisation instantanée ni même rapide d'un équilibre sur le marché libre. Elle n'insiste pas non plus sur les distorsions indésirables dans les conditions d'équilibre induites par les réglementations publiques. Enfin, pour simplifier les choses, on supposera dans cette discussion que les contraintes imposées et suivies par les réglementateurs ont eu pour intention délibérée de promouvoir les seuls intérêts du public consommateur. La thèse développée ici vise à prouver que c'est avec le processus entrepreneurial —dont dépendent le plus sûrement les vertus que ses critiques interventionnistes concèdent en principe au marché— que l'intervention interfère de façon nuisible.
Pour éviter les malentendus, soulignons que je n'entends en rien minimiser l'impact des conséquences de la réglementation dont mon argumentation ne dépend pas. On ne peut douter sérieusement que bien des réglementations ont été inspirées, consciemment ou non, par d'autres considérations que le souci de contribuer au bien public (1). Et la tendance des interventions de l'Etat à engendrer des tendances vers des configurations d'équilibre sub-optimal a certainement été démontrée par les économistes, de BASTIAT à FRIEDMAN (2). Je me borne à avancer que, si indubitablement valides que soient ces approches critiques de l'interventionnisme, elles n'épuisent pas tous les aspects du phénomène à examiner. Pour affiner la présentation de l'approche empruntée ici, on suppose que les réglementations sont imposées et suivies avec le seul bien-être du public à l'esprit. Il est incontestable que nombre des conséquence indésirables de la réglementation peuvent être attribuées à la tendance qu'elle a à servir les intérêts des réglementateurs. Je maintiens que, tout à fait à part de telles difficultés, la réglementation engendre la confusion et l'inefficacité économiques. Confusion et inefficacité qui peuvent être perçues plus clairement si on fait abstraction, pour les besoins de la démonstration, des autres difficultés qui naissent de l'intérêt personnel des hommes de l'Etat.
L'INTERVENTIONNISME ET LE SOCIALISME : UN PARALLELE
La surprise et le désarroi ressentis aujourd'hui par tellement de gens, économistes et autres, devant l'incapacité de mesures interventionnistes bien intentionnées à créer autre chose que des inefficacités qui leur sont propres, rappelle à plusieurs égards la surprise et l'inquiétude ressentis il y a quelque soixante ans, lorsque MISES démontra pour la première fois, par une démonstration théorique, qu'une économie socialiste était incapable d'exécuter le calcul économique nécessaire à l'efficacité sociale. Il est instructif de poursuivre plus avant ce parallèle ; en effet, correctement entendu, l'argument de MISES concernant les économies socialistes, c'est-à-dire planifiées en dehors du marché, inspire des aperçus utiles sur le fonctionnement de l'économie de marché entravée, c'est-à-dire sujette à intervention. Ce fut l'incapacité des lecteurs de MISES à comprendre le fonctionnement de l'économie de marché qui les conduisit à supposer sans examen qu'une société socialiste, en principe, n'aurait pas nécessairement de difficultés à atteindre cette efficacité sociale. Qu'on ait brusquement compris que cela n'allait pas forcément de soi explique la surprise et la gêne provoquées par le fameux article de MISES. L'orthodoxie aujourd'hui chancelante sur laquelle l'approche interventionniste reposait jusqu'à une période très récente reflète certaines incompréhensions quant au fonctionnement des marchés ; et ce sont des malentendus qui présentent une similitude remarquable avec ceux qu'avait identifiés MISES et, après lui, HAYEK. Ces erreurs, dont les racines sont profondes, semblent responsables de le l'étonnement et du désarroi ressentis en comprenant que l'intervention de l'Etat pourrait bien être elle-même le problème, et non la solution qu'elle avait si évidemment paru constituer.
Le marché entravé, contrôlé, évidemment, n'est pas identique à une économie complètement socialisée, que MISES et HAYEK avaient étudiée. Dans l'économie socialiste ainsi définie, il n'y a pas de marché du tout, libre ou pas, pour les services productifs. Dans l'économie socialiste, par conséquent, il ne peut pas y avoir de prix de marché pour ces services. Cette absence de prix de marché est cruciale pour la critique du socialisme que font MISES et HAYEK. L'économie de marché réglementée, d'un autre côté, aussi entravé que soit son fonctionnement, est sans aucun doute une économie de marché, dans laquelle des prix émergent à partir de l'interaction des gens à la recherche du profit. La critique de MISES et HAYEK n'est donc pas, sous cette forme, applicable au marché réglementé.
Un bref réexamen de cette critique, néanmoins, paraît utile pour une évaluation informée de la réglementation. En effet, la discussion de HAYEK et MISES permet d'apprécier le fonctionnement du processus de marché en révélant les énormes difficultés auxquels les planificateurs font face quand ils essaient d'imiter les résultats d'une économie de marché tout en refusant d’en avoir une. Cette discussion révèle aussi les risques associés à l’approche des réglementateurs lorsqu'ils essaient d'améliorer la performance économique. De même qu'une tentative pour obtenir l'efficacité sociale par la planification centrale plutôt que par les processus spontanés du marché est pour HAYEK et MISES nécessairement vouée à l'échec, de la même façon, pour des raisons essentiellement semblables, les tentatives faites pour contrôler les résultats du marché par une action réglementaire délibérée et extérieure au marché, tendent nécessairement à engendrer des conséquences inattendues et tout-à-fait indésirables.
Nous nous tournerons donc vers un bref résumé du débat sur le calcul économique en régime socialiste, en attirant particulièrement l'attention sur une incapacité fort répandue à apprécier complètement certains éléments de la critique de MISES et HAYEK. Ce sont ces éléments importants, en fait, qui se trouveront constituer la base de notre analyse critique de la réglementation publique dans l'économie de marché. Ces éléments sous-tendent notre perception du parallélisme entre une critique de l'interventionnisme sur le marché d'un côté, et du socialisme sans marché de l'autre.
Mises et Hayek sur le socialisme
La démonstration de MISES sur le problème du calcul économique qui se pose au planificateur socialiste fut présentée pour la première fois en 1920 (3). La démonstration fut répétée par la suite dans des termes plus ou moins similaires (avec une attention critique aux tentatives faites par les économistes socialistes pour répondre à son défi) dans plusieurs des livres ultérieurs de MISES (4). HAYEK consacra d'abord deux articles au problème, qui introduisaient et résumaient respectivement le débat sur le calcul économique sous le socialisme dans le volume d'articles sur le sujet qui parut en anglais en 1935 (5).
Un troisième article important, paru en 1940, contient l'appréciation la plus complète de HAYEK sur le sujet (6). Nombre d'auteurs sur le Continent, en Angleterre et aux Etats-Unis, essayèrent de répondre aux arguments de VON MISES, le plus notable étant OSKAR LANGE (7). Un compte-rendu exhaustif de la littérature sur le sujet au début de la seconde guerre mondiale, faite par un économiste norvégien, fut disponible en anglais en 1949 (8).
Pour MISES, l'élément qui définit le socialisme est la détention à titre "collectif" des moyens de production, en particulier la terre et le capital. Il s'ensuit, par conséquent, que dans le socialisme il n'existe aucun marché pour les facteurs de production ou pour leurs services. A défaut de propriété privée, il ne peut pas exister d'échanges marchands entre des propriétaires individuels ; en l'absence d'échanges marchands, il ne peut pas exister de taux d'échange : c'est-à-dire qu'il n'y a pas de prix de marché. MISES pense que c'est dans l'absence de prix des services productifs que se trouve l'essence de la difficulté. En l'absence de prix, les décideurs socialistes (les planificateurs centraux et leurs subordonnés, gérants des entreprises collectivisées) ne disposent pas d'indicateurs pertinents (de prix) indiquant l'importance économique relative des divers services productifs dans leurs divers usages éventuels. Les planificateurs socialistes ne peuvent pas savoir si l'allocation d'une unité d'une ressource particulière ou d'une ligne spécifique de production est plus ou moins désirable que son remplacement par une autre quantité d'une autre ressource, qu'il est techniquement possible de substituer à la première. Les planificateurs ne peuvent pas savoir à l'avance où l'efficacité a des chances de se trouver, pas plus qu'ils n'ont les moyens de savoir après coup si l'efficacité a été atteinte ni dans quelle mesure.
Le professeur ARMENTANO illustre cet argument de MISES en imaginant un directeur socialiste ayant à choisir entre la construction d'une usine électrique utilisant du combustible organique, et une autre qui utilise du combustible nucléaire. Comme c'est l'Etat qui possède toutes les ressources, il n'existe de prix objectifs en monnaie pour aucune des ressources nécessaires à chacun des projets entre lesquels il faut choisir. Le planificateur socialiste n'a aucun moyen de savoir quel projet est le meilleur marché, lequel offre la rentabilité la plus élevée, lequel, en somme, est la façon la plus efficace de produire de l'électricité.
"Si on construit l'usine à un certain moment, en un certain lieu et avec certaines ressources, il s'agira d'une décision 'arbitraire' et non d'une décision 'économique'" (9).
La discussion la plus complète du problème par HAYEK parut en 1940, comme un compte rendu analysant en particulier les contributions de deux économistes socialistes, OSKAR LANGE et H. D. DICKINSON (10). LANGE comme DICKINSON concédaient que le calcul économique est impossible s'il n'y a pas de prix pour les facteurs de production (11). Ils faisaient remarquer, cependant, qu'un prix n'a pas besoin d'être un taux d'échange établi sur un marché. Pour eux, la notion de "prix" peut être entendue plus largement comme "les termes auxquels on offre la possibilité d'un choix". En utilisant les prix dans ce sens plus général, affirmaient-ils, il existe toute possibilité de construire une économie socialiste où les "prix" seraient annoncés par les autorités planificatrices et utilisés comme guides dans leurs décisions par les gestionnaires socialistes (à qui on donne l'ordre de suivre des règles spécifiques dans lesquelles figurent ces "prix"). Ces auteurs pensaient que les autorités pouvaient gérer l'ajustement des prix sur la base d'essais et d'erreurs, la relation entre l'offre et la demande perçues indiquant aux autorités là où il faudrait faire les ajustements. Ainsi, disaient les auteurs socialistes, une économie socialiste pourrait réaliser une allocation efficiente des ressources en l'absence de marchés pour les facteurs de production, et sans décisions d'entrepreneurs maximisant le profit.
La critique faite par HAYEK aux propositions de LANGE et DICKINSON fut longue et détaillée. Il considérait leur approche comme une amélioration considérable par rapport aux réactions plus anciennes des socialistes à MISES, où la nature du problème était à peine perçue. Pourtant, il continuait à trouver les propositions de LANGE et DICKINSON largement déficientes à la fois dans leur perception du problème à résoudre, et dans celle des difficultés de la solution proposée. La différence, écrit HAYEK, entre le système de "tarifs administrés" proposé par les économistes socialistes, et un système de prix déterminés par le marché, semble à peu près être la même qu'entre une armée en marche où chaque unité et chaque homme ne pourrait agir que sur un ordre spécial indiquant quel mouvement, et une armée où chaque unité et chaque homme peut tirer parti de chaque occasion qui s'offre à lui (12).
La littérature savante et le calcul économique dans la planification
Malgré la force de la critique par Hayek des propositions de Lange et Dickinson, la littérature des manuels après-guerre, curieusement, en vint à présenter les résultats du débat de l'entre-deux-guerres comme si l'affirmation initiale de MISES (comme quoi le calcul économique est impossible sous le socialisme) avait été réfutée par LANGE, DICKINSON et LERNER (13). Plusieurs auteurs ont noté que cette vision propagée par la littérature est sérieusement erronée (14). Un réexamen attentif du débat dévoile assurément que c'est à peine si la solution de DICKINSON, LANGE et LERNER aborde les difficultés exposées par MISES et HAYEK. La littérature des manuels n'a pas tant refusé de tenir compte des arguments de MISES et HAYEK qu'elle n'a été incapable de comprendre la conception du processus de marché qui sous-tend leur critique du calcul économique socialiste. En fait, les auteurs des propositions socialistes présentaient leur solution à partir d'un point de vue sur la nature et le fonctionnement d'une économie de marché qui différait fortement de la perspective "autrichienne" que partageaient MISES et HAYEK. Mon but, en attirant l'attention sur cette vision défectueuse du marché reflétée par les écrits de LANGE et DICKINSON, n'est pas seulement d'éclairer le débat sur le calcul économique socialiste (question qui n'est que tangentiellement pertinente à notre discussion à nous, qui porte sur l'efficacité dans une économie de marché réglementée) ; car les aperçus sur le processus de marché qu'exprime la vision de HAYEK et de MISES et que néglige la proposition de LANGE-DICKINSON deviennent cruciaux pour une critique des théories économiques de la réglementation.
La réponse que LANGE fit à MISES mettait beaucoup l'accent sur la "fonction paramétrique des prix, c'est-à-dire sur le fait que chaque individu considère les prix effectifs du marché comme des données auxquelles il doit s'ajuster" (15). Pour LANGE, chaque personne sur le marché traite les prix comme s'il s'agissait de prix d'équilibre auxquels il doit s'ajuster passivement. S'il se trouve que les prix ne sont pas des prix d'équilibre, alors ces prix doivent d'une manière ou d'une autre changer "par une série d'essais successifs" —les prix augmentant là où la demande dépasse l'offre, et ainsi de suite (16). LANGE ne traite pas la question de savoir comment les prix de marché changent dans la réalité si chaque personne à tout instant considère les prix comme des données auxquelles il doit s'ajuster en silence.
Pour Lange, en fait, le rôle que jouent les prix dans l'efficacité des marchés est simplement celui que jouerait un vecteur de prix à l'équilibre. Les prix, en somme, fournissent les paramètres qui guident les participants au marché, afin qu'ils s'engagent dans des activités qui soient compatibles avec les conditions de l'équilibre. Lange, on peut le comprendre, pensait que cette fonction des prix pouvait être simulée dans une économie de marché. On pouvait alors donner aux gestionnaires socialistes des listes de "prix" auxquels ils pourraient réagir conformément à des règles bien définies (analogues, mais naturellement pas "identiques" à celles que les décideurs capitalistes sont censés suivre). Lange croyait que la tâche de s'assurer que les listes de "prix" seraient ceux qui sont nécessaires pour assurer l'efficacité globale de l'économie socialiste, cette tâche pourrait une fois de plus être remplie en simulant (ce qu'il pensait être) la procédure d'essais et d'erreurs pratiquée sur le marché.
Mais c'est là que réside l'incompréhension cardinale de Lange : il supposait qu'il existe dans le marché une procédure (impliquant une "série d'essais successifs") par laquelle les prix sont d'une certaine manière ajustés vers l'équilibre sans altérer essentiellement le caractère et la fonction paramétrique des prix (c'est-à-dire sans s'éloigner de la supposition que chaque personne considère séparément les prix comme des données "données", qu'il n'a pas le pouvoir de changer). Cependant, dans le processus de marché qui ajuste les prix en direction de l'équilibre, les prix ne sont pas des données paramétriques : c'est là, au contraire, qu' ils s'y forment, à l'occasion d'une concurrence vive et acharnée.
En soulignant uniquement la fonction "paramétrique" des prix de marché, Lange passait à côté du rôle central du marché.
La fonction première du marché n'est pas d'offrir un lieu où les participants peuvent coordonner gentiment leurs actions en se référant à des listes de prix. La fonction essentielle du marché est plutôt d'offrir une arène où les participants, exploitant en entrepreneurs les écarts de prix par rapport à l'équilibre, peuvent pousser ces prix vers l'ajustement. Dans ce processus entrepreneurial, on ne traite pas les prix comme des paramètres. Et ils n'y changent pas non plus de manière impersonnelle en réponse à un excès d'offre ou de demande. ue Lange suppose que les gestionnaires socialistes peuvent être incités à suivre des règles à partir de listes de prix" donnés, promulgués par l'autorité centrale (de la manière dont on peut imaginer que des capitalistes traiteraient des prix d'équilibre donnés sur le marché) (17), c'est une chose. C'en est une autre, et de taille, que de supposer que le rôle non-paramétrique du prix dans le système de marché, celui qui dépend de l'attention donnée par l'entrepreneur aux occasions de pur profit, ce rôle pourrait être simulé dans un système d'où on aurait excisé la fonction de l'entrepreneur-spéculateur.
Que Lange n'ait pas compris cette fonction non-paramétrique des prix doit certainement être attribué à ce qu'il percevait d'abord le fonctionnement du marché en termes d'équilibre de "concurrence parfaite". (En fait c'est cette approche pour manuels de la théorie des prix que Lange présente explicitement comme son modèle pour une tarification socialiste (18)). Dans les limites de ce paradigme, comme on le sait bien maintenant, le rôle de la recherche du profit pur par l'entrepreneur, comme l'élément-clé de l'ajustement des prix, est complètement passé sous silence. Il n'est pas difficile de voir comment Lange pouvait conclure qu'un tel système (où l'entrepreneur est traité par prétérition) pouvait faire l'objet d'une simulation.
A l'opposé, MISES et HAYEK concevaient le système des prix sous le capitalisme d'un point de vue entièrement différent -le point de vue 'autrichien'-. Pour ces auteurs, l'essence du processus de marché ne se trouve pas dans la fonction "paramétrique" des prix, et certainement pas dans l'état d'équilibre de "concurrence parfaite" mais dans l'activité d'entrepreneurs rivaux qui tirent parti des conditions de désajustement. Le débat entre Lange et Dickinson d'un côté, MISES et HAYEK de l'autre, peut avantageusement se représenter comme un conflit entre deux visions opposées du système de prix. Les conceptions misésiennes du marché comme un processus ont été plus complètement développées dans un certain nombre de ses oeuvres (19). L'idée du marché comme processus dynamique est au coeur de cette conception. La conception hayékienne du système de prix a été formulée (pendant cette période même où il écrivait ses articles critiques sur le calcul économique dans le socialisme) dans une série remarquable d'articles sur le rôle de l'information et de la découverte dans les processus du marché (20).
Que les manuels aient incorrectement présenté le débat sur le calcul économique socialiste comme gagné par Lange, doit être attribué non pas à un parti-pris idéologique (quoiqu'il n'ait pas dû être complètement absent), mais dans une incapacité totale à comprendre les failles de l'argumentation de Lange (failles que HAYEK avait bel et bien identifiées). Aveugles à l'arrière-plan autrichien de la critique hayékienne, les économistes anglo-saxons virent dans Lange une application cohérente de la théorie des prix. La critique de HAYEK ne fut tout simplement pas comprise.
Le processus de marché : l'approche autrichienne (21)
Avant de retourner au thème de l'efficacité dans une économie réglementée, il est utile de revoir quelques-unes des leçons autrichiennes à tirer du débat sur le calcul économique socialiste. La compréhension autrichienne du marché comme un processus dynamique de découverte engendré par une course entrepreneuriale-concurrentielle à la recherche du profit pur, peut être exposée par une brève discussion de quelques concepts-clés. Etre sensible à ces idées permet de mieux appréhender des problèmes de la réglementation publique qui pourraient sans cela être facilement ignorés. C'est en partie parce que les termes qui conviennent à l'exposition de ces concepts sont aussi utilisés dans des contextes non autrichiens, avec des sens plutôt différents, que les idées développées ici sont si souvent mal comprises, et nécessitent donc qu'on les précise quelque peu.
La concurrence
Ce qui maintient le marché en mouvement est la concurrence - non pas la concurrence au sens de "concurrence parfaite", dans laquelle une "connaissance parfaite" serait combinée avec un très grand nombre d'acheteurs et de vendeurs pour engendrer un équilibre pérenne- mais la concurrence au sens des activités rivales des participants du marché, qui cherchent à obtenir des profits en offrant au marché de meilleures occasions que celles qui existaient jusqu'à présent. L'existence de la rivalité concurrentielle n'exige pas un grand nombre d'acheteurs et de vendeurs mais simplement la liberté d'entrer. La concurrence fait pression sur les participants au marché pour découvrir où et comment offrir sur le marché de meilleures occasions qui sont encore inaperçues. Ce processus est entravé à chaque fois que des barrières non marchandes sont imposées à l'entrée de concurrents potentiels.
L'information et la découverte
Comme l'a souligné HAYEK, le processus concurrentiel du marché est une procédure de découverte (22). Si on savait déjà tout ce qu'on a besoin de savoir, alors le marché aurait déjà atteint l'équilibre complet, un état dans lequel chacune des décisions prévoit correctement toutes les autres décisions qui sont prises au sein du marché. Un procédé institutionnel d'organisation sociale qui mobilise l'information existante et l'amène à influencer les décideurs est nécessaire parce que dans la réalité les gens n'ont jamais à l'ensemble ne serait-ce que de l'information qui est disponible quelque part (23). L'équilibre du marché n'est pensable que si on présuppose que toute l'information existante est mobilisée ; de même, la planification centralisée serait pensable (soit par la méthode Lange-Dickinson-Lerner soit par d'autres procédés) si nous pouvions supposer que l'information existante est déjà pleinement disponible. C'est seulement parce que, en l'absence de marché, il est si difficile de supposer que cette mobilisation a eu lieu, qu'on considère qu'un marché est nécessaire au calcul économique. On a besoin du processus concurrentiel sur le marché non seulement pour mobiliser la connaissance existante, mais pour rendre attentif aux occasions de profit dont l'existence même était inconnue de quiconque jusqu'à l'instant présent (24). Par dessus le marché, le processus entrepreneurial dissémine partout l'information existante. Le processus lui-même est fait continuellement de la découverte d'occasions de profit. L'instant d'avant au moins, l'inventeur de ces occasions lui-même n'avait aucune idée que celles-là pouvaient exister. Le marché, en d'autres termes, n'est pas seulement un processus où l'on recherche une information dont on sait déjà qu'on en aura besoin ; c'est une procédure de découverte qui tend à corriger l'ignorance là où l'inventeur lui-même n'avait aucune idée qu'il était ignorant. Comprendre que le marché crée l'information — le genre d'information dont les gens ne savent pas maintenant qu'ils auront à s'en servir demain — devrait inspirer un sentiment certain d'humilité aux candidats à l'ingénierie sociale qui cherchent à remplacer ou à modifier les résultats du marché libre. Pour annoncer qu'on est capable de surenchérir sur l'efficacité du marché, il faudrait aussi pouvoir prétendre qu'on sait déjà aujourd'hui ce que le marché fera apparaître demain. Cette prétention de savoir est, à l'évidence, universellement vaine. En fait, là où l'on a empêché le marché de fonctionner, en général il ne sera pas possible de désigner avec certitude ce qu'on aurait pu découvrir et qu'on a perdu à jamais.
Le profit et les incitations
Dans le traitement conventionnel de la théorie de prix, on suppose que les décideurs "maximisent l'utilité" ou "le profit". Le profit qui attire tant le entrepreneurs (et qui pour les Autrichiens met le marché en mouvement) n'est pas le "profit" maximisé par la "firme" dans la "théorie de la firme" conventionnelle. Celle-ci suppose que l'entreprise est confrontée à des possibilités de gain et de prix de revient précisément définies et données. Pour cette théorie de la firme, par conséquent, maximiser les profits" ne signifie pas découvrir une occasion de gain pur ; cela signifie simplement faire les calculs mathématiques nécessaires pour épuiser les occasions de gain déjà complètement perçues que les courbes de recettes et de coût pourraient présenter. Par contraste, la pression interne qui pousse les candidats entrepreneurs à saisir le profit au bond est la force même qui révèle l'existence d'écarts entre les coûts et les recettes. Cette distinction est d'une importance considérable.
C'est un fait élémentaire de la théorie des marchés que le marché opère par les récompenses qu'il offre à ceux qui prennent les bonnes décisions. Par exemple, les salaires plus élevés offerts par les activités où la productivité marginale du travail est la plus élevée attirent le travail vers des emplois plus importants pour la société. Ces incitations tendent à faire en sorte que, une fois qu'on aura découvert une meilleure manière d'employer un facteur (ou un ensemble de facteurs) de production, les propriétaires de ces facteurs trouvent leur intérêt à renoncer à d'autres manières de mettre en oeuvre lesdits facteurs. Cela, on le comprend bien. Ce qu'on ne comprend pas toujours est que le même marché offre aussi des incitations à découvrir de nouvelles possibilités (d'employer au mieux les facteurs en question), c'est-à-dire d'exploiter des occasions qui ne l'avaient pas été jusqu'à présent. Et si ces occasions étaient demeurés inexploitées, ce n'était pas du fait de coûts élevés, ni même parce que cela aurait coûté trop cher de les rechercher. Si elles sont demeurées inexploitées c'est uniquement parce qu'on n'y a pas pensé, y compris parce qu'on n'a pas pensé qu'on pourrait les trouver rien qu'en se mettant à leur recherche. Le profit pur d'entrepreneur est le phénomène de marché sous lequel se présente ce type d'incitation spécifique. La possibilité d'obtenir ce profit pur d'entrepreneur a pour fonction non pas de compenser les coûts associés au fait de soustraire certains actifs productifs à leurs affectations concurrentes, mais d'alerter les décideurs sur l'erreur qu'ils commettent s'ils continuent de vouer certains facteurs de production à des affectations ayant moins de valeur pour le marché que certaines autres, lesquelles attendent d'être servies comme il est possible de le faire.
Les prix de marché
Les prix, dans l'optique autrichienne, ne sont pas d'abord des approximations du "vecteur" des prix d'équilibre. Bien au contraire, ce sont des taux d'échange (de déséquilibre) auxquels parviennent les entrepreneurs qui participent au marché. D'un côté ces taux d'échange, avec toutes leurs imperfections, reflètent les découvertes qu'ont faites jusqu'à présent les entrepreneurs à la recherche du profit. De l'autre, ces taux traduisent aussi les erreurs des entrepreneurs telles qu'ils sont en train de les commettre. Les prix de marché, par conséquent, offrent des occasions de pur profit. Et nous pouvons compter sur ces occasions pour créer dans les prix de marché une tendance à changer sous l'impulsion des offres rivales d'entrepreneurs vigilants. En d'autres termes, l'évolution des prix du marché est étroitement liée, de deux manières différentes, au système d'incitations du profit pur d'entrepreneur. D'un côté, à tout moment il y a lieu d'attribuer la configuration des prix du marché à la recherche du profit pur qui a jusqu'à présent déterminé les demandes et les offres. Deuxièmement, cette configuration actuelle des prix de marché est elle-même la source des occasions de profit pur, au même titre que les conditions existantes et à venir de l'offre et de la demande. La découverte et l'exploitation de ces occasions-là constituera le cours du processus de marché dans l'avenir immédiat. A partir de cette perspective sur les prix de marchés, il n'est pas difficile de percevoir combien peu doivent leur ressembler les "prix", quels qu'ils soient, qu'une instance centrale aurait promulgués. La recherche entrepreneuriale des occasions de pur profit ne joue aucun rôle dans la détermination de ces "prix " socialistes.
L'ECONOMIE DE MARCHE REGLEMENTEE
Comme je l'ai noté au début de cet essai, je vais supposer que la réglementation publique de l'économie de marché est engendrée par un jugement défavorable sur les résultats du marché libre. Les législateurs ou d'autres détenteurs de la puissance publique (peut-être en réponse à la protestation du public, ou pour prévenir celle-ci), sont mécontents soit du prix élevé que certains acheteurs sont priés de payer sur le marché, soit des bas prix (par exemple les prix agricoles, ou les salaires) reçus par certains vendeurs ; ou bien, ils sont préoccupés par la qualité des biens et des services offerts à la vente (par exemple parce qu'il y manque des systèmes de sécurité), ou par l'absence d'offre sur le marché de biens ou de services qu'ils pensent être importants. Ils se soucient des conditions dans lesquelles les travailleurs sont amenés à travailler, ou ils ne se satisfont pas de la distribution des revenus engendrée par le marché, par le chômage, par la "spéculation", ou par les effets secondaires (comme la pollution du milieu, le dissémination des maladies, ou l'exposition des jeunes à la pornographie) qu'ils attribuent à une activité marchande incontrôlée.
Dans l'espoir de remédier à ce qu'ils perçoivent comme des situations indésirables, les hommes de l'Etat interviennent sur les marchés. Ils cherchent à remplacer les résultats qu'ils attendent des transactions marchandes non contrôlées par une configuration plus désirable des prix et des productions ; celle-ci doit être atteinte non pas, comme dans le socialisme, en remplaçant le marché par un monopole central des facteurs de production, mais en imposant des contrôles et des réglementations appropriés. Le marché laissez-fairiste fait place au marché réglementé. Des plafonds et des planchers de prix et de salaires, des transferts forcés de ressources, des normes de sécurité imposées, des lois sur le travail des enfants, des plans d'occupation des sols, des alliances empêchées entre firmes, des tarifs protectionnistes, des interdictions de concurrence, des mises en gardes imposées sur l'étiquetage, des pensions de retraite obligatoires, des drogues interdites. . . tous ces exemples illustrent l'innombrable panoplie des contrôles imposés par des personnages publics bien intentionnés.
Face à ces contrôles, réglementations et interventions, il reste malgré tout un marché authentique aussi bien pour les services productifs que pour les produits de consommation. Les contrôles de l'Etat contraignent et restreignent ; ils modifient, redistribuent la structure des incitations. Ils transfèrent, par la force, des revenus et du capital, et modifient fortement aussi bien les processus de production que la distribution des consommations. Pourtant, dans la limite des contraintes que ces contrôles imposent, l'achat et la vente continuent, et l'effort constant à la recherche du profit d'entrepreneur continue à entraîner le marché dans un perpétuel mouvement. Les réglementations de l'Etat altèrent et perturbent drastiquement les occasions de profit d'entrepreneur, mais elles ne les éliminent pas. Ces contrôles influencent totalement les prix qui émergent de la concurrence entre les entrepreneurs. Mais à moins que des prix directement imposés soient en cause, les taux d'échange reflèteront le produit actuel du processus entrepreneurial.
Traditionnellement, la critique de l'intervention de l'Etat implique un ou plusieurs types d'arguments (25) : Tout d'abord, la critique peut avancer que l'incapacité reconnue du marché à satisfaire les aspirations des réglementateurs ne résulte pas de l'incapacité du marché à atteindre l'efficacité maximum, mais du fait inéluctable de la rareté. Si tous les coûts sont bien pris en compte, on doit tenir pour voués à l'échec les efforts pour améliorer les résultats, ou même conclure qu'ils empireront la situation. Deuxièmement, la critique peut concéder qu'à partir des jugements de valeur de celui qui voudrait réglementer, les résultats du marché peuvent sembler susceptibles d'une amélioration ; mais que ces résultats reflètent fidèlement les choix personnels des consommateurs. Dans ces conditions, la réglementation viole nécessairement la souveraineté du consommateur, sinon sa liberté.
Troisièmement, on peut faire remarquer que ce qui est indésirable dans les résultats du marché ne provient pas de la liberté du choix, mais d'interventions antérieures des hommes de l'Etat, qui ont empêché les forces correctrices du marché de faire leur travail. Une réglementation supplémentaire, fait-on alors remarquer, ou bien ne sert à rien (puisqu'il suffit de supprimer la réglementation précédente) ou bien ajoute des problèmes à ceux qui existaient déjà. Quatrièmement, que les résultats du marché que l'on met en cause soient ou non à regretter (du point de vue de la théorie économique, pas forcément conforme au système de valeurs de celui qui réglemente) on peut argumenter que la réglementation de l'Etat est tout simplement incapable d'apporter une amélioration. L'état de la technique réglementaire est tel que ses coûts complets dépassent de loin quelque avantage qu'on puisse en retirer.
Les conclusions autrichiennes que nous avons pu tirer du débat précédent sur le calcul économique dans un régime socialiste donnent à penser qu'un autre ensemble de considérations, jusqu'à présent insuffisamment soulignées dans la littérature savante, méritent d'être inclus dans la liste des causes auxquelles on pourrait imputer l'échec de la réglementation. Ces considérations forment un argumentaire distinct contre l'intervention de l'Etat, qui doit être ajouté aux autres (qu'on puisse ou non évoquer l'un ou l'autre d'entre eux par ailleurs) (26).
LA REGLEMENTATION PUBLIQUE ET LE PROCESSUS DE DECOUVERTE PAR LE MARCHE
Les dangers que j'associe ici à la réglementation publique résultent de l'impact de la réglementation sur les processus de découverte qui tendent à voir le jour sur un marché libre. Même si on juge que les résultats actuels du marché sont pour une raison ou pour une autre insatisfaisants, on ne peut pas juger que l'intervention, et même une intervention qui pourrait atteindre avec succès ses objectifs immédiats, soit à l'évidence la solution correcte. Après tout, les problèmes même qui apparaissent dans le marché peuvent déclencher des processus de découverte et de correction supérieurs à ceux qui sont délibérément engagés par l'intervention publique. Non seulement l'intervention délibérée des hommes de l'Etat peut être un mauvais substitut au processus spontané de découverte par le marché, mais elle a aussi bien des chances d'empêcher la mise en oeuvre de processus de recherche désirables dont ils n'ont pas perçu la nécessité. Finalement, la réglementation publique peut elle-même engendrer des processus d'ajustement sur le marché, non voulus et indésirables, qui produisent un résultat final inférieur à celui qui aurait émergé d'un marché libre.
Je traiterai ici de l'impact de la réglementation publique sur le processus de découverte du marché libre à quatre niveaux distincts : premièrement, j'évalue les chances que ceux qui veulent réglementer ont de ne pas prévoir correctement la trajectoire spontanée du marché en l'absence de réglementation. Deuxièmement, j'examine la probabilité que l'absence présumée d'incitations entrepreneuriales en ce qui les concerne ne permette pas aux décideurs publics de tirer parti des occasions d'amélioration sociale qui attendent d'être découvertes. Troisièmement, je regarde si l'intervention publique ne risque pas d'étouffer ou d'inhiber des processus utiles de recherche, qui auraient pu naître sur le marché. Enfin, j'évoque la création vraisemblable par l'intervention publique d'occasions de tirer profit de processus de découverte nouveaux, et pas forcément désirables, qui n'existeraient pas sur un marché libre.
Le processus de découverte non reconnu
Nous avons auparavant supposé que la réglementation est demandée à cause des situations fâcheuses qui émergent sur le marché en son absence. Mais le réflexe de réglementer, de contrôler, de modifier ces processus doit supposer non seulement que ces problèmes sont dus à l'absence de réglementation, mais aussi qu'on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils soient rapidement éliminés par l'évolution future des événements sur le marché libre. Par-dessus le marché, pour attribuer un état de choses indésirable à l'absence de réglementation, il faut aussi vraisemblablement pouvoir prouver que si une meilleure situation était véritablement réalisable, le marché libre n'aurait pas déjà trouvé un moyen de le faire.
Plus spécifiquement, il y a beaucoup de demandes de réglementation qui se fondent sur l'un ou l'autre des malentendus possibles sur le processus de découverte du marché, quand ce ne sont pas les deux à la fois : D'un côté, on peut réclamer l'intervention publique parce qu'on ne s'est pas rendu compte que le marché a déjà utilisé pratiquement toute l'information qui valait la peine d'être découverte (de telle sorte que si les hommes de l'Etat disposaient de toute l'information que le marché a déjà découverte et utilisée à son profit, ils trouveraient une justification parfaitement satisfaisante à ce qui a l'air d'être une inefficience). D'un autre côté, la réglementation peut être réclamée parce qu'on s'imagine que les choses ne s'arrangeront jamais à moins que les hommes de l'Etat n'interviennent. C'est-à-dire que ces exigences pourraient être réduites au silence si l'on pouvait comprendre qu'on peut faire confiance à de véritables inefficacités pour engendrer à l'avenir des processus de recherche en vue de les corriger (Cette deuxième forme d'incompréhension peut elle-même avoir deux origines : la première, c'est qu'on ne reconnaît tout simplement pas la tendance des marchés à découvrir et à éliminer l'inefficacité. Dans la seconde, par contraste, on suppose, avec beaucoup trop de confiance, que les processus du marché sont si rapides que notre appréhension d'une inefficacité identifiable sans risque d'erreur est la preuve qu'il s'est produit une forme ou une autre de "défaillance" du marché et qu'on ne peut pas compter sur des processus ultérieurs de correction.
Cette incompréhension, qui fonde si souvent les appels à l'intervention, est certainement inspirée par une méconnaissance de plusieurs principes de base de la théorie des processus du marché. Ces principes montrent que : Premièrement, si l'information était parfaite, il serait inconcevable que puissent demeurer des occasions inexploitées de réorganiser le système d'utilisation des services productifs ou celui des produits de consommation de façon à améliorer la situation de tous les participants au marché ; deuxièmement, que l'existence de telles occasions inexploitées, qui reflètent les limites de l'information sur le marché, s'exprime sur un marché libre par des occasions de profit pur d'entrepreneur ; troisièmement, enfin, que la tendance de telles occasions de profit est d'être découvertes et que cela tend plus ou moins rapidement à éliminer les occasions inexploitées d'améliorer l'allocation des ressources (27).
Ces principes de la théorie des processus du marché suggèrent que si une inefficacité réelle existe, alors (peut-être à cause d'un changement récent dans les conditions de l'offre des ressources, ou de la technique, ou des goûts des consommateurs) c'est que la marché n'a pas encore découvert ce qu'il ne va pas tarder à découvrir.
Ces principes peuvent être mis en cause soit en exprimant un manque de confiance dans la tendance à l'information imparfaite à être spontanément améliorée, ou en attribuant au marché la capacité d'atteindre l'équilibre instantanément (c'est-à-dire en supposant que l'ignorance n'est pas seulement un phénomène de déséquilibre, mais qu'elle disparaît au moment même où elle émerge). Ces deux arguments peuvent conduire à exiger l'intervention de l'Etat. Celui qui se fonde sur le manque de confiance dans la capacité d'apprentissage conduira à penser que les inefficacités actuelles ne tendront pas à être corrigées spontanément (et aussi une tendance à voir de l'inefficacité là où le marché a déjà fait les corrections nécessaires). L'argument fondé sur la correction instantanée des déséquilibres conduit à l'idée que les inefficacités existantes sont d'une manière ou d'une autre compatibles avec l'équilibre, et que des mesures extra-marchandes sont nécessaires pour réaliser la correction* (*).
Le processus de découverte non reproduit
La réglementation publique prend la forme de plafonds et de planchers de prix imposés, de normes de qualité réglementaires, et d'autres restrictions ou exigences imposées dans les relations interpersonnelles du marché. Je continue à faire l'hypothèse que l'espoir qui accompagne ces impositions étatiques, est qu'elles contraindront les activités de marché vers les directions désirées et aux niveaux désirés. Mais quelle est la probabilité que les hommes de l'Etat, avec les meilleures des intentions, sachent quels prix imposés pourraient évoquer les actions, disons "correctes", désirées par les participants au marché? Cette question est analogue à celle que MISES et HAYEK soulevaient à propos du socialisme "de marché" (28). Les hommes de l'Etat dans une économie réglementée ont bel et bien l'avantage (refusé aux planificateurs socialistes) de prendre leurs décisions dans le cadre de prix de marché authentiques. Mais la question demeure : Comment les hommes de l'Etat sauront-ils quels prix fixer (et quelles qualités exiger, etc. ). Ou bien, pour aller plus loin, comment les hommes de l'Etat sauront-ils si leurs précédentes décisions étaient erronées, et vers où faire les corrections? En d'autres termes, comment les hommes de l'Etat découvriront-ils les occasions d'améliorer l'allocation des ressources, dont on ne peut pas supposer qu'ils les connaissent automatiquement au début d'une initiative réglementaire?
La vérité qui s'impose au fondement de ces questions repose singulièrement sur le fait que les hommes de l'Etat ne peuvent pas, statutairement, s'approprier des profits pécuniaires sur le marché, dans le courant de leurs activités (quoiqu'ils soient aussi désireux que quiconque d'obtenir un profit d'entrepreneur au sens le plus général du terme). Les estimations que le réglementateur fait des prix que les consommateurs sont prêts à payer, ou des prix que les propriétaires de ressources sont prêts à accepter, par exemple, sont des estimations qui ne sont pas inspirées par la recherche du profit marchand. Elles ne sont pas inspirées par le profit au moment où l' action réglementaire initiale est entreprise, et elles ne le sont pas non plus à par la suite, chaque fois qu'on pourrait envisager de modifier la réglementation. Alors, des estimations de l'offre et de la demande sur le marché qui ne sont pas inspirées par le recherche du profit marchand, ne peuvent pas traduire les incitations puissantes à la découverte qu'inspire la recherche du profit d'entrepreneur.
Il n'y a rien dans le déroulement du processus réglementaire qui suggère une tendance à découvrir des occasions encore inutilisées d'améliorer l'allocation des ressources. Rien ne garantit que les hommes de l'Etat qui pourraient percevoir les conditions du marché plus exactement que les autres tendront systématiquement à remplacer les réglementateurs moins compétents. Il n'y a pas de processus entrepreneurial, et il n'y a pas de substitut aux indicateurs du profit marchand et de la perte qui puisse indiquer facilement où les erreurs ont été commises et comment elles pourraient être corrigées. Ce que les réglementateurs savent (ou croient savoir) à un moment donné, a de fortes chances de demeurer partiellement incorrect. Il ne semble exister aucun processus systématique par lequel les réglementateurs en viendraient à découvrir ce qu'ils ne savaient pas, d'autant moins qu'ils ne savaient pas à quel point leur connaissance d'une situation particulière était incomplète.
Le problème soulevé ici n'est pas tout-à-fait le même que celui qu'ont identifié d'autres auteurs qui critiquent l'intervention de l'Etat. On note souvent, par exemple, que les hommes de l'Etat ne sont pas incités à minimiser les coûts, puisqu'ils ne profiteront pas personnellement des économies qui en résulteraient (29). Le problème soulevé ici diffère substantiellement de questions telles que les incitations à mettre en oeuvre des améliorations connues. En effet, même si on pouvait imaginer un décideur public si dévoué à la communauté qu'il garantisse l'adoption de tous les moyens connus pour réduire les coûts, on ne peut toujours pas l'imaginer capable de deviner des techniques encore inconnues pour réduire ces coûts. Ce que l'homme de l'Etat sait, il le sait, et on peut imaginer qu'il cherche à savoir ce dont il sait qu'il ne le sait pas. En revanche, à moins d'un accident pur et simple, on a de la peine à se le représenter à la découverte d'occasions d'améliorer l'efficacité dont il est complètement inconscient. Le décideur public n'est pas soumis à l'incitation entrepreneuriale de la recherche du profit, qui semble inspirer continuellement et avec succès des possibilités jusqu'alors inimaginables d'éliminer des dépenses inutiles. Rien au sein du processus réglementaire ne semble capable de simuler, même de façon lointaine, le processus de découverte qui fait si intégralement partie du marché libre.
Le processus de découverte étouffé
Le plus sérieux effet de la réglementation publique sur le processus de découverte du marché pourrait bien être que la réglementation, de diverses manières, décourage, entrave et peut même complètement étouffer le processus de découverte du marché. En fait, on a remarqué qu'une grande partie de la réglementation est introduite par ignorance de ce processus.
La réglementation publique peut tout simplement empêcher d'exploiter les occasions de profit pur d'entrepreneur. Un prix-plafond, un prix-plancher, une fusion empêchée, ou une exigence de sécurité imposée peut empêcher des actes de gestion éventuellement profitables. De telles contraintes et exigences peuvent viser à bloquer des activités particulières. Dans ce cas, ce qui est vraisemblable, c'est que l'activité contrôlée, visible et exposée comme elle l'est, donne une rentabilité normale, mais sans profit d'entrepreneur particulier. Les restrictions et les exigences réglementaires, cependant, ont aussi des chances d'empêcher des activités qui n'ont pas été perçues par qui que ce soit, y compris par les autorités qui réglementent. Les contraintes réglementaires, en somme, risquent d'empêcher la découverte d'occasions de profit pur.
Que la réglementation publique entrave la concurrence est un fait connu. Les "droits" de douane, les autorisations préalables, la législation du travail, la réglementation du trafic aérien, la réglementation bancaire, réduisent le nombre des participants éventuels au marché pour des produits particuliers. La réglementation publique, par conséquent, est responsable d'imposer des inefficacités monopolistiques (des pertes sociales pures) à l'économie. Mais ces pertes ne représentent nullement l'ensemble de l'impact des mesures anticoncurrentielles souvent impliquées par les contraintes réglementaires.
Comme nous l'avons noté plus haut, l'effet bénéfique de la concurrence comprise comme un processus d'émulation, résulte de la liberté d'entrer. Ce que les réglementations publiques créent si souvent, ce sont des barrières institutionnelles à l'entrée. La liberté d'"entrée", dans l'approche autrichienne, se réfère à la possibilité, pour les concurrents potentiels, de découvrir et d'agir pour exploiter les occasions de profit pur. Si l'entrée est bloquée, de telles occasions risquent tout simplement de n'être jamais découvertes, ni par les entreprises en place dans l'activité, ni par les autorités réglementaire, ni par des entrepreneurs extérieurs qui auraient pu découvrir de telles occasions, si on leur avait permis de les exploiter une fois découvertes.
A partir de cette perspective-là de l'effet anti- concurrentiel de la réglementation, il découle qu'une bonne partie de la réglementation explicitement instituée pour créer ou pour maintenir la concurrence ne porte pas moins atteinte au processus concurrentiel-entrepreneurial que ne le font les autres formes de réglementation qui restreignent la concurrence. L'entrée des concurrents, au sens dynamique, ne signifie pas nécessairement l'entrée d'entreprises de taille grossièrement équivalente. Par exemple, l'entrée pourrait impliquer qu'un seul gros producteur à bas prix de revient remplace, par fusion ou par d'autres moyens, un certain nombre de producteurs dont les coûts sont relativement plus élevés. L'action antitrust, qui vise ostensiblement à promouvoir la concurrence, pourrait empêcher cette forme d'entrée.
Une réglementation de ce genre empêche par conséquent l'appropriation d'un profit pur, qu'on pourrait obtenir dans ce cas en découvrant et en mettant en oeuvre la possibilité d'abaisser le prix de vente en tirant parti d'économies d'échelle jusque là inexploitées, voire inimaginées.
Les critiques savantes de la réglementation attirent souvent l'attention sur les effets indésirables de prix imposés. Un prix plafond pour un produit ou un service particulier (le contrôle des loyers par exemple) tend à créer une pénurie artificielle (de logement). Ces conséquences importantes, et bien reconnues des prix imposés résultent des efforts des législateurs pour en prescrire qui ne correspondent pas aux niveaux d'équilibre.
A côté de la dis-coordination engendrée par ces prix imposés sur le marché des biens et des services existants, les impositions de prix (et aussi de qualité) peuvent aussi bien empêcher la découverte d'occasions entièrement nouvelles. Un plafond de prix ne fait pas que bloquer les parties supérieures d'une courbe de demande donnée. Il peut aussi empêcher la découverte de nouvelles sources d'approvisionnement qui n'étaient pas soupçonnées jusqu'à présent (qui en l'absence du plafond auraient tendu à déplacer l'ensemble de l'offre vers la droite), ou celle de produits entièrement inconnus auparavant (tendant à créer des courbes d'offres pour des graphiques entièrement nouveaux) (30). C'est la recherche du profit pur qui tend à révéler ce genre de possibilités.
Les restrictions et les exigences de prix et de qualité de même que les interdits opposés à certaines formes d'organisation ont pour effet (d'une manière compréhensible dans son principe mais non précisément prévisible) d'inhiber la découverte par les entrepreneurs. Les plafonds de prix, par exemple, non seulement restreignent l'offre des ressources connues de gaz naturel (ou des réserves potentielles), ils empêchent aussi la découverte de gisements totalement inconnus. Les essais obligatoires préalables à la mise en vente des médicaments, un autre exemple, ne font pas que réduire l'offre des produits pharmaceutiques nouveaux là où le succès de la recherche aurait été plus ou moins prévisible. Ils réduisent aussi la découverte entrepreneuriale de procédures de recherche totalement inconnues. En face des avantages, quels qu'ils soient, qu'on peut attendre de la réglementation et de l'intervention de l'Etat, on est obligé de mettre en balance, à titre de coût intrinsèquement incommensurable, l'étouffement du processus marchand de découverte** (**).
Le processus de découverte purement parasite
Il existe encore cependant encore un aspect aux effets complexes de la réglementation publique : Que cela soit voulu ou non par les autorités réglementaires, et qu'elles en aient ou non conscience, l'imposition de contraintes et d'exigences institutionnelles a tendance à créer des occasions de découverte entrepreneuriale entièrement nouvelles, et pas nécessairement désirables.
Que de telles occasions puissent être créées résulte de l'extrême improbabilité que les contraintes de prix, de qualité ou de quantité instituées par les hommes de l'Etat rapprochent si peu que ce soit d'une configuration d'équilibre. Au contraire, ces contraintes induisent de occasions de pur profit qui n'existeraient pas sans elles, en même temps qu'elles réduisent ou éliminent d'autres occasions de profit qui auraient existé autrement. Cette redistribution des occasions de pur profit, bien sûr, a peu de chances d'être l'objectif explicite de la réglementation ; et elle n'a même pas beaucoup des chances d'être jamais complètement identifiée par les autorités. L'ignorance des marchés est un fait de la vie économique. Il s'ensuit que le remplacement d'un ensemble de prix libres par un ensemble de prix réglementé, signifie simplement que la réglementation peut avoir causé une forte modification dans la structure du processus de découverte. C'est ce processus modifié que le marché tendra à suivre du fait de la réglementation.
Cette altération dans le système de découverte du marché est étroitement liée au fait souvent remarqué que la réglementation peut induire un système différent de situations d'équilibre sur le marché. Ces conséquences, au surplus, peuvent n'avoir pas été correctement prédites par les autorités, et ils peuvent, en fait, les trouver tout-à-fait indésirables. La réglementation impose des coûts qui ne sont pas immédiatement reconnus (31).
A moins que, hypothèse fantastique, les autorités réglementaires (agissant mystérieusement de façon parfaitement coordonnée) soient complètement informées de toutes les données pertinentes sur le marché, ils seront en général incapables d'identifier quelles occasions de profit nouvelles ils créent par leurs propres actions réglementaires. Par conséquent, il est inévitable que l'imposition d'un ensemble de contraintes réglementaires sur le marché mette en mouvement une suite d'actions entrepreneuriales qui n'auront pas été prévues, et conduise par conséquent à des résultats finaux totalement inattendus, voire indésirables (32).
Une forme d'occasion de "profit" naissant de la réglementation à laquelle on s'attend bien maintenant quoiqu'on la recherche rarement concerne évidemment la corruption des autorités réglementaires et les pots-de-vin. On maîtrise bien la théorie des chemins regrettables que la recherche entrepreneuriale du profit pur tend nécessairement à emprunter si on impose des restrictions arbitraires à des activités qui seraient rentables en leur absence . (33)
En somme, la leçon fondamentale que l'on peut tirer de ces conclusions est simple : le processus entrepreneurial concurrentiel, étant un instrument de découverte de ce qui est encore inconnu, ne peut pas être décrit en des termes autres que généraux. L'imposition de contraintes réglementaires a donc nécessairement pour résultat d'engendrer un ensemble de conséquences différent de celui qui apparaîtrait sur un marché libre, et selon toute probabilité moins désirable que lui. On peut donc décrire l'ensemble des conséquences non planifiées et non désirées de la réglementation comme "le processus de recherche purement parasite"*** (***)
LA DECOUVERTE : PREUVES ET ILLUSTRATIONS
La discussion qui précède a un caractère théorique et abstrait et ne fournit pas de moyens directs de confronter ses conclusions à la réalité. Quoique cette discussion repose sur des aperçus hautement probables sur le caractère de l'action humaine, un lecteur pourrait se juger fondé à exiger des preuves qui puissent renforcer les conclusions assez fortes de la discussion. Pourtant, de telles preuves sont difficiles à apporter, et il pourrait être instructif d'en énumérer les raisons.
Les preuves de l'invention
Les économètres ont entrepris de mesurer les conséquences de politiques économiques particulières. Ils ont dû mobiliser une bonne partie de leur ingéniosité et de leur raffinement technique pour traiter le formidable problème de décrire ce qui aurait pu se passer en l'absence de politique particulière. Le problème de décrire ce qui aurait pu se passer, mais ne l'a pas fait, existe même dans des situations où tous les choix proposés aux décideurs sont clairement définis, de telle sorte qu'on sache au moins la liste des options dans laquelle les choix auraient été faits. La problème vient du fait qu'il n'est pas possible, sans une conjecture plus ou moins compliquée, d'être sûr du choix qu'un décideur particulier aurait pu faire dans des circonstances hypothétiques.
Le problème devient infiniment plus formidable si l'on désire décrire ce qui, dans des circonstances hypothétiques précises, aurait pu être spontanément découvert. Là, le problème n'est pas seulement que les préférences d'un décideur particulier sont inconnues. Le problème, c'est qu'on ne peut pas imaginer quelles occasions de choix particulières, encore inconnues pourraient avoir été découvertes dans des circonstances hypothétiques données.
Il ne faut pas s'étonner, par conséquent, qu'il soit difficile d'identifier les pertes qui résultent de ce que la réglementation étouffe les processus marchands de découverte. En fait, on ne devrait même pas être surpris que l'analyse elle-même ait eu tendance à négliger ces pertes. On ne peut donc qu'espérer attirer brièvement l'attention sur des études qui fournissent éventuellement un parfum d'illustration aux formes de perte engendrées par les contraintes réglementaires, que j'ai essayé de souligner. En vue d'une telle illustration, je ferai des emprunts au processus de découverte engendré par la recherche des profits d'entrepreneur dans l'innovation technique et dans le contrôle financier des sociétés.
Les inventeurs-innovateurs
Une bonne partie de la recherche récente en économie est consacrée à comprendre l'innovation. Une faible partie de ces études a étudié l'effet de la réglementation publique sur l'activité de recherche aux frontières de la technique. Quoique les auteurs de ces études ne se soucient pas principalement de l'effet de la réglementation sur les incitations des entrepreneurs, il est difficile de lire leurs écrits sans être frappé par leur pertinence directe pour les préoccupations de cette étude.
Un ouvrage de la Brookings Institution, paru en 1971, par exemple, était consacré à un symposium examinant le changement technique dans les industries réglementées (en particulier la production électrique, les télécommunications et le transport aérien et de surface) (34). Dans le cadre analytique où cet examen était mené, on s'arrêtait brièvement à la thèse, peut-être trop rapidement attribuée à SCHUMPETER, que c'est "l'incitation à gagner de très gros bénéfices" qui "pousse les entrepreneurs à mettre en oeuvre de nouvelles techniques", de sorte que les limites imposées à ces bénéfices par les organismes réglementaires pourraient freiner de telles innovations (35).
On note de même un lien possible entre les contraintes réglementaires et un éventuel ralentissement de la recherche en pharmacie. L'étude classique du professeur PELTZMAN, examinant l'effet des Drug Amendments de 1962 sur la recherche pharmaceutique, ainsi que d'autres travaux, ont conduit à ce qu'on discute largement l'éventualité que cette recherche aux Etats-Unis reste sérieusement à la traîne des autres pays (36). Les résultats de PELTZMAN ne peuvent pas prouver que la réglementation empêche la découverte "entrepreneuriale", à savor la découverte de possibilités jusqu'alors inconnues, inconnues même au sens où on ne savait pas qu'elles seraient découvertes. C'est en fait que les résultats de Peltzman seraient aussi bien compatibles avec une conception de la recherche supposant qu'on connaisse déjà l'existence de potentialités que la recherche mettrait à jour si cela ne coûtait pas trop cher. Cependant, une fois qu'on se soucie de découverte entrepreneuriale, il est difficile de ne pas lier les résultats de Peltzman avec le postulat d'un processus entrepreneurial entravé par des contraintes réglementaires.
Les inventeurs-initiés
Un autre domaine important où le rôle de la découverte entrepreneuriale a été explicitement exploré, est celui de la finance des sociétés. Henry Manne discute de l'impact d'une réglementation restrictive des initiés sur le comportement entrepreneurial dans les sociétés (37). L'étude de Manne étudie à fond les incitations pécuniaires nécessaires pour susciter la vigilance entrepreneuriale, et son expression dans le monde des sociétés, et la partie que l'action des initiés pourrait jouer, en l'absence de réglementation restrictive, pour fournir des occasions de profit capables de récompenser les bons entrepreneurs. La répression des activités d'initiés, montre Manne, aussi plausibles que puissent apparaître les raisons d'imposer des restrictions réglementaires, tend à inhiber l'esprit d'entreprise au sein des sociétés (38).
CONCLUSION
Cette étude montre certains des inconvénients les moins patents de la réglementation publique sur les marchés. Ces inconvénients sont inhérents à la manière dont les restrictions, les contraintes, et les contrôles réglementaires interfèrent avec le processus spontané de découverte que le marché libre a tendance à engendrer. Ces inconvénients doivent aussi être soigneusement distingués des autres désavantages qui résultent aussi de l'intervention de l'Etat.
Le caractère particulier des dangers de la réglementation identifiés ici est comparable à certains problèmes économiques associés au fonctionnement d'une économie socialiste. Le réexamen des critiques de MISES et HAYEK quant à la possibilité du calcul économique sous le socialisme fournit une source maintenant classique des aperçus autrichiens sur le processus du marché ; elle inspire en même temps des leçons importantes pour comprendre les dangers inhérents à la réglementation.
Reconnaître ces dangers peut énormément aider à comprendre les inefficiences et la stagnation qui semblent si constamment affecter les économies interventionnistes modernes. Il est dans la nature de ce sujet, cependant, que la reconnaissance de ces périls ne conduise pas facilement à fournir des exemples non ambigus d'effets nuisibles de la réglementation à cet égard. Cependant, il est possible, de façon modeste, d'illustrer ces dangers à partir d'une discussion d'actualité de problèmes palpables.
Mettre l'accent sur les dangers de la réglementation à partir d'une préoccupation pour les processus de marché ne justifie pas, en soi et par soi, une condamnation absolue de la réglementation publique du processus de marché. Une telle condamnation nécessiterait en plus une prise en compte complète, non seulement d'autres dangers que ceux qui sont exposés ici, mais aussi les avantages qu'on espère tirer d'une réglementation. En dernière analyse, la politique publique dépend nécessairement des jugements de valeur de ceux qui la font ou de ceux qu'ils entendent servir. En revanche, aucune décision de réglementation économique publique ne doit pouvoir être prise sans une pleine compréhension de tous les dangers inhérents à une telle réglementation. Et cette compréhension-là, on l'obtient particulièrement en étudiant les processus marchands de découverte par les entrepreneurs.
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Notes
- (1) Pour la littérature sur les motifs privés de la réglementation publique, Cf. GEORGE STIGLER : "The Theory of Economic Regulation" Bell Journal of Economics and Management Science, 2 (printemps 1971), pp. 3-21 réédité dans STIGLER : The Citizen and the State (Chicago : University of Chicago Press 1975); RICHARD POSNER, "Theories of Economic Regulations", Bell Journal of Economics and Management Science, 5 (automne 1974), pp. 335-338; SAM PELTZMAN, "Toward a More General Theory of Regulation", Journal of Law and Economics, 19 (août 1976) pp. 211-240.
- (2) Les critiques les plus radicales de l'intervention de l'Etat de ce point de vue incluent : LUDWIG VON MISES, L'action humaine : traité d'économie (Paris : Presses Universitaires de France, 1985), sixième partie : MILTON FRIEDMAN : Capitalism and Freedom (Chicago : University of Chicago Press, 1962); FRIEDMAN : An Economist's Protest (Glen Ridges, N. J. Thomas Horton and Daughters, 1972).
- (3)"Die Wirtschaftsrechnung in der sozialistischen Gemeinwesen", Archiv für Sozialwissenschaften und Socialpolitik (avril 1920) réédité dans : L'économie dirigée en régime collectiviste. Traduit en anglais, rassemblé et préfacé par Friedrich A. Hayek, traduit en Français par M.-TH. GÉNIN, R. GOETZ, D. VILLEY et FLORENCE VILLEY (Paris, Librairie de Médicis 1939).
- (4) Socialism : An Economic and Sociological Analysis. Traduit par J. KAHANE (New Haven : Yale University Press, 1951) II section 1 ; cette édition est traduite de la deuxième édition publiée en allemand en 1932 de Die Gemeinwirtschaft (1°Parution en 1922); voir aussi MISES, Human Action, cinquième partie.
- (5) HAYEK, Collectivist Economic Planning.
- (6) HAYEK : "Socialist Calculation : The Competitive 'Solution'", Economica, 7 (mai 1940), pp. 125-149; réédité sous le titre "Socialist Calculation III : The Competitive 'solution'" in HAYEK : Individualism and Economic Order (Londres : Routledge and Kegan Paul, 1949).
- (7) OSKAR LANGE : "On the Economic Theory of Socialism" in Lange et Fred M. Taylor : On the Economic Theory of Socialism, ed. Benjamin E. Lippincott (New York : McGraw-Hill, 1964).
- (8) TRYGVE B. HOFF : Economic Calculation in the Socialist Society, traduit par M. A. Michael (Londres et Edimbourg : Hodge, 1949).
- (9) DOMINIC T. ARMENTANO : "Resource Allocation Problems Under Socialism" in Theory of Economic Systems; Capitalism, Socialism, Corporatism, ed. William P. Snavely (Columbus, Ohio : Merrill, 1969), pp. 133-134.
- (10) HAYEK, "Socialist Calculation III". Il y rendait compte en particulier de LANGE "On the Economic Theory of Socialism" et HENRY D. DICKINSON, Economics of Socialism (Londres : Oxford University Press, 1939).
- (11) Ainsi, ils avouaient que MISES et HAYEK avaient raison de dire que l'efficacité est impossible sans indicateurs de la valeur, et que tout espoir de résoudre le problème par des méthodes mathématiques directes (par exemple en résolvant le système d'équations walrasien) est une illusion.
- (12) HAYEK : Individualism and Economic Order, p. 187.
- (13) ABBA P. LERNER : The Economics of Control (New York : McMillan, 1944).
- (14) Cf. le plus récemment MURRAY N. ROTHBARD : "Ludwig von Mises and Economic Calculation Under Socialism" in : The Economics of Ludwig von Mises ed. Lawrence S. Moss (Kansas City : Sheed and Ward, 1976.
- (15) "On the Economic Theory of Socialism" p. 70
- (16) LANGE : "On the Economic Theory of Socialism" pp. 70-71.
- (17) Cette supposition, naturellement, est exposée à une sérieuse contestation. Voir JAMES BUCHANAN, Cost and Choice (Chicago, Markham, 1969), chapitre 6; G. WARREN NUTTER, "Markets Without Property : A Grand Illusion" in Money, the Market, and the State :Essays in Honor of James Muir Waller, ed. Nicholas A. Beadles et L. Aubrey Drewry, Jr. (Athens :University of Georgia Press, 1968).
- Il est important de noter que l'argument avancé dans le texte ne dépend pas d'un doute quelconque concernant la capacité et la motivation des gérants à obéir aux règles. Si on donnait des listes de prix aux gestionnaires socialistes, alors nous pourrions supposer, pour les besoins de la discussion actuelle, qu'ils pourraient prendre des décisions comme s'ils essayaient de"maximiser le profit" (Bien sûr, les profits' maximisés dans des contextes d'équilibre ne sont pas des profits purs d'entrepreneur. Cette distinction est discutée plus loin dans cette étude. )
- (18) LANGE : "On the Economic Theory of Socialism".
- (19) En particulier dans MISES, L'Action humaine, chapitre 15.
- (20) HAYEK, "Economics and Knowledge" et "The Meaning of Competition" réédités dans Individualism and Economic Order. A cet égard, l'oeuvre de JOSEPH A. SCHUMPETER, né autrichien, est d'une pertinence considérable pour la vision autrichienne du marché; Cf. en particulier SCHUMPETER, The Theory of Economic Development, trad. Redvers Opie (New York : Oxford University Press, 1961); cet ouvrage fut publié en 1911 pour la première fois et traduit par Opie en 1934. Voir aussi SCHUMPETER, Capitalism, Socialism and Democracy (New York : Harper & Row, 1950) chapitre 7.
- (21) Cette section s'inspire librement des ouvrages de l'auteur : Competition and Entrepreneurship (Chicago : University of Chicago Press, 1973) et Perception, Opportunity and Profit (Chicago : University of Chicago Press, 1979).
- (22) HAYEK, "Competition as a Discovery Procedure" in New Studies in Philosophy, Politics, Economics and the History of Ideas (Chicago : University of Chicago Press, 1978).
- (23) Cf. HAYEK : "Economics and Knowledge", "The Use of Knowledge in Society" et "The Meaning of Competition".
- (24) Cf. KIRZNER, Perception, Opportunity and Profit, chapitres 2, 8 et 9.
- (25) Encore une fois, nous ne tiendrons pas compte dans nos hypothèses du fait que la réglementation peut être inspirée non par le désir de bénéficier aux consommateurs, mais de favoriser les réglementateurs ou certains "réglementés".
- (26) Alors que ces considérations renforcent la critique de la réglementation, elles ne déclarent pas nécessairement, en elles-mêmes et par elles-mêmes, que la réglementation est mauvaise, ou même inefficace. Que celui qui veut réglementer ait des jugements de valeur suffisamment ancrés -en faveur de la propreté de l'environnement, d'une distribution égalitaire de la richesse, de la lutte contre la pornographie ou la maladie, ou du prestige national, de la promotion des arts, que sais-je encore- alors les critiques de ces interventions ne pèseront guère pour ceux qui partagent ces valeurs et croient que la violence peut les imposer. Cependant, la tâche de l'économiste est d'énumérer aussi complètement que possible les conséquences des politiques entre lesquelles on doit choisir, de sorte qu'au moins les décisions de politique ne soient pas prises à partir d'une estimation erronée de leurs conséquences probables. La discussion qui suit ne fournit pas un argumentaire à toute épreuve contre la réglementation, mais attire l'attention sur de graves dangers potentiels de l'intervention, dangers qui ne semblent avoir été complètement et explicitement pris en compte ni par la littérature hostile aux politiques interventionnistes, ni a fortiori par les promoteurs et les partisans inconditionnels de la réglementation publique.
- (27) Ici, une amélioration dans l'allocation des ressources (l'allocation initiale étant donnée) est définie comme un changement dans le système d'utilisation des services productifs et/ou de la consommation des produits qui améliore la satisfaction de chacun des membres de l'économie. Quoique cette définition soit proche de la norme de la théorie parétienne du bien-être, elle ne fait pas appel à la notion de satisfaction globale.
- (*) La théorie des "défaillances" du marché, comme elle fait abstraction des limites de l'information, suppose en fait qu'une occasion d'améliorer l'efficacité productive pourrait subsister en permanence tout en étant connue de tous, c'est à dire qu'une occasion de profit certain pourrait subsister indéfiniment sans être utilisée, ce qui est contradictoire avec la définition même du profit.
- Logiquement, les théories des "défaillances" du marché sont donc absurdes par ce qu'elles impliquent, sans qu'on ait seulement besoin d'en examiner les arguments particuliers.
- Comme KIRZNER le fait remarquer plus haut, il est bien des "inefficiences" qui se révèlent n'en être pas une fois qu'on a compris tous les tenants et aboutissants de la situation. En particulier, elles tiennent éventuellement pour "illégitimes" les coûts d'information et de transaction, dont la théorie de l'équilibre général fait abstraction.
- Par ailleurs, celui qui prétend avoir "identifié" une inefficience n'a pas besoin d'user de violence pour la corriger : comme elle implique une occasion de profit, il peut toujours risquer son propre argent sur ce qui n'est après tout que son opinion à lui. S'il avait raison, il sera riche, et on n'avait pas besoin d'intervention publique pour le pousser à corriger cette "inefficience" révélée. S'il avait tort, il aura détruit des ressources. A ce titre, le caractère public de l'intervention n'aurait fait qu'aggraver cette destruction des ressources car elle implique un risque moral, plus grande disposition à prendre des risques qui résulte de l'irresponsabilité institutionnelle, situation où l'intervention publique permet au décideur de forcer les autres à payer ses erreurs et ses fautes. Naturellement, ces considérations sont universelles, et elles disqualifient donc toutes les interventions de l'Etat, du moins au regard de la norme parétienne de la théorie économique [N.d.T.].
- (28) "... l'autrichien ne trouve dans la théorie de l'économie publique aucune explication détaillée de la manière dont les hommes de l'Etat sont censés obtenir l 'information nécessaire pour accomplir les tâches qu'ils se sont fixées. L'information nécessaire... ne peut pas être trouvée toute ensemble à un seul endroit ; bien au contraire, elle est dispersée entre tous les membres de l'économie. . . " STEPHEN C. LITTLECHILD, The Fallacy of the Mixed Economy : An 'Austrian' Critique of Economic Thinking and Policy Londres, Institute of Economic Affairs, 1978), p. 40.
- Voir aussi GORDON TULLOCK, The Politics of Bureaucracy (Washington, D. C. : Public Affairs Press, 1965), p. 124 :
- "Les problèmes administratifs. . . pourraient. . . être d'une telle complexité que la centralisation des informations nécessaire pour rendre les décisions efficaces dans une administration publique pourrait n'être pas possible".
- (29) On fait remarquer, de façon encore plus rigoureuse, que la notion même de coût, perçue du point de vue de celui qui réglemente, a peu de chances de coïncider avec quelque notion de coût qu'on puisse choisir de juger pertinente à une recherche de l'efficacité. Voir BUCHANAN, Cost and Choice, Chicago, Markham, 1969, chapitres 5 et 6.
- (30) Le Professeur MACHLUP parlait à juste titre de "la fertilité de la liberté" en ce qu'elle engendre la possibilité de nouvelles découvertes. FRITZ MACHLUP, "Liberalism and the Choice of Freedoms" in Roads to Freedom : Essays in Honour of Friedrich A. von Hayek, ed. ERICH STREIßLER (Londres : Routledge and Kegan Paul, 1969), p. 130.
- (**) La clé de cette démoralisation, et de l'irrationalité qui en résulte, est que la décision publique, par nature, viole le consentement d'une personne au moins (ce qui écarte nécessairement du critère de PARETO), c'est-à-dire refuse nécessairement et par avance de tenir compte des raisons que la victime aurait eues de faire un autre choix : elle oblitère par essence une partie de l'information pertinente, existante ou potentielle [N.d.T.].
- (31) MURRAY L. WEIDENBAUM, "The Impact of Government Regulation" (Etude préparée pour le Subcommittee on Economic Growth and Stabilization du Joint Economic Committee, Congrès des Etats-Unis, juillet 1978). Cf. aussi ERNEST C. PASOUR, "Hide and Seek : Hidden Costs of Government Regulation, " World Research INK, 2 (décembre 1978), pp. 5-passim.
- (32) Il y a mainte preuve du fait que l'imagination et l'innovation ne s'arrêtent pas du fait de la législation restrictive : elles sont simplement déviées vers les moyens de la contourner. " Friedman, An Economist's Protest, p. 149.
- (33) Voir, par exemple NICHOLAS SANCHEZ et ALAN R. WALTERS, "Controlling Corruption in Africa and Latin America", in The Economics of Property Rights, ed. EIRIK FURUBOTN et SVETOZAR PEJOVICH (Cambridge, Mass : Ballinger, 1974); EDWARD C. BANFIELD, "Corruption as a Feature of Governmental Organization, " Journal of Law and Economics, 18 (Décembre 1975), pp. 587-605; et SIMON ROTTENBERG "Comment", Journal of Law and Economics, 18, (Décembre 1975), pp. 611-615.
- (***) Ce que décrit KIRZNER n'est que ce qui se passe si les hommes de l'Etat sont parfaitement désintéressés et soucieux de l'intérêt général. Si on relâche cette hypothèse (que fait KIRZNER pour montrer que sa critique peut porter exclusivement sur la production et l'utilisation de l'information) et si on reconnaît que les hommes de l'Etat prennent des décisions compatibles avec leurs intérêts matériels pris au sens le plus étroit, on peut décrire par ailleurs l'autre partie du processus entrepreneurial parasite : tout un grouillement de recherche des (pseudo¬) profits de la spoliation légale, à laquelle se livrent les membres de la société politique dans une économie mixte : on peut en dégager deux formes de "profit" pur d'entrepreneur :
- — ceux qu'apportent les nouveaux procédés inventés par les uns pour voler les autres (car il n'y a pas plus de profit certain dans la spoliation légale qu'ailleurs : les pseudo-investissements anciens ne tendent à rapporter que le taux normal de rentabilité), et
- — ceux que recherchent les victimes des premiers en imaginant les moyens de leur échapper.
- La seule différence avec ce que décrit KIRZNER est que les hommes de l'Etat y reconnaissent que l'action publique ne profite jamais qu'à des personnes privées (ce qui est public c'est le système de décision, pas les personnes) et qu'ils agissent en conséquence. La corruption est un moyen de concilier en partie ces intérêts par un échange mutuellement avantageux [N. d. T.].
- (34) WILLIAM M. CAPRON et al. eds. Technological Change in Regulated Industries (Washington, D. C. : Brookings Institution, 1971).
- (35) Technological Change in Regulated Industries p. 8 ; Cf. aussi Chapitre 2.
- (36) SAM PELTZMAN : "An Evaluation of Consumer Protection Legislation : The 1962 Drug Amendments", Journal of Political Economy, 81, (septembre-octobre 1973), pp. 1049-1091. Voir aussi DAVID SCHWARTZMAN, Innovation in the Pharmaceutical Industry (Baltimore : Johns Hopkins Press, 1976).
- (37) HENRY G. MANNE, Insider Trading and the Stock Market (New York, Free Press, 1966).
- (38) Quoiqu'il existe bien d'autres études illustrant les distorsions cachées qu'engendre la réglementation, je ne les cite pas ici, puisqu'elles n'attirent pas directement notre attention sur le processus de découverte par le marché et ses modifications à la suite de contraintes réglementaires.