Scientistes et socialistes
Texte présenté sous le titre : "Scientists and Socialists: What you Feel Like Saying After Ralph Raico and Madsen Pirie". Réunion Générale de la Mont Pèlerin Society à Cannes, septembre 1994 sur le thème : The Legacy of Hayek. Session 3.1 : Intellectuals and the Marketplace.
J'entends traiter la question particulière du scientisme comme explication des tendances de l'intellectuel à faire du socialisme (dont vous savez que Hayek les a traitées dans la première partie de sa Counter-Revolution of Science*). J'établirai aussi le lien avec les tendances redistributrices de la Démocratie sociale. Vous apprendrez que les scientifiques sont des gens bien plus dangereux qu'on ne vous l'avait laissé croire : non seulement ils ont une tendance naturelle à penser socialiste, mais les préjugés qui sont les leurs imprègnent notre milieu intellectuel à un point tel que nous-mêmes courons le risque, sous leur influence, de partager leurs prémisses collectivistes. En fait, ils constituent un élément essentiel du consensus mou de la Démocratie sociale.
Pour Chafarevich, le socialisme était un phénomène universel1. Pour Hayek, comme Ralph Raico nous l'a rappelé, c'était un sous-produit de la révolution scientifique des Temps modernes. Vous serez peut-être surpris qu'on vous dise que ces deux opinions sont également justes pour l'essentiel. Le socialisme règne chaque fois que l'idéologie dominante fournit aux hommes de pouvoir des prétextes pour faire comme si la capacité rationnelle de l'homme n'existait pas, mépris qui tend à détruire tout système de droit2. Fondé sur une négation de la nature humaine, c'est un système profondément irrationnel. Il est également irrationaliste3, dans la mesure où il refuse de laisser la plupart des êtres humains se servir de leur propre cerveau dans des domaines entiers de leur existence.
Il n'en est pas moins vrai qu'en présentant le scientisme comme la source essentielle de l'irrationalité socialiste actuelle, Hayek était parfaitement dans le vrai. Le scientisme, bien entendu, n'a rien à voir avec la science authentique. Ce qu'il exprime, c'est l'application naïve à d'autres domaines de recherche de méthodes qui se sont révélées efficaces dans l'étude de la nature, erreur dont les savants authentiques sont parfaitement capables de se préserver4. Cependant, si nous observons le résultat final, il nous faut bien expliquer ce paradoxe que la science moderne, avec tout son prestige, a pu être invoquée pour justifier la pire des tyrannies, donnant une nouvelle jeunesse à une forme primitive de pensée magique. C'est elle qui a fourni ses prétextes au nouvel irrationalisme socialiste pour détruire la morale et le droit. Et bien entendu, elle continue à le faire, à un degré parfois insoupçonné.
Le scientisme était probablement une tentation irrésistible pour certains : il faut vous rappeler quelle libération c'était de pouvoir dépasser l'autorité d'Aristote dans les sciences physiques, et quelle sorte de supériorité automatique cela donnait. Si j'ai bien compris Madsen Pirie, un sentiment de supériorité est une des choses que recherchent les intellectuels. Or, le postulat heuristique du déterminisme volait de succès en succès dans les sciences de la nature. Il déplaçait constamment les limites de la régularité identifiable : il a donc semblé à certains qu'aucune autre méthode n'était applicable5.
Il est vrai que, si l'anthropomorphisme est anti-scientifique quand on traite d'objets inanimés, il pourrait bien l'être un peu moins quand il s'agit d'action humaine intentionnelle. Mais les êtres humains aussi sont des objets matériels, et en tant que tels sont soumis aux lois de la nature (pour reprendre l'exemple de Murray Rothbard, essayez seulement de voler jusqu'à la Lune en battant des bras). Il était donc tout naturel que l'on cherche à appliquer les méthodes des sciences physiques à l'étude de la société. Laisser de côté ces aspects spécifiquement humains du comportement de l'homme que sont : la recherche d'informations nouvelles, la prise de décisions ou l'invention de nouveaux projets, en somme, le choix authentique, c'est là une abstraction parfaitement légitime. A condition, bien sûr, qu'on ne la confonde pas avec l'ensemble de la réalité. Et même si la prévision économique "scientifique" affiche des résultats accablants, cela ne fournit pas la "preuve" empirique que celle-ci ne pourra jamais marcher6.
La plupart des libéraux sont économistes, et la plupart des économistes compétents sont libéraux. Mais si vous mesurez à quel point le scientisme a envahi les sciences sociales, vous vous attendrez presque aux dithyrambes que Paul Samuelson déversait sur la planification soviétique aussi tard que dans l'édition de 1989 de son fameux manuel. Regardez seulement ce qui passe pour de l'enseignement économique dans nombre de milieux, que celui-ci soit "élémentaire" ou "avancé". L'économie "élémentaire" y est le plus souvent présentée en termes mécanistes, avec de prétendues "courbes d'indifférence", lesquelles réduisent l'esprit de l'homme à un appareil indigent, purement réactif. Les études de troisième cycle y sont faites d'économétrie avancée et de théorie de l'équilibre général : en guise de moyens de preuve, une discipline qui entend ne garder de l'action humaine que ce qui est strictement routinier et déterministe ; en guise de "théorie", une représentation soi-disant "générale" de l'économie qui exclut par hypothèse toutes les raisons pour lesquelles la morale et le Droit sont au cœur des choix humains et de l'interaction sociale.
Voilà donc une théorie dominante qui traite les actions de l'homme comme les réflexes d'un robot élémentaire et ses jugements de valeur —qui sont des actes de la pensée— comme s'il s'agissait d'objets mesurables. Comment s'étonner que la théorie en question finisse par inspirer une pratique politique qui traite effectivement les gens comme des objets à manipuler indéfiniment ? Celle-ci ne fait que reproduire le même complet mépris de leur capacité de penser, et de tout ce qu'elle implique :
— la propriété naturelle (propriété des biens qui résulte de la propriété de soi-même et de l'acte productif),
— les opinions raisonnées et
— les projets personnels.
Le socialisme est donc un sous-produit spontané du mode de pensée scientiste en économie, c'est-à-dire l'incapacité pratique (acquise) à comprendre le rôle de l'esprit humain dans la société. C'est que dans les manuels, on ne trouve guère ce que von Mises appelait à juste titre la question la plus intéressante de la théorie économique : à savoir, la manière dont l'information est créée, traitée et transmise dans la société. Discipline, soit dit en passant, que Hayek a portée à une perfection inégalée. Et cela veut dire que les questions essentielles auxquelles l'Economie politique prétendait trouver une réponse :
— quelle est la nature de la production,
— d'où elle provient,
— l'origine et la légitimité des Droits de propriété,
ne sont, comme dans le monde d'Orwell, littéralement plus pensables7.
Produire, c'est transmettre à la matière l'information créée par l'esprit humain pour servir un projet personnel. On conviendra que l'économie mathématique, dont la seule raison d'être est de singer les méthodes dont on se sert pour étudier la matière inanimée8, est plutôt mal équipée pour intégrer des notions telles que la création, l'information, ou le projet.
Etant incapable de rendre compte de ce qui résulte d'une pensée, ni d'une action au service d'un projet, la pseudo-rationalité du scientisme est obligée de les abandonner aux "conditions initiales", espèce de no man's land qu'il s'interdit à jamais d'explorer, perpétuel point aveugle qui fait du passé une sorte de décharge publique épistémologique, terrain nourricier des pires erreurs scientifiques — généralement au service du socialisme. Car nous allons voir que leur nécessaire complément dans ce rôle est "l'Etat", qui se trouve alors être le seul agent moral dont l'existence soit jamais reconnue dans des modèles de ce genre.
L'incapacité caractéristique des modèles mécanistes et déterministes à rendre compte de la production passée et plus généralement à faire le lien entre le passé, le présent et l'avenir explique ainsi la persistance du mythe des "ressources naturelles", ainsi que l'incroyable faveur dont jouit encore la malheureuse condamnation par Ricardo de la "rente" du sol9 (alors que celle-ci avait été réfutée par Henry Charles Carey et Frédéric Bastiat dès le milieu du XIX° siècle10). Ceux dont la foi réside dans le déterminisme doivent nécessairement attribuer l'existence de toute ressource à un stock initial donné par la nature, lequel doit aussi être limité, même si certains peuvent avouer leur ignorance quant à l'emplacement exact de cette limite.
On peut aussi observer directement les absurdes conséquences collectivistes du matérialisme scientiste dans les prétendues normes de politique économique déduites de la théorie de l'équilibre général, dans la ritournelle éculée des "externalités", "biens publics", "monopoles naturels" et autres "rendements croissants". A l'examen, celles-ci s'avèrent totalement incapables de fournir aucun critère observable permettant de savoir quand les hommes de l'Etat devraient commencer d'agir... ni surtout quand ils devraient s'arrêter. De sorte qu'il ne s'agit de rien d'autre que de rationalisations automatiques et pseudo-scientifiques pour n'importe quelle politique. Pire, les Etats (c'est-à-dire les hommes de l'Etat), que leurs conclusions autorisent déjà à faire tout ce qui leur plaît, sont nécessairement élevés par leurs hypothèses au statut d'entités quasi-divines, de Dei ex machinis. En effet, ils y sont implicitement présentés comme les seules causes authentiques de tout ce qui pourrait arriver dans cette fantasmagorie économique. De tels raisonnements ne postulent pas seulement l'omniscience (et l'omnipotence) des hommes de l'Etat, y compris la capacité de lire dans la tête des autres ces fameuses "courbes d'indifférence" dont ceux-ci pourraient bien ne pas être eux-mêmes conscients. En fait, le postulat crucial sur lequel ils reposent, la prétendue existence de "fonctions d'utilité" stables, définies (et implicitement mesurables), implique la réduction de l'esprit humain à un automate tout juste capable de réactions réflexes.
Cette négation de la capacité de penser des personnes ordinaires est évidemment une inversion de la réalité : ce sont les hommes de l'Etat qui sont bien moins capables de penser droit que des individus normaux, étant irresponsables par définition11. En outre, elle éjecte d'emblée la seule contribution directe que la théorie économique puisse faire à l'analyse normative : faire savoir que c'est l'esprit des producteurs individuels pacifiques, et non l'ingérence des hommes de l'Etat, nécessairement violente et donc destructrice, qui est la source —la vraie cause— de la richesse. Bien au contraire, en traitant l'Etat comme le seul agent moral, elle le présente comme le seul détenteur possible de quelque droit que ce soit12.
D'où le caractère inébranlablement collectiviste de la pseudo-analyse normative des adeptes de l'Equilibre Général : son impudence à supposer froidement que "la société" "possède" les ressources, auxquelles il s'agirait de donner une "allocation optimale" sous l'égide bienveillante de l'Etat13. D'où cette inquiétante mentalité esclavagiste pour laquelle la "souveraineté du consommateur" autoriserait à fouler aux pieds les Droits des producteurs, pourvu qu'on les accuse de se conduire en "monopoles" sur le marché libre, conformément aux critères fallacieux de l'analyse scientiste. Si cela, ce n'est pas du socialisme, qu'est-ce donc qui en est14 ?
Ceci ne signifie pas que les "fonctions d'utilité" soient des abstractions absolument inutilisables. Elles peuvent, en effet, servir à examiner certaines questions sur l'ajustement des choix à des conditions changeantes. J'emploie seulement cet exemple pour illustrer certains pièges caractéristiques où les intellectuels ont tendance à tomber, surtout lorsqu'ils sont formés dans les sciences de la nature.
Le premier est la tendance universelle des intellectuels à se laisser emporter par leurs propres abstractions. Les abstractions excluent nécessairement la plupart de la réalité, et ne peuvent par conséquent jamais sans examen ni critique être automatiquement acceptées comme normes de cette réalité. Des simplifications de la théorie de l'équilibre général comme la "concurrence parfaite" se concentrent sur certains aspects de la réalité économique. Ceci leur permet d'étudier certaines relations logiques, et de servir éventuellement d'élément de comparaison pour étudier ce dont elles ont choisi de ne pas tenir compte, en particulier les problèmes d'information. Elles n'en sont pas moins impossibles : à tel point que, comme Mises nous l'a rappelé, on ne peut même pas les penser jusqu'au bout sans contradiction. Or, ces abstractions impensables, nous sommes bien obligés de constater qu'on les prend à tort pour une sorte d'idéal, et même qu'elles exercent à ce titre une incroyable fascination15.
Une telle erreur provient à l'évidence d'une surestimation naïve de leurs modèles favoris par des économistes de formation scientiste. Permettez-moi cependant de faire aussi remarquer qu'elle trouve sa source dans le mépris d'une règle élémentaire de la logique, dans un "vol de concepts" pour reprendre l'expression d'Ayn Rand : le scientisme prétend typiquement proposer des règles à l'action humaine tout en oblitérant les conditions essentielles à une telle entreprise.
La règle logique dont le scientisme ne tient pas compte, et que je commencerai par énoncer dans son propre vocabulaire, est la suivante :
"aucun modèle qui nie par hypothèse l'existence d'un phénomène ne peut être utilisé seul pour décrire, et encore moins pour juger, les conséquences de ce phénomène."
Le propos de l'analyse normative est de découvrir ce que l'homme doit faire et ne pas faire, ce qui implique qu'il possède la capacité de découvrir et de choisir effectivement l'action appropriée. Par conséquent, aucune norme de comportement ne peut être déduite de constructions intellectuelles qui ne laissent aucune place à la pensée, au libre arbitre et à un choix authentique chez les individus étudiés. Pas plus qu'on ne peut déduire une norme d'"efficacité productive" d'un modèle qui n'est même pas capable de rendre compte de la nature de la production16.
Il existe une discipline intellectuelle qui sait, elle, comme l'a dit une grande philosophe, "pourquoi l'homme a besoin d'un code de valeurs", et fait donc partir son analyse normative du fait que l'homme est capable de penser. Cette discipline n'est bien entendu nulle autre que la "Philosophie morale". Or cela, c'est peut-être la chose que le scientisme entend le moins ; bien au contraire, on voit ses adeptes colporter partout leurs jugements de valeur tout en refusant de reconnaître qu'ils piétinent les plates-bandes des philosophes moralistes —au point, d'ailleurs, de balayer ces derniers comme "irrationnels". Bien entendu, ce n'est pas le camouflage verbal qui manque à cette usurpation : rien n'est jamais bon, mais "positif", "efficace" (voire "efficient"), "optimal", et (le summum) "scientifique" ; et rien ne saurait être mauvais, mais "négatif", "inefficace", "suboptimal" et (l'excrément) "non-scientifique". Et comme les scientistes ont toutes les chances de juger plus particulièrement "non-scientifiques" les énoncés moraux qui se présentent expressément comme tels, il serait fort déraisonnable de s'attendre à une pertinence quelconque, ni même à une cohérence minimale dans une analyse normative dont ils auraient choisi les prémisses. Ne soyons donc pas surpris de l'inconscience ordinaire avec laquelle ils manipulent des notions dont par ailleurs ils nient formellement les fondements philosophiques (leurs vols de concepts), et présentent l'impensable en guise de norme (leur idéalisme de fait, paradoxe caractéristique de leur matérialisme méthodologique17).
Cela explique aussi le fabuleux vide moral où le socialisme prolifère. Non seulement parce qu'une telle confusion trouble l'esprit confronté aux agressions socialistes, mais aussi parce qu'elle fournit le fertile terreau sur lequel s'épanouiront les conceptions morales idéalistes, strictement inconcevables, de la croyance collectiviste. Murray Rothbard, dans son essai sur "L'égalitarisme comme révolte contre la Nature" décrit la manière dont un idéal moral irréalisable corrompt n'importe quelle société. Il me reste à souligner à quel point la Démocratie sociale a besoin de couper la morale sociale de toute référence à l'objectivité, c'est-à-dire à la loi naturelle et à toute obligation de cohérence interne.
Le principe de base de la Démocratie sociale, la contrainte inéluctable qui pèse sur ceux qui y aspirent au pouvoir, et domine toute stratégie dans la vie démocrate-sociale est que :
"La bête doit être nourrie en permanence. [...] toute liberté ou propriété des sujets sur laquelle l'Etat arrive à mettre la main doit être redistribué aux autres [...] la concurrence politique [...] signifie que [ni l'Etat ni l'opposition] ne [peuvent] se permettre d'offrir un gain redistributif net sensiblement plus faible que la perte nette qu'ils estiment pouvoir sans risque imposer aux autres." (A. de Jasay : L'Etat)
Qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, les politiciens de la Démocratie sociale ne peuvent survivre politiquement que s'ils inventent sans arrêt de nouvelles combines redistributives. La Démocratie sociale est un incessant processus de spoliation légale imaginative. D'où le rôle central du Progrès dans le parler démocrate-social. Si l'entrepreneur politique est incapable de surenchérir sur l'offre de son adversaire, il est cuit. De sorte qu'il faut sans cesse distribuer de "Nouveaux droits", ce qui veut dire bien sûr qu'on doit toujours découvrir de nouveaux prétextes pour dépouiller les faibles au profit des puissants. Rappelez-vous la citation de George Stigler dans le discours de Ralph Raico : "perpétuellement on découvre, imagine et proclame un torrent de critiques" contre le capitalisme, c'est-à-dire contre les Droits de propriété des victimes du socialisme. Le scientisme fournit les prétextes désirés, ainsi que les exigences impossibles —les normes idéalistes— qui nourriront perpétuellement les critiques en question.
Il est vrai que la Démocratie sociale en elle-même ne manque pas d'anti-concepts en béton, d'inébranlables fausses valeurs sur lesquels construire sa propagande. L'"Egalité18" est bien sûr le Fétiche Central, dont les centaines d'interprétations également défendables autorisent autant de pillages organisés par l'Etat. La "Justice sociale" a le même avantage inhérent d'être totalement dépourvue de sens identifiable. La "Démocratie" est un autre concept imprécis, dont certains croient encore qu'il implique une sorte de respect pour les Droits individuels, ce qui permet de promouvoir encore davantage de confiscations sous couleur de "démocratiser"19.
Cependant, de telles absurdités ne pourraient guère survivre sans une idéologie qui intimide sans arrêt les critiques comme autant de béotiens obscurantistes. Il y faut aussi une espèce de Grande Prêtrise qui entretienne la fiction rêvée d'un progrès collectivement garanti alors que la réalité trop visible est celle d'une abjecte incompétence de l'Etat. Je soutiens que le scientisme fournit une telle idéologie, grands-prêtres compris.
Le scientisme disqualifie d'emblée la morale commune et la propriété naturelle, fourvoyant la recherche normative rationnelle vers des voies sans issue. Le pseudo-rationalisme de la méthodologie scientiste invite à traiter les êtres humains comme des robots, et leurs jugements de valeur —leurs pensées— comme des marchandises bonnes à être empilées, comparées et redistribuées ("la science, c'est la mesure"20). Le pseudo-expérimentalisme de la méthode scientiste déconsidère le sens commun à tel point que nous assistons depuis plus d'un demi-siècle à des tentatives pour "prouver expérimentalement" que la violence agressive des hommes de l'Etat pourrait faire autre chose que détruire et voler, absurdité que l'on peut démasquer à tout moment rien qu'en se représentant les actions envisagées.
Tout cela afin de prouver que, de tous les intellectuels, les expérimentalistes restent les plus dangereux, demeurant une source potentielle des erreurs les plus fondamentales concernant la société. D'autant plus dangereux peut-être que le progrès des sciences de la nature rend possible d'extraordinaires réussites économiques. Celles-ci semblent garantir le "progrès social" indéfini dont les politiciens démocrates-sociaux entendent usurper le mérite21, et promettre de miraculeuses avancées si l'on voulait seulement faire taire les obscurantistes qui s'imaginent que les gens ordinaires sont capables de penser et enfin traiter la société comme l'ingénieur traite sa machine.