Les enseignements philosophiques de Ayn Rand

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Par François Guillaumat

Dans son livre Ayn Rand, ou la passion de l’égoïsme rationnel (Les Belles Lettres, 2011), Alain Laurent semble résumer la pensée philosophique de Ayn Rand à l’égoïsme rationnel, tout en prétendant qu’elle ne serait pas philosophe. Il s'agit d'une erreur d'analyse.


L’épistémologie objectiviste

Ayn Rand appelait sa philosophie « Objectivisme » et n’aurait jamais songé à la réduire à l’« égoïsme rationnel » : celui-ci n’est qu’un aspect secondaire de sa pensée, la réfutation nécessaire mais accessoire d’un unique sophisme, si catastrophiquement malfaisant soit-il.

La contribution essentielle de Ayn Rand à la philosophie consiste en effet dans une théorie des concepts comme fondés sur l’expérience de la réalité et construits à partir de celle-ci.

Celle-ci permet d’ancrer fermement la preuve philosophique dans la réalité objective, ce que les autres philosophes réalistes semblent faire moins complètement, surtout quand leur point de départ est la philosophie plutôt que la science expérimentale.

Claude Tresmontant nous parle du néo-positivisme

Une vraie philosophe

Ayn Rand n’a rien d’une philosophe de par son attitude non philosophique et aussi par le fait qu’elle ne prend pas le temps suffisant de créer de véritables concepts philosophiques.

Ayn Rand par Alain Laurent (Conférence du 4 octobre 2011)

Il y a quelque paradoxe à présenter Ayn Rand comme un « penseur libéral » tout en prétendant qu’elle ne serait « pas philosophe » :

le libéralisme étant une philosophie politique, tout « penseur libéral » est automatiquement un « philosophe politique », et celle-là était bien meilleure que la plupart de ceux qui, en France, se font passer pour tels (même si ce n’est pas trop difficile).

La fausse opposition entre la logique et l’expérience

L’Objectivisme permet aussi de réfuter une fausse opposition entre la logique et l’expérience, née de l’incapacité jumelle à comprendre l’origine des abstractions aussi bien chez David Hume que chez Emmanuel Kant.

Cette fausse opposition, il suffit aux gens ordinaires de se rappeler que deux et deux font toujours quatre pour comprendre ce qu’en vaut l’aune.

Cependant les philosophes, chez qui elle est née, la prennent au sérieux tant qu’on ne leur a pas appris que la science des définitions est possible, nécessaire, et conditionne la validité de leurs énoncés, faute de quoi ils commettront :

et ils se retrouveront à manier des « abstractions flottantes » (floating abstractions) qui sont autant d’« anti-concepts » sans rapport avec la réalité objective.

Par exemple, les nominalistes sont les « voleurs de concepts » par excellence :

ils sont bien obligés de se servir de mots, mais c’est par définition du nominalisme qu’ils nient leurs fondements philosophiques, avec leur ancrage possible et nécessaire dans les lois observées de la réalité ;

de sorte que seule l’inconséquence dans la poursuite de leur absurde préjugé peut leur permettre de distinguer les « anti-concepts » de ceux qui n’en sont pas - il est vrai que cette inconséquence est fort répandue, l’absurdisme pratique impliquant une économie de la contradiction, une ladrerie dans l’antinomie, faute de quoi votre absurdisme est par trop patent et tout le monde hausse les épaules à vous entendre ou à vous lire, comme Atlas avec son globe terrestre.

C’est pourquoi la pseudo-opposition entre la logique et l’expérience, dont ils sont les auteurs et les champions, est mortelle pour la pensée,

parce qu’elle disqualifie les démonstrations logiques

et jette un soupçon permanent sur les résultats de la science expérimentale, surtout quand ceux-ci contribuent à réfuter les fausses métaphysiques

Études de métaphysique biblique, de Claude Tresmontant

Elle est aussi mortelle pour la civilisation dans la mesure où elle cautionne les absurdismes jumeaux du subjectivisme et du pseudo-expérimentalisme dans les sciences morales dont le socialisme est né, et se nourrit encore aujourd’hui.

Pour comprendre cela, il faut avoir appris un minimum de la tradition philosophique réaliste, et bien sûr ce n’est pas à quoi l’Université française invite le plus souvent.

Le dogme de la philosophie moderne par Claude Tresmontant

Egoïsme rationnel, justice sociale et altruisme

L’« égoïsme rationnel », on le trouve déjà chez Aristote, et même chez Auguste Comte l’inventeur du mot « altruisme » qui, croyez-le ou non, avait historiquement défini celui-ci comme une forme d’intérêt personnel bien compris dans un cadre social.

C’est vraiment un trait caractéristique de l’état de la philosophie au XXe siècle que la fausse notion de “justice sociale” en philosophie normative, il a fallu que ce soit un économiste qui la dénonce, et uniquement parce qu’il avait besoin d’identifier les actes censés la réaliser et qu’il fut alors le seul à pouvoir conclure que c’était logiquement impossible ; et cela, seulement au bout de soixante-dix ans de carrière intellectuelle.

La métaphysique

L’athéisme de Ayn Rand ne se déduit pas de sa philosophie, mais simplement de son incapacité à comprendre la distinction entre le nécessaire et le contingent, qu’elle confondait avec la distinction, toute aussi essentielle mais catégoriquement différente, entre ce qui est causé par les lois naturelles et ce qui l’est par les actes de la pensée humaine.

Cet athéisme est en outre logiquement incompatible avec son individualisme et sa reconnaissance du libre arbitre et du progrès humain : la métaphysique de Ayn Rand n’est pas plus cohérente que celle d’Aristote, et bien plus complètement réfutée par la science qu’à l’époque d’icelui.

L’athéisme randien est donc un accident, qui révèle les lacunes de sa formation en métaphysique, mais qui n’en a pas depuis que David Hume et Immanuel Kant, ces Bouvard et Pécuchet de l’irrationalisme, ont prétendu que celle-ci n’était pas possible ? Ce n’est pas facile de trouver des experts dans une discipline que la plupart ne reconnaissent plus.

Une fois surmontés les malentendus, reste la démonstration par Ayn Rand du fait que la métaphysique est possible et nécessaire, et c’est grâce à elle que le Père Sirico, ayant par la suite fréquenté de meilleurs métaphysiciens, a pu redécouvrir Dieu et devenir prêtre catholique.

Ainsi, réhabiliter la preuve philosophique dans son intégralité est la contribution essentielle de Ayn Rand à la pensée humaine, et c’est pour cela qu’elle appelait « Objectivisme » sa philosophie.


Voir aussi (métaphysique et religion)

Voir aussi (autres)


Mots clés

philosophie de Ayn Rand - philosophie d'Ayn Rand