Argument d’Eichmann

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Je tiens à déclarer que je considère ce meurtre, l’extermination des Juifs, comme l’un des crimes majeurs de l’Humanité (...) mais à mon grand regret, étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m’occuper de la question de l’organisation des transports. Je n’ai pas été relevé de ce serment... (...) Je ne me sens donc pas responsable en mon for intérieur.(...) J’étais adapté à ce travail de bureau dans le service, j’ai fait mon devoir, conformément aux ordres. Et on ne m’a jamais reproché d’avoir manqué à mon devoir.

SS Obersturmbannführer Adolf Eichmann

Historique

Eichmann plaida non coupable. Il insista sur le fait qu’il obéissait non seulement aux ordres, mais aussi à la loi. Pendant le III Reich, les ordres d’Hitler avaient force de loi.
Eichmann fit de nombreux efforts pour prouver qu’il n’était personnellement pas hostile aux juifs. Il dit n’avoir tué aucun juif, ni ordonné de le faire, mais sans vraiment laisser planer de doute sur le fait qu’il aurait tué si on lui avait ordonné de le faire.

http://www.systerofnight.net/religion/html/eichmann.html

Définition

L’Argument d’Eichmann consiste à s’estimer exempté de responsabilité morale sous prétexte que « on n’a fait qu’obéir aux ordres » ou que « on n’a fait que notre travail » ou que « on n’a fait que notre devoir ».

Un argument toujours d’actualité

- Sorry Luke, I’m just doing my job, you gotta appreciate that.
- Calling it your job don’t make it right, boss.
Cool Hand Luke


- Sabés que sos un delincuente, ¿no?
- Estoy haciendo mi trabajo.
- No, los que trabajan para delincuentes son otros delincuentes.
Relatos Salvajes

Droit, morale et choix

Or,

  • « on » choisit son « travail ». Les choix (et rien que les choix d’ailleurs) impliquent une responsabilité tant morale que vis-à-vis du Droit.
  • « on » choisit ou non d’obéir aux ordres, « on » choisit de s’engager ou non à obéir aux ordres. Lorsqu’on n’a pas choisi à l’avance d’obéir aux ordres, par exemple pour la conscription, la désobéissance aux ordres peut constituer un dilemme du prisonner, mais c’est un autre problème, celui des actes accomplis sous la menace.

Le caractère moral, juste et productif d’un acte :

  • ne dépend pas de la rémunération ou non de l’acte, car on peut être payé à ne rien faire, payé pour produire, ou payé pour détruire et on peut aussi ne rien faire, ou détruire, ou produire, à titre « gratuit » [1] ;
  • ne dépend pas non plus des déclarations ou « ordres » d’autrui ;
  • ne dépend pas non plus de ce que d’aucuns choisissent de considérer certains ensembles d’actes, de compétences et de connaissances et non d’autres comme « métier » ou comme « travail ». Un voleur et un plombier ont tous deux des compétences particulières à leur activité, éventuellement une expérience dans leur domaine, et ont peut-être chacun dû consentir des coûts d’opportunité pour acquérir la formation adéquate. L’un comme l’autre peuvent être payés pour ce qu’ils font, ou le faire pour leur propre compte. La différence pertinente n’est donc pas que l’un « ferait son travail » et non l’autre, mais que l’un respecte le Droit et l’autre non. Le fait que quelque chose soit un « travail », c’est à dire que l’on soit payé pour le faire, ne change rien non plus par rapport au statut de chaque acte individuel par rapport à la morale et au Droit ;
  • dépend uniquement de l’acte lui-même. Chacun porte donc la responsabilité morale de ses actes.

L’amoralité de l’argent

Outre la croyance dans le chapeau, l’autre composante de l’argument réside dans la valeur morale attribuée à l’argent.

Il est assez paradoxal, d’ailleurs, que certains considèrent que le simple fait qu’il y ait eu une transaction monétaire donnerait une valeur morale à une action. En effet, a contrario, d’autres (ou les mêmes), considèrent que l’intervention de l’argent suffirait à rendre contraire au droit une transaction parfaitement morale et légitime dès lors que l’argent n’intervient pas:

En vérité, bien entendu, l’intervention de l’argent ne change strictement rien au caractère juste (non-agression) ou injuste (agression) d’une action.

On remarquera, donc, que l’intervention de l’argent, dans l’imaginaire étatiste, rendrait d’une part légitimes de vrais crimes (agression, meurtre, kidnapping), et d’autre part transformerait en crimes des actions légitimes (don d’organes, sexe). Et bien entendu, ceux qui prêtent de telles vertus magiques à l’argent, accuseront dans la foulée les libéraux d’attacher trop d’importance à ce dernier.

Un argument réfuté depuis longtemps

Un devoir positif, général, sans restriction, toutes les fois qu’une loi paraît injuste, c’est de ne pas s’en rendre l’exécuteur. Cette force d’inertie n’entraîne ni bouleversement, ni révolution, ni désordre ; et c’eût été certes un beau spectacle, si, quand l’iniquité gouvernait, on eût vu des autorités coupables rédiger en vain des lois sanguinaires, des proscriptions en masse, des arrêtés de déportation, et ne trouvant dans le peuple immense et silencieux qui gémissait sous leur puissance, nul exécuteur de leurs injustices, nul complice de leurs forfaits.

Rien n’excuse l’homme qui prête son assistance à la loi qu’il croit inique ; le juge qui siège dans une cour qu’il croit illégale, ou qui prononce une sentence qu’il désapprouve ; le ministre qui fait exécuter un décret contre sa conscience ; le satellite qui arrête l’homme qu’il sait innocent, pour le livrer à ses bourreaux.

La terreur n’est pas une excuse plus valable que les autres passions infâmes. Malheur à ces hommes éternellement comprimés, à ce qu’ils nous disent, agents infatigables de toutes les tyrannies existantes, dénonciateurs posthumes de toutes les tyrannies renversées ! On nous alléguait, à une époque affreuse, qu’on ne se faisait l’agent des lois injustes, que pour en affaiblir la rigueur, et que le pouvoir, dont on consentait à se rendre le dépositaire, aurait causé plus de mal encore s’il eût été remis à des mains moins pures. Transaction mensongère, qui ouvrait à tous les crimes une carrière sans bornes ! Chacun marchandait avec sa conscience, et chaque degré d’injustice trouvait de dignes exécuteurs. Je ne vois pas pourquoi, dans ce système, on ne serait pas le bourreau de l’innocence, sous le prétexte qu’on l’étranglerait plus doucement.

Benjamin Constant, Des droits individuels, 1818

Voir aussi