Ayn Rand
Philosophe et romancière américaine. Bien que ses conclusions politiques soient proches du libéralisme, elle s’en est explicitement distancée, préfèrant sa propre philosophie complète, l’objectivisme.
Biographie
Ayn Rand (2 février 1905 - 6 mars 1982), née Alissa Zinovievna Rosenbaum, est une philosophe et romancière américaine (d’origine juive russe émigrée), connue pour sa philosophie, l’objectivisme. Sa principale œuvre est Atlas Shrugged (1957), un roman qui met en scène des entrepreneurs se révoltant face au pillage étatiste.
Œuvres
Fiction
- Anthem
- Atlas Shrugged
- The Fountainhead
Essais
- The Virtue of Selfishness
- Capitalism: the Unknown Ideal
- We The Living
- Philosophy: Who Needs It
Articles
Philosophie
Autres
Critique
Épistémologie
Ayn Rand ne tirait pas toutes les conclusions apodictiques de l’individualisme méthodologique. Ainsi, elle prenait le collectivisme au sérieux :
- Le collectivisme affirme que l’homme n’a pas de droits : que son travail, son corps et sa personnalité appartiennent au groupe ; que le groupe peut faire de lui ce qui lui plaît, de quelque façon qu’il veut, au nom de quoi que ce soit qu’il décide être son propre bien-être. Par conséquent, chaque homme existe uniquement de par l’autorisation du groupe et pour l’intérêt du groupe.
- Ayn Rand, Manuel d’américanisme
Or, un groupe n’a pas d’intérêt, ni de bien-être, et ne décide rien du tout[1]. Ce genre de sophisme a été identifié correctement par Ludwig von Mises dans son livre d’épistémologie en tant que réification. Ayn Rand le comprenait certes [2] [3] mais n’en tirait malhereusement pas toutes les conclusions, donnant lieu à diverses erreurs :
- un respect indû pour les idéologies socialistes, comme si elles étaient des philosophies cohérentes, et non de simples prétextes ad hoc élaborés par des individus assoifés de pouvoir dans le cadre du marxisme culturel (comme si, d’ailleurs, leur éventuelle cohérence eusse été une vertu) ;
- des personnages de ses romans qui s’en prennent à « la société » (un peu façon [4]), comme si celle-ci avait une opinion et des valeurs propres : « I will live in the world as it is, in the manner of life it demands. Not halfway, but completely. Not pleading and running from it, but walking out to meet it, beating it to the pain and the ugliness, being first to choose the worst it can do to me. » (Atlas Shrugged) ;
- une théorie de la « valeur objective », comme si la valeur n’était pas subjective et donc individuelle par définition (la même erreur se retrouve chez les écologistes et leur « valeur intrinsèque », une erreur critiquée notamment par George Reisman dans Capitalism [5]) ;
- un respect pour les États établis, en dépit de toute considération historique, comme si ceux-ci étaient bel et bien le reflet d’une « volonté collective » ;
- et naturellement son minarchisme, comme si une prise de décision « collective » sur un territoire arbitraire était possible, comme si une délégation non-individuelle des droits était possible, etc.
Ayn Rand ne comprenait pas non plus les limites de la rationalité individuelle, telles que démontrées notamment par les apports de la psychologie évolutionniste (auxquels Hayek, par exemple, s’intéressait déjà à la même époque, et que les libéraux et économistes autrichiens suivent de près depuis), soit le fait qu’il y a des comportements qui ne sont pas explicables par une logique individuelle, mais par la logique de la sélection naturelle et sexuelle. Elle se réfère explicitement à la théorie de la « tabula rasa », dont la fausseté a été largement démontrée[6] (pour une bonne synthèse des motivations humaines réelles, voir par exemple Prometheus Rising de Robert Anton Wilson[7]).
Elle tombait ainsi tout droit dans ce que Harry Browne (autre candidat du Libertarian Party à la présidentielle a identifié correctement comme « le piège intellectuel » (The Intellectual trap)[8], soit celui de chercher à rationaliser des émotions, désirs, etc, qui ne relèvent pas d’une décision consciente et rationnelle, mais sont le fruit de facteurs psychologiques (programmation génétique, « imprints », etc.). Ayn Rand adopte une position de rationalisation extrême, comme si tomber amoureux (le verbe n’est pas anodin) ou même avoir une orientation sexuelle donnée étaient des choix conscients.
Le lecteur avisé trouvera ainsi particulièrement niais le chapitre 4 de Virtue of Selfishness (The Conflicts of Men’s Interests) où elle prétend démontrer qu’il n’y aurait pas de conflit d’intérêts entre les hommes (rationnels, cela va sans dire).
Il apprendra ainsi que :
- Thus, when a rational man pursues a goal in a free society, he does not place himself at the mercy of whims, the favors or the prejudices of others; he depends on nothing but his own effort: directly, by doing objectively valuable work—indirectly, through the objective evaluation of his work by others.
Le producteur qui voit soudain ses produits passés de mode sera rassuré d’apprendre que c’est leur « valeur objective » qui a changé.
Une analyse du sujet un peu plus sérieuse : [9] -- ou encore : [10] )
De même que les socialistes ne comprennent pas les jeux à somme positive[11], Ayn Rand semble ne pas comprendre les jeux à somme nulle, ni la rareté (d’intérêt pourtant essentiel pour l’économie et les droits de propriété), ni même l’importance du hasard (on préférara à ce propos d’autres écrivains[12] ), ni même, tout simplement, la subjectivité des préférences [13]. Ainsi, on ne « décide » pas de préférer le rouge au violet ou le Bordeaux au Beaujolais, il n’y a rien d’objectif, de rationnel ou d’éthique dans l’une au l’autre préférence, et il n’y a rien de moral, de juste ou de méritoratique au succès ainsi résultant du producteur respectif de l’un ou de l’autre — c’est tout simplement la réalité des différences individuelles de préférence, qui existent et n’ont pas à être « rationelles » pour être respectables.
Éthique
Dans Virtue of Selfishness, Ayn Rand élabore une théorie de ce qu’elle appelle « éthique » :
- Since reason is man’s basic means of survival, that which is proper to the life of a rational being is the good; that which negates, opposes or destroys it is the evil.[14]
Mais comment déterminer ce qui est « proper » et ce qu’il ne l’est pas ? Blank out, comme elle dirait, c’est un peu de l’anti-concept à la « dignité humaine » (« ce qui est digne pour un homme »).
Avec, naturellement, le même genre de dérives absurdes :
- I like to think of fire held in a man’s hand. Fire, a dangerous force, tamed at his fingertips. I often wonder about the hours when a man sits alone, watching the smoke of a cigarette, thinking. I wonder what great things have come from such hours. When a man thinks, there is a spot of fire alive in his mind—and it is proper that he should have the burning point of a cigarette as his one expression.
- Ayn Rand, Atlas Shrugged
La valeur-travail
Une valeur absolue semble être le travail, et notamment le « travail bien fait » :
- there’s nothing of any importance in life—except how well you do your work. Nothing. Only that. Whatever else you are, will come from that. It’s the only measure of human value. All the codes of ethics they’ll try to ram down your throat are just so much paper money put out by swindlers to fleece people of their virtues. The code of competence is the only system of morality that’s on a gold standard. When you grow up, you’ll know what I mean.
- Ayn Rand, Atlas Shrugged
Le choix d’un travail respectant le Droit ? Secondaire... (voir faire son travail et argent facile). À nouveau, ceci est visible chez les personnages principaux de ses romans, poussé à son paroxysme par Roark, dont la philosophie morale semble se résumer à celle d’un workaholic hédoniste qui ne se pose aucune question, dès lors qu’il peut faire ce qu’il aime — son travail. Il ne se demanda pas par exemple si son travail sert à des projets respectant le Droit, financés sans vol (Cortlandt), ni même si ses commanditaires sont des personnes un tant soit peu morales (Wynand). En somme, il ne se soucie pas spécialement si son travail sert ses propres intérêts à long terme (Cortlandt), ni même contribuent à une société meilleure en général.
Nous pourrions même nous demander ce qu’il y aurait à redire, pour Rand, à la théorie keynésienne de créer de l’emploi en creusant des trous pour les remplir — dès lors que les trous seraient bien creusés.
Droit
Ayn Rand défendait un État « minimal », financé volontairement, mais néanmoins coercitif de par son monopole sur un territoire donné [15]. Elle n’a jamais expliqué ni comment serait déterminé ce territoire, ni comment un monopole pourrait exister sans violation de droits, sa justification de l’État ne dépassant ainsi jamais le niveau d’un vulgaire sophisme du chat-qui-aboie.
Pire, pour une minarchiste, américaine de surcroît, elle semblait ignorer complètement la problématique essentielle de comment éviter qu’un gouvernement ne déborde de ses tâches régaliennes. Ainsi, l’histoire des États-Unis, après tout sans nul doute un des États fondés sur les principes les plus explicitement minarchistes qui soient, et l’échec patent de cette tentative, ne semblait pas particulièrement l’intéresser.
Plus particulièrement, la question essentielle (pour un minarchiste !) du droit constitutionnel, étudiée de près par les libéraux, ne semblait pas la préocupper. Ainsi, de l’importance des Xe amendement (principe de subsidiarité), 1er amendement (liberté d’expression), et surtout, 2e amendement (RKBA). Ni l’importance du respect des constitutions (voir illusion constitutionnaliste, ni ses limites, ne semblaient l’avoir préccupée.
Droit de porter des armes
- Q: What is your opinion of gun control laws?
- A: I do not know enough about it to have an opinion, except to say that it is not of primary importance. Forbidding guns or registering them is not going to stop criminals from having them; nor is it a great threat to the private, non-criminal citizen if he has to register the fact that he has a gun. It is not an important issue, unless you’re ready to begin a private uprising right now, which isn’t very practical. [Ford Hall Forum, 1971]
- Q: What’s your attitude toward gun control?
- A: It is a complex, technical issue in the philosophy of law. Handguns are instruments for killing people — they are not carried for hunting animals — and you have no right to kill people. You do have the right to self-defense, however. I don’t know how the issue is going to be resolved to protect you without giving you the privilege to kill people at whim. [Ford Hall Forum, 1973] (Ayn Rand Answers, p. 19, « Gun control ». Voir aussi les commentaires sur [16]).
Eh bien non, ce n’est pas une question technique compliquée, c’est une simple question de Droit [17], d’importance politique cruciale qui plus est[18], et une Américaine n’a aucune excuse pour l’ignorer [19].
Conscription
- Question: Will you comment on the issue of should amnesty be granted to draft dodgers?
- Rand: I think it is an improper question to be discussed while there is a war going on. It is a very complex question but you cannot, when men are dying in a war, say that you promise amnesty to those who refused. On the other hand I do not blame those who refused to be drafted if they did so out of general conviction, not necessarily religious, but if they oppose the state’s right to draft them. They would have a case, and they would go to jail. And they would be willing to take that penalty. [Ford Hall Forum in 1972.]
On notera le fait amusant qu’une « objectiviste » se préocuppe des motivations personnelles d’une personne dans l’exercice de ses droits.
Là aussi, ce n’est absolument pas une question complexe, mais une simple question de Droit : chacun est libre de disposer de son temps à sa guise, selon les raisons qui ne regardent que lui, et quiconque l’en empêche par la force est un criminel.
Comme l’écrivait le libéral Benjamin Constant 150 ans avant elle, dans sa définition de la liberté :
- C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie, et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en abuser même; d’aller, de venir sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches.
Politique
Ayn Rand et les libéraux
Ayn Rand se montrait extrêmement critique des libéraux [20]. Ainsi à propos de Milton Friedman :
- I saw five minutes of it [Free to Choose]; that was enough for me, because I know [Milton] Friedman’s ideas. He is not for capitalism; he’s a miserable eclectic. He’s an enemy of Objectivism, and his objection is that I bring morality into economists, which he thinks should be amoral. I don’t always like what public television puts on, but they have better programs than ‘Free to Choose’ – the circus, for instance.
À propos des libéraux en général :
- They’re not defenders of capitalism. They’re a group of publicity seekers who rush into politics prematurely, because they allegedly want to educate people through a political campaign, which can’t be done. Further, their leadership consists of men of every persuasion, from religious conservatives to anarchists. Most of them are my enemies: they spend their time denouncing me, while plagiarizing my ideas. Now it’s a bad sign for an allegedly pro-capitalist party [Libertarian Party] to start by stealing ideas.
- I don’t think plagiarists are effective. I’ve read nothing by libertarians (when I read them, in the early years) that wasn’t my ideas badly mishandled – that is, the teeth pulled out of them – with no credit given. I didn’t know whether to be glad that no credit was given, or disgusted. I felt both. They are perhaps the worst political group today, because they can do the most harm to capitalism, by making it disreputable. I’ll take Jane Fonda over them.
Ayn Rand et les candidats à la présidentielle
Bien que se réclamant d’un État minimal financé volontairement, Ayn Rand ne semblait avoir aucun problème à voter pour divers candidats plus ou moins socialistes (à commencer par FDR), qui ont tous, sans exception durant sa vie, accroît le pouvoir de l’État américain, non seulement en contradiction flagrante avec le Droit libéral, mais même avec toute notion randienne d’État se limitant à faire respecter le droit, et même
Élection de 1972
- Question: Have you heard of the Libertarian Party and would you consider endorsing John Hospers and Tonie Nathan as presidential candidates?
- Rand: Look, I would rather vote for Bob Hope or the Marx brothers, if they still exist, or Jerry Lewis - I don’t know who is the funniest today, rather than something like professor Hospers and the Libertarian Party. Look, I don’t think Henry Wallace is a great thinker but even he - he’s pretty much of a demagogue, though with some courage - even he had the good sense to stay home this time if he wanted to some extent - if he had one ounce of sincerity and wanted some freedom for his country. To choose this year to start after personal publicity - and if Hospers and whoever the rest are get ten votes away from Nixon, which I doubt, but if they do it is a moral crime.[Ford Hall Forum in 1972.]
Rand, en effet, soutenait Nixon (voir http://ariwatch.com/PresidentialElections-1.htm ... on notera d’ailleurs l’échec flagrant de l’ensemble de son engagement politique — là aussi, si elle avait compris les conclusions du Droit libéral, elle se serait abstenue)
Nixon, donc de la guerre à la drogue — activité criminelle (et parfaitement anticonstitutionnelle, sans même parler de ses véritables motivations [21]) de l’État fédéral américain, qui offrit aux États-Unis le triste privilège de la première population carcérale du monde, aussi bien en termes relatifs qu’absolus (certains ont même comparé ce taux à celui de l’URSS sous Staline [22]), ainsi que d’incalculables dommages humains et économiques [23] ne lui semblait pas un enjeu suffisamment important pour lui préfèrer d’autres candidats — celui du Libertarian Party, par exemple.
Élection de 1976
Lors d’une séance de questions, un auditeur lui a demandé ce qu’elle pensait du candidat du Parti libéral américain (Libertarian Party), Roger MacBride.
Sa réponse :
- Now, why would I be opposed to [libertarians]? Because I have been saying (...) the same thing in everything I’ve spoken or written: that the trouble in the world today is philosophical ; that only the right philosophy can save us. And here is a party which plagiarizes some of my ideas, mixes it with the exact opposite – with religionists, with anarchists, with just about every intellectual misfit and scum that they can find – and they call themselves ‘libertarian’ and run for office. Just let me add: I dislike Mr. Reagan. I dislike Mr. Carter. And I’m not too enthusiastic about the other candidates. I would say the worst of them are giants compared to anybody who would attempt anything so unphilosophical, so low, and so pragmatic, as this libertarian party because it’s the last insult to the idea of ideas, and to philosophical consistency. [24] (Q&A @5:30-7:00)
Les autres candidats [25] étant, en plus du « démocrate » et du « républicain » :
- Eugene McCarthy, a former Democratic Senator from Minnesota, ran as an independent candidate.
- Ben Bubar, Prohibition Party nominee.
- Frank Zeidler, former mayor of Milwaukee, Wisconsin, ran as the nominee of Socialist Party USA, which was founded in a split with Socialist Party of America.
Autrement dit, Rand considérait comme des « géants » un socialiste et un prohibitionniste — préférables à un candidat libéral !
Quel était donc son programme si terrifiant de ce dernier ?
- In his campaign the issues that he supported included a free market system, a return to the gold standard, the abolition of the Federal Reserve, an end to corporate welfare, the abolition of the FCC, a foreign policy of non-interventionism, and abolishing all victimless crimes.[26]
Dérive sectaire
Voir Murray Rothbard, The Sociology of the Ayn Rand Cult
Disciples
- Yaron Brook, directeur du Ayn Rand Institute, critique Ron Paul [27]