« Vide juridique » : différence entre les versions
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''Confessions d'un coureur des bois''</blockquote> | ''Confessions d'un coureur des bois''</blockquote> | ||
Revision as of 12 May 2007 à 14:21
Dans nos démocraties modernes le vide juridique est le peu d'espace de liberté préservé de l'enchevêtrement des conventions internationales, lois, codes, réglementations et autres normes juridiques intrusives. Il forme une petite cavité dans laquelle peut se nicher le semblant de liberté individuelle qui échappe encore à la boulimie du législateur. C'est une zone franche qui n'est encore gouvernée par aucun texte spécifique et laissée à libre appréciation des individus.
L'Occident n'avait jamais connu que par éclipses, et encore jamais à un point aussi poussé, ces législations tatillonnes qui marquent le despotisme oriental. Qu'on retrouve dans nombre de civilisations hydrauliques, telles que l'Egypte ancienne, la Mésopotamie, la Chine légiste et ses cohortes de mandarins ou encore le monde arabo-musulman et sa Charia. Des législations totalitaires - dans le sens où elles ont vocation à encadrer l'ensemble de la vie humaine dans ses moindres détails - organisées autour d'un réseau bureaucratique dense, d'une souveraineté totale, une domination absolue qui ne laisse place à aucune improvisation. Un système rigide qui n'a jamais permis l'émancipation individuelle, et une culture figée dans un éternel recommencement.
Héritage de la Grèce, mais aussi du droit franc qui s'est épanouit dans une société féodale où régnaient les liens personnels ; christianisme qui favorise le rapport individuel à Dieu ; esprit humaniste qui a fait de la réappropriation de l'Antiquité et de la connaissance son idéal ; philosophie libérale qui se donne pour tâche la limitation du pouvoir ; les influences qui ont permis l'éclosion d'une civilisation de libertés sont nombreuses. L'activité juridique du législateur se bornait pour l'essentiel à une sorte de pointillé, où quelques règles isolées dans un grand vide juridique - comme autant de jalons sur un chemin - organisait la vie en société, établissait les hiérarchies sociales, punissait les crimes, dictait les usages et les tabous unanimement acceptés. De la Loi des Douze Tables au Code Napoléon la logique était restée la même.
Dans nos sociétés contemporaines la situation est inverse, le lacis des normes forment un filet aux mailles serrées où seuls subsistent quelques espaces affranchis de servitudes. La liberté a changé de camp, là où les premières lois protégeaient de l'arbitraire, aujourd'hui elles font de chacun un hors-la-loi permanent. Chaque individu étant dans ses actes quotidien, soumis à quantité de réglements contraignants, qu'il ne peut qu'ignorer involontairement ou parfois volontairement, pour s'aménager quelques havres de liberté toujours menacées par un fonctionnaire obtu.
C'est la conclusion que tire Pierre Lemieux de son expérience de coureur des bois. Ou comment en quelques années une liberté dont les québécois jouissaient depuis quatre siècles, fait d'eux des criminels susceptibles de lourdes peines. Pour posséder des armes que leurs pères possédairent. Pour ne pas en faire un plus mauvais usage qu'eux. Pour le simple fait de les détenir. Des lois despotiques formant une législation tellement touffue et épineuse que la population ne peut qu'en ignorer le sens, être en illégalité sans le vouloir, ou être incapable de se défendre en comprenant des textes soumis à l'interprétation d'une administration toute puissante tirant profit de leur complexité.
Au sens que nous donnions au terme « loi », il ne peut s’agir de véritables lois que ces textes qui criminalisent des individus pacifiques. Clairement, ce ne sont que de prétendues lois. [...] Tous les « crimes » que j’ai commis dans ma vie furent des crimes pacifiques, artificiels, des crimes de papier en vertu de prétendues lois qui n’existaient pas quelques décennies plus tôt.
Confessions d'un coureur des bois
Dans le discours public le vide juridique est un argument régulièrement utilisé pour faire ressentir la nécessité de légiférer. Nécessité qui ne peut qu'être absolue et pressante. Souvent dans des domaines abcons ou déjà largement pourvu en réglementation de toute sorte. Où ces nouveaux textes iront rejoindre quantité de lois sans décrets d'application, inappliquées ou inapplicables, oubliées, ou n'ayant pas atteint des buts que la loi est bien incapable d'atteindre. Ainsi se mêlent textes incantatoires, déclarations d'intention, bonnes résolutions jamais suivies d'effet, mesures sans lendemain, lois qui destinées au particulier finissent par corrompre la totalité. Couches sédimenteuses que viendront recouvrir d'autres couches sédimenteuses. Fatras juridique qui finit par menacer l'exigence de bonne justice que tout individu est en droit d'attendre.
Comme si le vide était l'ennemi du bien, et qu'il convenait de remplir mal plutôt que de laisser ne serait-ce qu'une terre vierge. Comme si un interstice sans loi était un affront insupportable à la souveraineté sans faille du législateur, qui ne se fixe dorénavant plus aucune limite. De la nécessité du Parlement de (ré)écrire l'histoire, de mettre en garde contre les méfaits des lipides, de nationaliser les lieux recevant du public, ou de faire passer 6 ou 7 examens complets à sa maison pour pouvoir légalement la vendre, en passant par le pourcentage d'oeuvre européenne que chaque individu doit consommer. La sécurité sanitaire, en plus de l'exception culturelle et du patriotisme économique permettant enfin à l'Etat de s'immiscer dans tous les aspects de la vie.
C'est dans la logique de la démocratie de multiplier les procédures législatives, pour répondre à tous les problèmes de la vie en société, car la population - l'électeur - le demande. Trop de chômage ? Légiférons ! Trop de criminalité ? Légiférons ! Au lieu de faire appliquer la loi. Trop de charges pour les entreprises ? Accordons des subventions ! On se souvient du sort réservé à Lionel Jospin pour avoir déclaré que la politique ne pouvait pas tout. Pourtant l'électeur demande ce tout, et le politicien est toujours prêt à se présenter comme la solution. Et on légifère d'autant plus quand on est incapable de régler un problème qui trouve son origine dans un surcroît d'administration. Plutôt que de réformer - ce qui fait toujours des mécontents - il est tellement plus facile de rajouter une couche de réglementation tout aussi impuissante que les précédentes. Et puis il est toujours grisant pour un élu de s'accaparer une parcelle de célébrité autour d'une mesure phare, quand ce n'est pas pour satisfaire un lobby en manque de symbolique.
Ce serait sans compter sans l'Union européenne qui est devenue notre plus grosse pourvoyeuse de législation, et la première tueuse de vides juridiques. Une Europe qui charrie des réglements ubuesques sur l'essence de la salade, sur la taille réglementaire d'une courge ou le densité d'une pelouse, pour former une sorte de Charia pour les européens de souche.