Libertarien
Libertarien est un anglicisme (et plus précisément un américanisme) tiré de libertarian et lancé par Henri Lepage dans les années 1970.
La tradition libérale
Comme « néo-libéral », « libertarien » est un terme qui dénote l’oubli du fait qu’il y a une tradition libérale aussi bien en Amérique qu’en Europe et une continuité dans l’histoire du libéralisme, en impliquant qu’il y aurait une tradition des libertarians américains qui défendraient des idées fondamentalement différentes des libéraux français. En réalité, le libéralisme de Murray Rothbard, Friedrich Hayek, Milton Friedman ou Ayn Rand est tout à fait dans la continuité de celui d’un Frédéric Bastiat, d’un Gustave de Molinari ou d’un Benjamin Constant. Il y a certes des différences et des points de désaccord, notamment entre anarcho-capitalistes et minarchistes, mais ces différences ne sont pas nouvelles, et faisaient déjà partie des débats autour de la pensée libérale « classique ». Les désaccords entre libéraux authentiques portent moins sur les principes libéraux de base que sur les conclusions qu’il convient d’en tirer.
Libéral ou liberal
Le terme « libéral » a un sens assez clair en français et ne prête donc pas à confusion (ne devrait donc pas prêter à confusion !) : ceux qui s’en réclament défendent bien, au sens large, le libre-échange, les libertés économiques, l’économie de marché, les droits individuels, etc., alors que ceux qui s’y opposent reconnaissent bien le libéralisme comme ennemi idéologique principal et défendent bien son contraire, le collectivisme sous une forme ou une autre.
Ce n’est pas le cas en anglais puisque la gauche sociale-démocrate et « progressiste » américaine a repris « liberal » (voir la page de Wikipedia en anglais sur « Modern liberalism in the United States » qui est parfaitement claire sur le sujet), tandis qu’en Angleterre le sens originel de « liberalism » avait perduré plus longtemps avant de, influence étatsunienne oblige, cohabiter avec le sens américain, évidemment dans une certaine confusion (voir par exemple « Liberalism v Islamism », la définition que donne ici Melanie Phillips du liberalism est assez vague et générale pour être acceptable, faute de mieux, à la fois pour les libéraux et les liberals américains…). Les libéraux américains ont donc repris « libertarian » qui avait alors un sens proche de « libertaire », mais avec une tradition plus individualiste et moins collectiviste qu’en France. À noter qu’au Québec on emploie également « libéral » plus ou moins au sens de « social-démocrate » et/ou « progressiste », et ce évidemment en raison de l’influence socio-linguistique de l’anglais nord-américain, ce qui explique a contrario l’emploi du terme « libertarien » par les libéraux québécois.
Les libéraux américains tentent d’ailleurs de se réapproprier liberal:
Libéral ou libertarien
Comme les libertarians américains contemporains[1] sont généralement « plus libéraux » – c’est-à-dire en fait sont des libéraux plus cohérents – que bon nombre de ceux qui se réclament du libéralisme au sens large en Europe (certains étant carrément des pseudo-libéraux, se rapprochant par leurs positions non-libérales des liberals américains), « libertarian » a un sens plus précis que « libéral ». C’est pour cette raison que certains libéraux francophones européens choisissent malgré tout pour se décrire d’utiliser l’américanisme « libertarien » pour éviter toute confusion avec l’une ou l’autre variante d’un libéralisme modéré ou pseudo-libéralisme. Mais comme ceux-là sont justement les libéraux les plus « radicaux », « libertarien » dans le monde francophone européen a pris au fil des années un sens encore plus précis que « libertarian » en Amérique du Nord, devenant quasiment synonyme d’anarcho-capitaliste (quasiment, car certains qui s’appellent libertariens se reconnaissent plus dans le minarchisme en tant que théorie de la société avec État ultra-minimal en opposition à la société de pur Droit privé).
Sur une échelle de « degré de libéralisme » il y aurait donc d’abord « liberal », puis « libéral », puis « libertarian », et enfin « libertarien » (la méconnaissance de ces subtilités sociologico-linguistico-sémantiques est source d’un certain nombre d’erreurs et de malentendus…). Ainsi, par exemple, dans cet entretien, Marc Grunert et Georges Lane choisissent d’identifier « anarcho-capitaliste » à « libertarien » et « minarchiste » à « libéral ».
D’autres libéraux (comme les auteurs de cette encyclopédie) considèrent au contraire que c’est une erreur d’utiliser le terme « libertarien » et que c’est à ceux qui trahissent la tradition libérale en défendant des idées anti-libérales, incohérentes et injustifiées tout en se prétendant libéraux de se poser des questions et éventuellement cesser de se réclamer du libéralisme, et non à ceux qui sont dans la continuité d’une tradition libérale européenne vieille de plusieurs siècles.
- ^ Il faut noter qu’on trouve également des éléments de libéralisme à des degrés divers chez ceux qui, en Amérique du Nord anglophone, se décrivent eux-mêmes comme conservatives ou classical liberals ou free-marketeers (ou free-marketers), ces différentes étiquettes pouvant se combiner selon le contexte ou les personnes concernées.