Dichotomie analytique-synthétique

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http://membres.lycos.fr/mgrunert/Dichotomie.htm
LA DICHOTOMIE ANALYTIQUE-SYNTHETIQUE
par Leonard Peikoff[1]


Peste qui répand dans son sillage
le subjectivisme et la dévastation conceptuelle...
En fait, la comparaison avec une peste n'est pas complètement exacte.
Une peste attaque le corps de l'homme, non sa faculté conceptuelle ;
et elle n'est pas propagée par ceux dont c'est le métier d'en protéger les gens.

Le résultat final de la théorie de la dichotomie analytique-synthétique est le verdict suivant prononcé à l'encontre de la connaissance humaine :
si la négation d'une proposition est inconcevable,
s'il n'existe aucune possibilité qu'aucun fait de la réalité la contredise jamais, c'est-à-dire si la proposition représente une connaissance qui est certaine, alors il ne s'agit pas d'une information sur le réel.
En d'autres termes, si une proposition ne saurait être fausse,
elle ne pourrait pas être juste.


Introduction

Il y a quelques années, je défendais le capitalisme dans une discussion avec un éminent professeur de philosophie. En réponse à son accusation comme quoi le capitalisme conduirait à des monopoles coercitifs, j'expliquai que de tels monopoles sont le résultat de l'intervention de l'Etat et sont logiquement impossibles dans un régime capitaliste.
(Pour une discussion de cette question, cf. Capitalism : The Unknown Ideal.) Le professeur fut singulièrement insensible à mon argument, répliquant avec une marque de surprise et de dédain :

"Logiquement impossible? Bien sûr - si on admet vos définitions. Vous ne faites que dire que, quelque part du marché qu'elle puisse contrôler, vous n'appellerez pas une entreprise un 'monopole coercitif', si cela se produit dans un système que vous appelez 'capitalisme'. Votre opinion est vraie par décision arbitraire, c'est une question de sémantique, elle est logiquement vraie mais pas factuellement vraie. Laissez maintenant la logique de côté et soyez sérieux. Considérez les véritables faits empiriques dans cette affaire[*]."

Pour ceux qui n'ont pas de formation philosophique, cette réponse sera renversante. Pourtant, ils en rencontrent les équivalents partout. Les présupposés qui la sous-tendent imprègnent notre atmosphère intellectuelle comme des microbes d'une peste noire épistémologique qui se tiendrait à l'affût pour infecter et abattre toute idée qui se réclamerait d'une argumentation logique concluante. Peste qui répand le subjectivisme et la dévastation conceptuelle dans son sillage.

Cette peste est une théorie formelle chez les spécialistes de la philosophie. On l'appelle la dichotomie analytique-synthétique. Elle est acceptée, sous une forme ou sous une autre, pratiquement par tous les philosophes contemporains influents : aussi bien les pragmatiques que les positivistes logiques, les analystes et les existentialistes.
La théorie de la dichotomie analytique-synthétique pénètre dans tous les recoins de notre culture, atteignant, directement ou indirectement, toute vie, tout problème et toute préoccupation humaine. Ses porteurs sont légion, ses formes subtilement diverses, ses causes fondamentales complexes et occultes et ses premiers symptômes prosaïques et apparemment bénins. Mais elle est mortelle.
En fait, la comparaison avec une peste n'est pas complètement exacte. Une peste attaque le corps de l'homme, non sa faculté conceptuelle ; et elle n'est pas propagée par ceux dont c'est le métier d'en protéger les gens.

Aujourd'hui, chacun doit être son propre garde du corps intellectuel. Sous quelque forme qu'il soit confronté à la théorie de la dichotomie analytique-synthétique, il doit être capable de la déceler, de la comprendre, et de lui répondre. Ce n'est qu'à ce prix qu'il pourra résister à l'assaut et demeurer épistémologiquement intact.
La théorie en question n'est pas un primaire philosophique ; la position que l'on tient en ce qui la concerne, qu'on soit d'accord avec elle ou qu'on la combatte, est largement déduite de la conception qu'on se fait de la nature des concepts. La théorie objectiviste des concepts est présentée dans l' Introduction to Objectivist Epistemology de Ayn Rand.
Dans cette discussion-ci, je construirai sur ces fondations. Je résumerai la théorie de la dichotomie analytique-synthétique comme elle serait présentée par ses partisans actuels, et lui répondrai ensuite point par point.

La théorie fut engendrée, implicitement, dans l'antiquité, par les visions du monde de Pythagore et de Platon, mais elle n'atteignit une position dominante qu'après avoir été prônée par des philosophes modernes tels que Hobbes, Leibnitz, Hume et Kant (c'est Kant qui lui a donné son nom actuel). Sous la forme qui prévaut aujourd'hui, cette théorie affirme qu'il existerait un clivage fondamental dans la connaissance humaine, divisant les propositions vraies en deux catégories mutuellement exclusives (et conjointement exhaustives) : elles différeraient, prétend-on, par leur origine, leurs référents, leur statut cognitif, et les moyens par lesquels on les valide. En particulier, quatre éléments principaux de différence distingueraient prétendument ces deux groupes.

(a) Considérons ces couples de propositions vraies :

i) Un homme est un animal rationnel.
ii) Un homme n'a que deux yeux
i) La glace est un solide
ii) La glace flotte sur l'eau
i) 2 plus 2 égale 4
ii) A 15,56 °C, 2 litres d'eau mélangés à 2 litres d'alcool éthylique donnent 3,86 litres de mélange.

La première proposition, dans chacun de ces couples, dit-on, peut être validée en se bornant à analyser la signification des concepts qui la constituent (c'est ainsi qu'on les appelle des vérités "analytiques"). Si on ne fait que spécifier les définitions des concepts pertinents pour ensuite appliquer les lois de la logique, on peut voir que la véracité de ces propositions en découle directement, de sorte que les nier impliquerait de prendre à son compte une contradiction logique. Ainsi, on les appelle aussi des "vérités logiques", ce qui signifie qu'on peut les valider en se bornant à appliquer correctement les lois de la logique.

Ainsi, si l'on en venait à déclarer qu'"un homme n'est pas un animal rationnel", ou que "2 plus 2 ne font pas quatre", on affirmerait par implication qu'"un animal rationnel n'est pas un animal rationnel", ou que "1 plus 1 plus 1 plus 1 n'est pas égal à 1 plus 1 plus 1 plus 1", deux propositions qui sont contradictoires en elles-même (cette illustration résuppose que "animal rationnel" est la définition de "l'homme"). Une forme comparable de contradiction se produirait si on niait que "la glace est un solide".

Les vérités analytiques représentent des cas concrets de la loi de l'identité ; en tant que telles, on les appelle souvent des "tautologies" (ce qui, étymologiquement, signifie que la proposition "répète la même chose" ; par exemple, "Un animal rationnel est un animal rationnel", "la forme solide de l'eau est un solide"). Comme toutes les propositions de la logique et des mathématiques peuvent finalement être analysées et validées de cette façon, ces deux disciplines, affirme-t-on, tombent entièrement dans le domaine de la moitié "analytique" ou "tautologique" de la connaissance humaine.

Les propositions synthétiques, en revanche, illustrées par la deuxième proposition dans chacun des couples ci-dessus, et par la plupart des affirmations de la vie quotidienne et des sciences, seraient de nature entièrement différentes sur tous ces points. Une proposition "synthétique" est définie comme une proposition qui ne peut pas être simplement validée par une analyse du sens ou des définitions des concepts qui la constituent. Par exemple, l'analyse des définitions à elle seule ne pourrait pas dire à quelqu'un si la glace flotte sur l'eau, ou quel volume de liquide apparaît lorsqu'on mélange diverses quentités d'eau et d'alcool éthylique.

Dans des cas de ce genre, dit Kant, le prédicat de la proposition (par exemple "flotte sur l'eau") dit du sujet ("la glace") quelque chose qui n'est pas déjà contenu dans la signification du concept-sujet (la proposition représente une synthèse du sujet avec un nouveau prédicat, d'où le nom). De telles vérités ne peuvent pas être validées en se bornant à appliquer les lois de la logique  ; elles ne représentent pas des cas concrets de la loi de l'identité. Nier de telles vérités implique une erreur, mais pas une contradiction. Ainsi, il est faux d'affirmer qu'un homme a trois yeux" ou que "la glace coule dans l'eau" mais, affirme-t-on, ces assertions ne sont pas contradictoires. Ce sont les faits en cause, et non les lois de la logique, qui condamnent de telles propositions. En conséquence, les vérités synthétiques sont dites "factuelles", en opposition avec celles dont le caractère serait "logique" ou "tautologique".

(b) Les vérités analytiques seraient nécessaires

Quelle que soit la région de l'espace et la période du temps que l'on considère, de telles propositions doivent être vraies. En fait, on les dit vraies non seulement dans l'univers entier existant réellement, mais "dans tous les mondes possibles", pour utiliser la fameuse expression de Leibnitz. Comme il est contradictoire de la nier, le contraire de n'importe quelle proposition analytique est inimaginable et inconcevable. Un visiteur revenu de quelque planète étrange pourrait raconter mainte merveille inattendue, mais ses affirmations seraient rejetées d'emblée s'il venait à dire que dans son univers, la glace était gazeuse, l'homme était un timbre-poste, et 2 plus 2 égalaient 7,3.

Des vérités synthétiques, en revanche, on déclare qu'elles ne sont pas nécessaires  ; on les dit "contingentes". Cela veut dire ceci : en fait, dans le monde réel que les hommes observent maintenant, il se trouve que ces propositions sont vraies, mais il n'est pas nécessaire qu'elles soient vraies. Elles ne sont pas vraies "de tous les mondes possibles". Comme il n'est pas contradictoire en soi de la nier, son contraire est au moins imaginable ou concevable. Il est imaginable ou concevable que les hommes puissent avoir trois yeux (ou treize à la douzaine) derrière la tête, ou que la glace coule dans l'eau comme une pierre, etc. Ces événements ne se produisent pas dans notre expérience mais, affirme-t-on, il n'y a là aucune nécessité logique. Les faits affirmés par des vérités synthétiques sont des faits "bruts", qu'aucun degré d'analyse logique ne peut rendre complètement intelligibles.
Peut-on prouver définitivement une proposition synthétique? Peut-on jamais être logiquement certain de sa véracité? La réponse donnée est : "non. En fait, aucune proposition synthétique n'est 'obligée' d'être vraie  ; on peut imaginer le contraire de chacune d'entre elles."
(Les partisans les plus acharnés de la dichotomie analytique-synthétique continuent ainsi :

"vous ne pouvez même pas être certain de la validité de votre perception directe :
par exemple, que vous voyez une tache rouge en face de vous. En classifiant comme 'rouge' ce que vous voyez, vous déclarez implicitement qu'elle est d'une couleur semblable à certaines de vos expériences passées  ; et comment savez-vous si vous vous en souvenez correctement? Que la mémoire de l'homme soit digne de confiance, ce n'est pas une tautologie  ; on peut concevoir le contraire.")

Ainsi, le plus que l'on puisse dire de vérités contingentes, synthétiques, est une sorte de mesure de leur probabilité  ; ce sont des hypothèses plus ou moins vraisemblables.


(c) Puisque les propositions analytiques sont "logiquement" vraies, on peut, prétend-on, les valider indépendamment de l'expérience.

Elles sont "non-empiriques" ou "a priori" (aujourd'hui, ces termes signifient "indépendant de l'expérience"). Les philosophes modernes reconnaissent qu'il faut une certaine expérience pour permettre à l'homme de former des concepts ; c'est-à-dire qu'une fois que les concepts appropriés ont été formés, par exemple "la glace", "solide", "l'eau", etc.), plus aucune expérience ultérieure n'est nécessaire pour valider leur combinaison dans une proposition analytiquement vraie. (Par exemple, "la glace est de l'eau solide"). La proposition découle simplement d'une analyse des définitions.
Les vérités synthétiques, en revanche, sont dites dépendantes de l'expérience pour leur validation  ; elles sont "empiriques", ou "a posteriori". Comme elles sont "factuelles", on ne peut découvrir leur véracité au départ qu'en observant directement ou indirectement les faits appropriés  ; et comme elles sont "contingentes", on ne peut découvrir si les propositions synthétiques d'hier tiennent encore aujourd'hui, qu'en examinant les données empiriques les plus récentes.


La théorie de la dichotomie analytique-synthétique
expose les hommes au choix suivant :
si votre affirmation est prouvée, elle ne dit rien de ce qui existe ;
si elle concerne ce qui existe, on ne peut pas la prouver


(d) Maintenant, nous arrivons au bouquet final : l'explication des différences précitées caractéristique du vingtième siècle. La voici : Les propositions analytiques ne fournissent aucune information sur la réalité, elles ne décrivent pas les faits, elles sont "non-ontologiques" (c'est-à-dire qu'elles n'appartienent pas à la réalité).


Les vérités analytiques, prétend-on, sont créées et maintenues par la décision arbitraire des hommes de se servir des mots (ou concepts) d'une certaine façon, ils ne font que rapporter des conventions linguistiques (ou conceptuelles). C'est là, prétend-on, ce qui explique les caractéristiques des vérités analytiques. Elles sont non-empiriques, parce qu'elles ne disent rien du monde de l'expérience. Aucun fait ne peut jamais porter le doute sur elles, elles sont immunisées contre toute correction ultérieure... parce qu'elles sont immunisées contre la réalité. Elle sont nécessaires... parce que ce sont les hommes qui font qu'elles le sont.

"Les propositions de la logique," dit Wittgenstein dans le Tractatus, "disent toutes la même chose : à savoir, rien."
"Les principes de la logique et de la mathématique", dit A. J. Ayer dans Language, Truth and Logic, "sont vraies universellement simplement parce que nous ne leur permettons jamais d'être quoi que ce soit d'autre."

Les propositions synthétiques, à l'inverse, sont bel et bien factuelles. Pour cela, l'homme paie un prix. Le prix est qu'elles sont contingentes, incertaines et ne peuvent pas être démontrées.
La théorie de la dichotomie analytique-synthétique expose les hommes au choix suivant : si votre affirmation est prouvée, elle ne dit rien de ce qui existe ; si elle concerne ce qui existe, on ne peut pas la prouver. Si c'est l'argumentation logique qui la démontre, elle représente une convention subjective ; si elle affirme un fait, la logique ne peut pas l'établir. Si vous la validez par un appel à la signification de vos concepts, alors elle est divorcée de la réalité ; si vous la validez par un appel à vos perceptions, alors vous ne pouvez pas en être certain.

L'objectivisme récuse comme fausse la théorie de la dichotomie analytique-synthétique  ; en principe, à la racine et dans chacune de ses variantes.
Maintenant, nous allons analyser et réfuter cette théorie point par point.


Les vérités "analytiques" et "synthétiques"

Une proposition définie comme analytique est une proposition qui peut être validée par une simple analyse du sens des concepts qui la constituent.
La question critique est la suivante : qu'est-ce qui est inclus dans le sens d'un concept ? Le concept désigne-t-il les existants qu'il subsume, comprenant toutes leurs caractéristiques ? Ou ne désigne-t-il que certains aspects de ces existants, désignant certaines de leurs caractéristiques mais en excluant d'autres ?

Cette dernière opinion est fondamentale dans toutes les versions de la dichotomie analytique-synthétique. Les partisans de cette dichotomie divisent les caractéristiques des existants subsumés par un concept en deux groupes : ceux qui sont inclus dans la signification du concept, et ceux, la grande majorité, dont ils prétendent qu'ils sont exclus de sa signification. La dichotomie entre les propositions s'ensuit directement. Si la proposition lie les caractéristiques "incluses" avec le concept, elle peut être validée par une simple "analyse" du concept ; si elle lie les caractéristiques "exclues" avec le concept, elle représente un acte de "synthèse".
Par exemple, on pense couramment que parmi le grand nombre de caractéristiques (anatomiques, physiologiques, psychologiques, etc.), il y en a deux, la rationalité et l'animalité, qui constituent toute la signification du concept d'"homme". Tout le reste, prétend-on, est tenu à l'écart de la signification du concept. D'après cette conception, il est "analytique" d'affirmer qu'un homme est un animal rationnel" (le prédicat est "inclus" dans le concept sujet), mais "synthétique" d'affirmer qu'"un homme n'a que deux yeux" (le prédicat est "exclu").

La source historique primaire de la théorie suivant laquelle un concept inclurait certaines des caractéristiques d'une entité mais en exclurait d'autres est le réalisme conceptuel, la théorie platonicienne des universaux. Le platonisme tient que les concepts désignent des essences immatérielles (les universaux) qui subsisteraient dans une dimension surnaturelle. Notre monde, affirmait Platon, n'est qu'une réflexion de ces essences, sous une forme matérielle. D'après cette optique, une entité physique possède deux types de caractéristiques très différentes : celles qui reflètent son essence surnaturelle, et celles qui résultent du fait que, dans ce bas monde, l'essence se manifeste sous forme matérielle.

Les premières sont "essentielles" à l'entité, et constituent sa véritable nature  ; les secondes sont des "accidents" engendrés par la matière. Comme les concepts sont censés désigner les essences, le concept d'une entité inclut ses caractéristiques "essentielles" mais exclut ses "accidents".

Comment distingue-t-on les "accidents" des caractéristiques "essentielles" dans un cas particulier ? La réponse ultime des platoniciens est : par un acte d'"intuition"
(une variante plus plausible et naturaliste de la dichotomie entre l'essence et l'accident est assumée par les aristotéliciens : sur ce point, leur théorie des concepts reflète une forte influence platonicienne).

Dans les temps modernes, le réalisme conceptuel platonicien a perdu la faveur des philosophes ; c'est le nominalisme qui est progressivement devenu la théorie dominante des concepts.


Condamnant la sélection "intuitive" des essences de Platon
comme un subjectivisme déguisé, ils rejettent ce déguisement
et adoptent le subjectivisme comme doctrine officielle,
comme si un vice caché était détestable,
mais rationnel un vice impudemment affiché.


Les nominalistes rejettent le surnaturalisme comme non-scientifique, et l'appel à l'"intuition" comme un subjectivisme à peine voilé. Ils ne rejettent pas pour autant la conséquence cruciale de la théorie platonicienne : la division des caractéristiques d'une entité en deux groupes, dont l'un est exclu du concept désignant l'entité.
Niant que les concepts aient une base objective dans les faits de la réalité, les nominalistes déclarent que leur source est une décision subjective de l'homme : les gens choisissent arbitrairement certaines caractéristiques ( = "essentielles") qui serviront de base à la classification ; à la suite de quoi, ils se mettent d'accord pour appliquer le même terme à tout concret qui se trouvera présenter ces caractéristiques "essentielles", quelle que soit la diversité de leurs autres caractéristiques. Dans cette optique, le concept (le terme) ne représente que les caractéristiques initialement décrétées comme "essentielles". Les autres caractéristiques des concepts subsumés n'ont pas de rapport nécessaire avec les caractéristiques "essentielles", et sont exclues de la signification du concept.

Observez que, tout en condamnant la conception mystique que Platon avait du sens d'un concept, les nominalistes adoptent la même dans une version sceptique. Condamnant la dichotomie platonicienne de l'essence et de l'accident comme implicitement arbitraire, ils instituent un équivalent explicitement arbitraire.
Condamnant la sélection "intuitive" des essences de Platon comme un subjectivisme déguisé, ils rejettent ce déguisement et adoptent le subjectivisme comme doctrine officielle, comme si un vice caché était détestable, mais rationnel un vice impudemment affiché. Condamnant les essences à détermination surnaturelle, ils déclarent qu'elles sont socialement déterminées, transférant ainsi dans le domaine du caprice humain ce qui avait été la prérogative du monde divin de Platon.
L'"avancée" des nominalistes par rapport à Platon a consisté à laïciser sa théorie. Or, laïciser une erreur, c'est toujours la commettre.

Sa forme change, cependant. Les nominalistes ne disent pas qu'un concept désigne seulement l'"essence" d'une entité, excluant ses "accidents". Leur version laïcisée est la suivante : un concept n'est qu'une étiquette commode pour désigner les caractéristiques énoncées dans la définition ; un concept et sa définition sont interchangeables ; un concept ne signifie rien d'autre que sa définition.

C'est l'approche platonicienne-nominaliste de la formation des concepts, exprimée dans des visions telles que celles-ci, qui fait naître la théorie de la dichotomie analytique-synthétique. Pourtant, ses partisans avancent couramment cette dichotomie comme une primaire indépendante d'aucune théorie particulière des concepts. En fait, ils insistent souvent pour faire croire que la question de la formation des concepts, puisqu'elle est "empirique" et non "logique", est en-dehors du domaine de la philosophie. (!)
(Ainsi, ils utilisent la dichotomie pour discréditer à l'avance toute recherche sur les questions dont la dichotomie elle-même dépend[2].)


Sans une théorie des concepts à la base, on ne peut, en raison,
adopter aucune théorie sur la nature ou les classes de propositions ;
les propositions ne sont que des combinaisons de concepts


En dépit de cela, ils continuent pourtant à recommander d'"analyser les concepts", et de distinguer quelles sont les vérités qui peuvent - ou ne peuvent pas - être validées par cette pratique. Ils s'attendent à ce qu'on analyse les concepts sans savoir quelle est leur source et leur nature, à ce qu'on détermine leur signification, tout en restant ignorant de leurs relations avec les concrets.
Comment ? La réponse implicite dans la pratique philosophique contemporaine est la suivante :

"puisque les gens ont déjà donné leur sens aux mots, nous n'avons qu'à suivre l'usage courant."

En d'autres termes, pour paraphraser John Galt[3] :

"Les concepts sont là  ; comment sont-ils venus jusqu'ici ? D'une certaine manière." (La grève)

Comme les concepts sont les produits complexes de la conscience humaine, toute théorie ou approche impliquant que ce sont des primaires irréductibles est invalidée par ce seul fait. Sans une théorie des concepts à la base, on ne peut, en raison, adopter aucune théorie sur la nature ou les classes de propositions ; les propositions ne sont que des combinaisons de concepts.

La théorie objectiviste des concepts détruit la théorie de la dichotomie analytique-synthétique à sa racine.
D'après l'objectivisme, les concepts

"représentent des classifications de certains existants observés à partir de leurs relations avec les autres existants observés."
(Ayn Rand, Introduction to Objectivist Epistemology ; toutes les citations ultérieures de cette section, à moins d'une mention contraire, sont extraites de cet ouvrage.)

Pour former un concept, on isole mentalement un groupe de concrets (d'unités distinctes de perception), sur la base de ressemblances observées qui les distinguent de tous les autres concrets connus (la ressemblance est

"la relation entre deux existants ou plus qui possèdent la(les) même(s) caractéristique(s), mais dans une mesure ou à un degré différent") ;

ensuite, par un processus omettant les mesures particulières de ces concrets, on les intègre dans une unité mentale unique : le concept, qui subsume tous les concrets de cette famille (un nombre potentiellement illimité). L'intégration est complétée et retenue par la sélection d'un symbole perceptible (le mot) pour le désigner.

"Un concept est une intégration mentale de deux unités ou plus possédant la(les) même(s) caractéristique(s) distinctive(s), leurs mesures particulières étant omises."

Métaphysiquement, une entité est : toutes les choses qu'elle est. Chacune de ses caractéristiques a le même statut métaphysique ; chacune d'entre elles constitue une partie de l'identité de l'entité.


Epistémologiquement, c'est par la même méthode fondamentale
que se découvrent toutes les caractéristiques
des entités subsumées par un concept :
par l'observation de ces entités.


En isolant et en intégrant les concrets qu'il a perçus, en réduisant le nombre des unités mentales qu'il doit traiter, l'homme est capable d'analyser son champ de perception, de s'engager dans une étude spécialisée, et de retenir un nombre illimité de concrets. La conceptualisation est une méthode pour acquérir et retenir l'information sur ce qui existe, à un degré qui est inaccessible à une conscience restée au niveau des perceptions.

Comme un mot est un symbole pour un concept, il n'a pas de sens en-dehors du contenu du concept qu'il symbolise. Et comme un concept est une intégration d'unités, lui-même n'a pas de contenu en-dehors des unités qui le composent. La signification d'un concept consiste dans les unités -- les existants -- qu'il intègre, incluant toutes les caractéristiques de ces unités.
Observez que les concepts désignent des existants, et non des portions d'existants arbitrairement choisies. Il n'y a jamais aucune raison, ni métaphysique ni épistémologique, ni dans la nature de la réalité ni dans celle d'une conscience conceptuelle - pour diviser les caractéristiques des unités désignées par un concept en deux groupes, dont l'un serait exclu du sens de ce concept.

Métaphysiquement, une entité est : toutes les choses qu'elle est. Chacune de ses caractéristiques a le même statut métaphysique ; chacune d'entre elles constitue une partie de l'identité de l'entité.
Epistémologiquement, toutes les caractéristiques des entités subsumées par un concept sont découvertes par la même méthode fondamentale : par l'observation de ces entités. Les ressemblances initiales, sur la base desquelles certains concrets ont été isolés et intégrés dans un concept, ont été appréhendées par un processus d'observation ; toutes les caractéristiques de ces concrets découvertes par la suite le sont par la même méthode (aussi complexes que puissent devenir les procédures inductives en cause).

Le fait que certaines caractéristiques soient, à un certain moment, inconnues de l'homme, n'indiquent pas que ces caractéristiques soient exclues de l'entité - ni du concept. Les choses sont ce qu'elles sont, les existants sont ce qu'ils sont, indépendamment de l'état de la connaissance humaine. Ainsi, un concept subsume et inclut toutes les caractéristiques de ses référents, connues et encore inconnues (cela ne signifie pas que l'homme soit omniscient, ni qu'il puisse attribuer suivant son caprice n'importe quelle caractéristique de son choix aux référents de ses concepts. Pour découvrir qu'une entité possède une certaine caractéristique, on doit s'engager dans un processus d'étude scientifique, d'observation et de validation. Ce n'est qu'alors qu'on peut savoir que la caractéristique est vraie de l'entité et qu'elle est à ce moment incluse dans la signification du concept).

"Il est d'une importance cruciale de comprendre le fait qu'un concept est une classification 'ouverte' qui inclut les caractéristiques encore à découvrir dans un groupe donné d'existants. Toute la connaissance humaine repose sur ce fait."
"Le schéma est le suivant : Quand un enfant comprend le concept dhomme', la connaissance représentée par ce concept dans son esprit consiste dans des données de sa perception, telles que l'apparence visuelle de l'homme, le son de sa voix, etc. Quand l'enfant apprend à différencier les entités vivantes de la matière inanimée, il assigne une nouvelle caractéristique : le fait d'être 'vivant' à l'entité qu'il désigne comme un 'homme'. Quand l'enfant apprend à différencier entre divers types de conscience, il inclut une nouvelle caractéristique dans son concept de l'homme, la 'rationalité', et ainsi de suite.
"Le principe implicite guidant ce processus, est :
'je sais qu'il existe une entité telle que l'homme ; je connais beaucoup de ses caractéristiques, mais il y en a beaucoup d'autres que je ne connais pas et que je dois découvrir.'
"Le même principe dirige l'étude de toute autre classe d'existants isolés par la perception et intégrés dans un concept."
"C'est le même principe qui dirige l'accumulation et la transmission de la connaissance humaine. Depuis la connaissance de l'homme que peut avoir un sauvage... [jusqu'au niveau actuel], le concept dhomme' n'a pas changé : il se réfère à la même classe d'entités. Ce qui a changé et s'est accru est la connaissance de ces entités."

Quel est alors le sens du concept d'"homme"? "L'homme" désigne un certain type d'entité, un animal rationnel, incluant toutes les caractéristiques de cette entité (anatomiques, physiologiques, psychologiques, etc., aussi bien que les relations de ces caractéristiques à celles des autres entités), toutes les caractéristiques déjà connues et toutes celles qui seront jamais à découvrir. Tout ce qui est vrai de l'entité est signifié par le concept.


toutes les vérités sont "tautologiques" et, par le même raisonnement,
toutes les propositions fausses sont des contradictions

Il s'ensuit qu'il n'y a aucune base pour faire une distinction entre des propositions "analytiques" ou synthétiques". Que l'on dise que "l'homme est un animal rationnel" ou que "l'homme n'a que deux yeux", dans les deux cas, les caractéristiques du prédicat sont vraies de l'homme et sont par conséquent incluses dans le concept d'"homme". Le sens de la première affirmation est :

"Un certain type d'entité, incluant toutes ses caractéristiques (parmi lesquelles on trouve la rationalité et l'animalité) est... un animal rationnel."

Le sens de la deuxième formule est :

"Un certain type d'entité, comprenant toutes ses caractéristiques (parmi lesquelles le fait de n'avoir que deux yeux) a... seulement deux yeux."

Chacune de ces propositions est un exemple de la loi de l'identité ; chacune est une "tautologie" : contredire chacune d'entre elles contredit la signification du concept d'"homme" et implique par conséquent une contradiction.

Une analyse de type similaire est applicable à toute proposition vraie. Toute proposition vraie se référant à un certain existant se réduit à un type fondamental du genre : "X est... une ou plus des choses qu'il(elle) est." Dans un tel cas, le prédicat affirme certaine(s) caractéristique(s) du sujet ; mais comme il s'agit bien d'une caractéristique du sujet, le(s) concept(s) désignant le sujet incluent en fait le prédicat dès le départ.
Si on souhaite utiliser le terme de "tautologie" dans ce contexte, alors toutes les vérités sont "tautologiques" (et, par le même raisonnement, toutes les propositions fausses sont des contradictions).

Quand on énonce une proposition relative à un existant, on a, en dernière analyse, deux choix possibles "X (ce qui veut dire X, l'existant, y compris toutes ses caractéristiques) est ce qu'il (elle) est ou bien : "X n'est pas ce qu'il (elle) est." Le choix entre véracité et erreur est un choix entre "tautologie" (dans le sens expliqué) et contradiction.

Dans le domaine des propositions, il n'y a qu'une distinction épistémologique fondamentale : la vérité et l'erreur. Et une seule question fondamentale : par quelle méthode découvre-t-on et valide-t-on la connaissance vraie ? Implanter une dichotomie à l'origine de la connaissance humaine, affirmer qu'il y a des méthodes de validation et des types de vérité opposés est une procédure sans fondement ni justification.

En un sens, aucune vérité n'est "analytique". Aucune proposition ne peut être validée par une simple "analyse conceptuelle" ; le contenu du concept, à savoir les caractéristiques des existants qu'il intègre, doit être découvert et validé par l'observation, avant qu'aucune "analyse" ne soit possible.
Dans un autre sens, toutes les vérités sont analytiques. Quand une caractéristique quelconque d'une entité a été découverte, la proposition attribuant cette caractéristique à l'entité en question sera identifiée comme "logiquement vraie" (sa négation contredirait la signification du concept désignant l'entité). Dans les deux cas, la dichotomie analytique-logique-tautologique contre synthétique-empirique-factuel- s'effondre complètement.

Pour justifier leur opinion que certaines des caractéristiques d'une entité sont exclues du concept qui la désigne, aussi bien les platoniciens que les nominalistes font appel à la distinction entre les caractéristiques "essentielles" et "non-essentielles" d'une entité.
Pour les platoniciens, cette division représente une division métaphysique, intrinsèque à l'entité, indépendante de l'homme et de la connaissance humaine.
Pour les nominalistes, elle émane d'une décision humaine subjective, indépendante des faits de la réalité. Pour ces deux écoles, quelles que soient leurs différences terminologiques ou autres, un concept ne désigne que les caractéristiques essentielles (ou définitionnelles) de ses unités.
Ni l'une ni l'autre école ne fournit de distinction objective pour la distinction entre les caractéristiques "essentielles" et "non-essentielles" d'une entité (le surnaturalisme, dans sa forme avouée ou laïcisée, n'est une base objective de rien du tout). Ni l'une ni l'autre école n'explique pourquoi une telle distinction serait objectivement nécessitée par le processus de conceptualisation.

Cette explication est fournie par l'objectivisme, qui expose les erreurs fondamentales de la position platonicienne-nominaliste.
Lorsqu'un homme atteint un certain niveau de raffinement conceptuel, il a besoin de découvrir une méthode pour organiser ses concepts et les relier entre eux : il lui faut une méthode qui lui permettra de garder chacun de ses concepts clairement distinct de tous les autres, chacun étant lié à un groupe d'existants spécifique, clairement distinct des autres existants qu'il connaît (dans les premières étapes du développement conceptuel, lorsque les concepts d'un enfant sont relativement peu nombreux et désignent des concrets directement perceptibles, des "définitions ostensives" sont suffisantes pour ce faire).

La méthode consiste à définir chaque concept, en spécifiant la (les) caractéristique(s) de ses unités dont dépend le plus grand nombre des autres caractéristiques qu'on leur connaît, et qui permettent de distinguer les unités du concept de tous les autres existants. La(les) caractéristique(s) qui remplissent cette exigence sont désignées comme ses caractéristiques "essentielles", dans ce contexte de la connaissance.

Les caractéristiques essentielles sont déterminées à l'intérieur d'un contexte. La (les) caractéristique(s) qui distingue(nt) le plus fondamentalement un certain type d'entité de tous les autres existants connus à ce moment, peu(ven)t bien ne plus y parvenir dans le contexte d'une connaissance plus large, quand on apprend à connaître d'autres existants et/ou quand on découvre un plus grand nombre des caractéristiques de l'entité. La(les) caractéristique(s) désignée(s) comme essentielle(s) et la définition qu'elle(s) exprime(nt) peuvent changer à mesure que s'étend le contexte de la connaissance.
Ainsi, les essences ne sont pas intrinsèques aux entités, comme le croyait Platon (et Aristote) ; elles sont épistémologiques et non métaphysiques. Une définition en termes de caractéristiques essentielles

"est un procédé de la méthode humaine d'acquisition de la connaissance : un moyen pour classifier, condenser, et intégrer un corps de connaissances en croissance permanente."

La désignation des caractéristiques essentielles n'est pas davantage une question de choix arbitraire ni de décret subjectif. Une définition contextuelle ne peut être formulée qu'après qu'on a entièrement examiné tous les faits connus relatifs aux unités en question : leurs ressemblances, en quoi elles diffèrent des autres existants, les relations de cause à effet entre leurs caractéristiques, etc. Cette connaissance détermine quelle(s) caractéristique(s) est(sont) objectivement essentielle(s) et par conséquent quelle définition est objectivement correcte, dans le contexte d'une connaissance donnée. Quoique la définition ne mentionne explicitement que la(les) caractéristique(s) essentielle(s), elle implique et condense l'ensemble de cette connaissance.
Dans l'optique objectiviste, contextuelle des essences, un concept ne désigne pas seulement les caractéristiques essentielles de ses unités, celles qui le définissent. Désigner comme "essentielle" une caractéristique d'un concept, s'en servir pour le "définir" consiste à choisir, dans l'ensemble du contenu de ce concept, la caractéristique qui résume et différencie le mieux ce concept dans un contexte cognitif spécifique.
Une telle sélection présuppose la relation entre le concept et ses unités : elle présuppose que le concept est une intégration d'unités, et que son contenu consiste en ses unités, incluant toutes leurs caractéristiques. Ce n'est qu'à cause de ce fait que le concept peut recevoir diverses définitions dans des contextes différents de la connaissance.


le processus de définition, aux mains des nominalistes,
réalise le contraire exact de sa raison d'être véritable


Quand on choisit "animal rationnel" comme définition de "l'homme", cela ne veut pas dire que le concept d'"homme" devienne une étiquette commode pour "tout ce qui a de la rationalité et de l'animalité". Cela ne signifie pas que le concept d'"homme" soit interchangeable avec l'expression "animal rationnel", ni que toutes les autres caractéristiques de l'homme soient exclues du concept. Cela signifie :

"une certaine sorte d'entité, incluant toutes ses caractéristiques est, dans le contexte de la connaissance actuelle, le plus fondamentalement distinguée de toutes les autres entités par le fait qu'elle est un animal rationnel".

Toutes les connaissances actuellement disponibles sur les autres caractéristiques de l'homme sont nécessaires pour valider cette définition, et sont impliquées par elle. Toutes ces autres caractéristiques continuent à faire partie de ce que contient le concept d'"homme".

La conception nominaliste suivant laquelle le concept ne serait qu'une étiquette pour sa définition exprime une incapacité profonde à comprendre le rôle de la définition dans le processus de formation des concepts. La contrepartie de cette incapacité est que le processus de définition, aux mains des nominalistes, réalise le contraire exact de sa raison d'être véritable. Le rôle d'une définition est de garder un concept distinct de tous les autres, de le maintenir en contact avec un groupe d'existants spécifique. Dans l'optique nominaliste, c'est précisément cette relation qui est rompue : à partir d'un moment où un concept est défini, il cesse de désigner des existants et, à leur place, ne désigne que la caractéristique définitionnelle.

Allons plus loin : d'après une conception rationnelle des définitions, une définition organise et condense, aidant ainsi à retenir, une multitude d'informations sur les caractéristiques des unités d'un concept.
Or, dans l'approche nominaliste, c'est précisément cette information qui est rejetée lorsqu'on définit un concept : dès qu'une caractéristique est choisie pour sa définition, toutes les autres caractéristiques sont expulsées du concept, qui se recroqueville pour ne plus désigner que la définition en question. Par exemple, aussi longtemps que la conception de l'homme que peut avoir un enfant demeure définie de manière ostensive (par la désignation), l'enfant sait que l'homme a une tête, deux yeux, deux bras, etc. ; dans l'approche nominaliste, à partir du moment où l'enfant a défini "l'homme", il a rejeté toute cette information. A la suite de quoi, "l'homme" ne signifierait plus pour lui que : "une chose avec de la rationalité et de l'animalité".
Dans l'approche nominaliste, le processus de définition d'un concept consiste à le couper de ses référents, et de faire systématiquement comme si on ne savait plus rien de ses caractéristiques. La définition, l'instrument même qui est fait pour promouvoir l'intégration conceptuelle, devient un agent de sa destruction, un moyen de désintégration.

Ceux qui tiennent qu'un concept ne signifierait que sa définition, ne peuvent manquer de savoir que les gens se servent des concepts pour désigner des existants (quand une femme dit : "j'ai épousé un homme merveilleux", il est clair pour la plupart des philosophes qu'elle ne veut pas dire : "j'ai épousé une merveilleuse combinaison de rationalité et d'animalité"). Ayant coupé la relation entre un concept et ses référents, ce genre de philosophe ressent confusément que cette relation existe et qu'elle est importante. Pour en rendre compte, ils font appel à une théorie qui remonte maintenant à plusieurs siècles et qu'on considère généralement aujourd'hui comme indiscutable : l'idée suivant laquelle un concept aurait deux types, ou deux dimensions de sens.
On s'y réfère traditionnellement, comme à l'"extension" (ou "dénotation") d'un concept et à son "intension" (ou "connotation").
Par l'"extension" d'un concept, les partisans de la théorie désignent les concrets subsumés par le concept. Par l'"intension" d'un concept, ils désignent les caractéristiques des concrets qui sont énoncés dans la définition du concept. (C'est ce qu'on appelle en général aujourd'hui l'intension "conventionnelle" ; la distinction entre diverses formes d'intension ne fait en réalité qu'ajouter erreur sur erreur dans la théorie, et n'a pas de pertinence pour notre discussion.) Ainsi, dans la signification "extensive", "l'homme" signifie Socrate, Platon, Aristote, Pierre, Jacques ou Jean, etc. dans la signification "intensive", "l'homme" veut dire "animal rationnel".

Un manuel de logique conventionnel résume la théorie comme suit :

"l'intension d'un terme, comme nous l'avons noté, est ce qu'on appelle habituellement sa définition. L'extension, en revanche, nous réfère à l'ensemble des objets auxquels cette définition s'applique... l'extension et l'intension sont donc intimement liées, mais ils se réfèrent aux objets de manière différente. L'extension à une liste des objets singuliers qui entrent dans son orbite, l'intension aux qualités ou caractéristiques des individus".


(Lionel Ruby : Logic : An Introduction.)

Cette théorie introduit un autre clivage artificiel : entre un existant et ses caractéristiques. Dans le sens où un concept désigne ses référents (sa signification "intensive") il ne désigne pas ses caractéristiques (son sens "extensif"), et vice-versa. En fait, on doit choisir : ou bien on désigne des existants, indépendamment de leurs caractéristiques, ou (certaines) caractéristiques, à l'écart des existants qui les possèdent.

En fait, ni l'un ni l'autre de ces prétendus types de signification n'est métaphysiquement ni épistémologiquement possible.
Un concept ne peut pas désigner des existants séparés de leurs caractéristiques. Une chose est... ce qu'elle est ; ses caractéristiques constituent son identité. Un existant séparé de ses caractéristiques voudrait dire un existant séparé de son identité, ce qui veut dire : rien du tout, un non-existant. Etre conscient d'un existant est être conscient de (certaines de) ses caractéristiques. C'est vrai à tous les niveux de la conscience, mais c'est particulièrement évident au niveau conceptuel. Quand on réunit un groupe d'existants dans un concept, on les isole mentalement des autres, à partir de certaines de leurs caractéristiques. Un concept ne peut pas intégrer, ni désigner un pot-pourri d'objets pris au hasard. Il ne peut qu'intégrer, désigner, se référer à et vouloir dire : des existants d'un certain type, des existants possédant certaines caractéristiques.
Le concept ne peut pas davantage désigner ses caractéristiques (ou certaines d'entre elles) indépendamment des existants qui les possèdent. Une caractéristique est un aspect d'un existant. Elle n'est pas un universel désincarné, platonicien. De même qu'un concept ne peut pas désigner des existants indépendamment de leur identité, elle ne peut pas désigner une identité indépendamment de ce qui existe. L'existence est identité (La grève).
La théorie suivant laquelle un concept désigne sa définition n'est pas améliorée lorsqu'on la combine avec l'idée suivant laquelle, dans un autre sens, un concept désignerait son "extension". Deux erreurs ne font pas une vérité. Elles ne font que produire plus encore de chaos et de confusion. La vérité est qu'un concept désigne les existants qu'il intègre, y compris toutes leurs caractéristiques. C'est cette vision-là du sens d'un concept qui garde les concepts de l'homme ancrés dans la réalité. Pour qui s'en inspire, la dichotomie entre des propositions "analytiques" et "synthétiques" ne peut pas apparaître.

La nécessité et la contingence

La théorie de la dichotomie analytique-synthétique a ses racines dans deux types d'erreur : l'une épistémologique, l'autre métaphysique. L'erreur métaphysique, comme je l'ai montré, est une idée incorrecte de la nature des concepts. L'erreur métaphysique consiste à opérer une dichotomie entre les faits nécessaires et les faits contingents.
Cette théorie remonte à la philosophie grecque, et fut prise à leur compte sous une forme ou sous une autre par pratiquement toutes les traditions philosophiques antérieures à Kant. Dans la forme sous laquelle elle est aujourd'hui pertinente, cette théorie soutient qu'il y a certains faits qui sont inhérents à la nature de la réalité. Ils doivent exister  ; ils sont nécessaires. D'autres faits, en revanche, se trouvent exister dans le monde que les hommes observent maintenant, mais ils n'existent pas nécessairement ; ils auraient pu être autres ; ils sont "contingents". Par exemple, que l'eau mouille, serait un fait "nécessaire"  ; que l'eau se transforme en glace à une certaine température, serait "contingent".
Etant donnée cette dichotomie, on se pose une question : comment sait-on, dans un cas particulier, qu'un certain fait est nécessaire? L'observation, disait-on couramment, est insuffisante pour ce faire. "L'expérience", écrivait Kant dans sa Critique de la Raison Pure, nous dit en fait ce qui est, mais pas ce qui doit être nécessairement et non autrement."
Pour établir que quelque chose est un fait, on emploie l'observation et les procédures inductives appropriées ; cependant, affirmait-on, établir que quelque chose est un fait ne démontre pas encore que le fait en question soit nécessaire. Il faut une sorte de garantie supplémentaire, au-delà de l'existence du fait, pour que celui-ci soit nécessaire ; et quelque information supplémentaire, à part celle qui est produite par l'observation et l'induction, est nécessaire pour appréhender cette garantie.

Dans l'ère pré-kantienne, il était courant d'en appeler à quelque forme d'"intuition intellectuelle" pour ce faire. Dans certains cas, disait-on, on pouvait juste "voir" qu'un certain fait était nécessaire. Comment on pouvait le voir demeurait un mystère. Il paraissait que les hommes avaient un pouvoir étrange, inexplicable, de saisir par des moyens non-précisés que certains faits ne se contentaient pas d'être, mais devaient être obligatoirement. Dans d'autres cas, il n'y avait pas d'intuition de ce genre à l'oeuvre, et les faits en question étaient jugés contingents.
Dans l'ère post-kantienne, les références à l'"intuition intellectuelle" perdirent leur faveur auprès des philosophes, mais la dichotomie nécessaire-contingent persista. Perpétuée sous diverses formes au dix-neuvième siècle, elle fut réinterprétée au vingtième comme suit :

comme on n'apprend les faits que par l'expérience, et comme l'expérience ne révèle pas la nécessité, le concept de "faits nécessaires" doit être abandonné. Les faits, dit-on maintenant, sont tous contingents autant qu'ils sont, et les propositions qui les décrivent sont des "vérités contingentes".

Quant aux vérités nécessaires, elles ne sont que le produit des conventions conceptuelles ou linguistiques de l'homme. Elles ne se réfèrent pas aux faits, elles sont vides, "analytiques", "tautologiques".

De cette manière, la dichotomie nécessaire-contingent est utilisée à l'appui de la prétendue distinction entre les propositions analytiques et synthétiques. Il est banal aujourd'hui pour les philosophes de remarquer que les propositions "de fait" sont "synthétiques" et "contingentes", alors que les "propositions "nécessaires" seraient "non-factuelles" et "analytiques" (les philosophes contemporains préfèrent parler de propositions ou d'affirmations, plutôt que de faits ; ils disent rarement que les faits sont contingents, attribuant la contingence aux propositions de fait. Il n'y a rien qui permette de justifier cette façon de parler et je n'y adhèrerai pas en discutant de leurs opinions).

Observons que les pré-kantiens traditionnels aussi bien que les conventionnalistes contemporains, sont d'accord sur l'essentiel : les deux groupes admettent la dichotomie nécessaire-contingent, et les deux affirment que les vérités nécessaires ne peuvent pas être validées par l'expérience. Il n'y a que cette différence : pour le philosophe traditionnel, la nécessité est un phénomène métaphysique, perçu par un acte d'intuition ; pour le conventionnaliste, c'est un produit des choix subjectifs de l'homme. La relation entre les deux est semblable à celle qui existe entre les platoniciens et les nominalistes en ce qui concerne les essences. Dans les deux cas, les modernes adoptent l'essentiel de la position traditionnelle ; leur "contribution" ne consiste qu'à interpréter cette position en des termes ouvertement subjectivistes.
Dans le cas qui nous occupe, l'erreur des deux écoles est l'idée suivant laquelle les faits, certains d'entre eux ou dans leur ensemble, seraient contingents. Pour autant que la réalité métaphysique soit concernée (omettant les actions de l'homme de notre considération, pour le moment), il n'y a pas de "faits qui se trouvent être ce qu'ils sont mais auraient pu être différents" qu'on pourrait opposer à des "faits qui doivent nécessairement être". Il n'y a que des faits qui sont.

L'idée suivant laquelle les faits seraient contingents, la manière dont les choses se présentent réellement n'étant qu'une possibilité parmi un certain nombre d'autres, suivant laquelle les choses auraient pu être métaphysiquement différentes, représente une incapacité à saisir la Loi de l'Identité. Comme les choses sont ce qu'elles sont, et comme tout ce qui existe possède une identité spécifique, rien dans la réalité ne peut se produire sans cause ni par hasard. La nature d'une entité détermine ce qu'elle peut faire et, dans n'importe quel ensemble de circonstances, dicte ce qu'elle fera. La loi de la causalité est entraînée par la loi de l'Identité. Les entités suivent certaines lois d'action en conséquence de leur identité, et n'ont pas le choix de le faire ou pas.
Métaphysiquement, tous les faits sont inhérents aux identités des entités qui existent. A savoir, tous les faits sont "nécessaires". Dans ce sens, être, c'est être "nécessaire". Le concept de "nécessité", dans un contexte métaphysique, est superflu (le problème de l'épistémologie est le suivant : comment découvrir les faits, comment découvrir ce qui est. Sa tâche est de formuler les méthodes d'induction appropriées, les méthodes pour acquérir et valider la connaissance scientifique. Il n'y a pas de problème pour saisir qu'un fait est nécessaire, après qu'on a compris qu'il s'agissait d'un fait).
Pendant de nombreux siècles, la théorie des "faits contingents" a été associée à une métaphysique surnaturaliste ; ces faits, disait-on, sont le produit d'un Créateur divin qui aurait pu les créer différemment, et qui peut les changer à volonté. Cette opinion représente la métaphysique des miracles, l'idée que les actions d'une entité ne sont pas liées à sa nature, que tout est possible à une entité indépendamment de son identité. Dans cette vision, une entité agit comme elle le fait, non à cause de sa nature, mais à cause de la décision d'un Dieu omnipotent.
Les partisans actuels de la théorie des "faits contingents" en tiennent essentiellement pour la même métaphysique. Eux aussi pensent que tout est possible à une entité, que ses actions sont indépendantes de sa nature, que l'univers qui existe n'est qu'un monde parmi d'autres "mondes possibles". Ils se bornent à omettre Dieu, mais ils retiennent les conséquences de la vision religieuse. Encore une fois, leur mysticisme est de forme laïcisée[4].

L'erreur fondamentale de toutes ces doctrines est l'incapacité à comprendre que l'existence est une primaire qui se suffit à elle-même. Ce n'est pas le produit d'une dimension surnaturelle, ni de quoi que ce soit d'autre. Il n'y a rien d'antécédent à l'existence, rien en-dehors d'elle, et aucune autre possibilité. L'existence existe, et seule l'existence existe. Son existence et sa nature sont irréductibles et inaltérables [mais tous les êtres n'ont pas toujours existé - [N. d. T.].

Le summum de la conception "miraculeuse" de l'existence est représenté par ces existentialistes qui font écho à Heidegger, demandant : "pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien du tout?", à savoir, pourquoi l'existence existe-t-elle? C'est la projection d'un zéro comme possibilité concurrente à l'existence, qui exige qu'on explique pourquoi l'existence existe et non le zéro [c'est la 2° Preuve par Sartre de l'existence de Dieu [N. d. T.].

Les philosophes non-existentialistes méprisent typiquement la prétendue question de Heidegger, la disqualifiant comme de la déraison commune aux existentialistes.
Ils ne se rendent apparemment pas compte qu'en tenant les faits pour contingents, ils commettent la même erreur. Quand ils disent que les faits auraient pu être différents, ils affirment que l'existence aurait pu être autre. Ils se moquent des existentialistes parce qu'ils projettent une possibilité concurente à l'existence de l'existence, mais passent leur temps à évoquer des possibilités concurrentes à son identité.
Alors que les existentialistes prétendent savoir pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, les non-existentialistes leur répondent (par implication) :

"En voilà une question ridicule. Bien sûr, que quelque chose existe. La vraie question est en fait : "-- pourquoi ce qui existe est-il ce qu'il est, et non quelque chose d'autre?"

Une source majeure de confusion, à ce propos, est l'incapacité à distinguer les faits de nature des faits décidés par l'homme ; c'est-à-dire des faits qui sont inhérents aux identités des entités de ce qui existe, des faits qui dépendent de l'exercice par l'homme de sa faculté de choisir. Comme l'homme est doté du libre-arbitre, aucun choix humain, et aucun phénomène qui est un produit de ce choix, n'est métaphysiquement nécessaire. En tout ce qui concerne un produit de la volonté humaine, il est valide de dire que l'homme a choisi ainsi, mais que ce n'était pas inhérent à la nature de l'existence qu'il ait fait ce choix particulier. Par exemple, il n'était pas nécessaire que les Etats-Unis consistent en 50 états. On aurait pu subdiviser les plus grands états, ou regrouper les plus petits, etc.
Le choix n'en est pas moins différent du hasard. L'exercice de la volonté n'est pas une exception à la loi de causalité ; c'est un type de causalité. En plus de cela, les faits de nature ne peuvent pas être changés par l'homme, et limitent les possibilités ouvertes à son choix. L'homme peut réarranger les matériaux qui existent dans la réalité, mais ne peut pas violer leur identité ; il ne peut échapper aux lois de la nature. "Pour commander à la nature, il faut lui obéir".
Ce n'est que relativement aux faits qui dépendent de la volonté humaine que l'on peut valablement dire : "il se trouve que cela est, mais cela aurait pu être autrement". Même à ce moment, le terme "contingent" est fortement trompeur. Historiquement, ce terme a été utilisé pour désigner une catégorie métaphysique beaucoup plus large que le domaine de l'action humaine ; on l'a toujours associé avec une métaphysique qui, sous une forme ou sous une autre, nie les faits de l'identité et de la causalité. La terminologie "nécessaire-contingent" ne sert qu'à engendrer la confusion et doit être abandonnée. Ce qui est nécessaire dans ce contexte est la distinction entre les faits de nature et ceux qui dépendent du libre arbitre de l'homme.
[Mais la distinction entre les faits de nature et le produit des actes humains n'est pas la même que la distinction du nécessaire et du contingent ! [N. d. T.]

On ne peut pas se servir du fait que la volonté humaine existe comme prétexte pour justifier la théorie comme quoi il existerait une dichotomie entre des propositions ou entre des vérités. Les propositions quant aux faits de nature, et celles qui décrivent des faits issus de l'action humaine, n'ont pas de caractéristiques différentes en tant que propositions. Elles ne différent que par la matière dont elles traitent, mais c'est aussi ce que font les propositions de l'astronomie relativement à celles de l'immunologie. Des vérités quant aux faits de nature et à ceux de l'action humaine sont apprises et validées par le même processus : par l'observation. Et en tant que vérités, elles sont également nécessaires. Certains faits ne sont pas nécessaires, mais toutes les vérités le sont.
La vérité est l'identification d'un fait de la réalité. Que le fait en question soit naturel ou voulu par homme, le fait détermine la vérité : si le fait existe, il n'y a pas d'autre possibilité en ce qui concerne ce qui est vrai. Par exemple, le fait que les Etats-Unis sont composés de 50 états n'était pas métaphysiquement nécessaire. Mais aussi longtemps que c'est là ce que les hommes ont choisi, la proposition comme quoi "les Etats-Unis ont cinquante états" est nécessairement vraie. Une proposition vraie doit décrire les faits tels qu'ils sont. Dans ce sens, une "vérité nécessaire" est une redondance, une "vérité contingente" une contradiction.


La logique et l'expérience

Tout au long de l'histoire, la philosophie a été déchirée par le conflit entre les rationalistes et les empiristes. Les premiers soulignent le rôle de la logique dans l'aquisition de la connaissance par l'homme, en minimisant le rôle de l'expérience ; les seconds affirment que l'expérience est la source de la conaissance humaine, tout en minimisant le rôle de la logique. Ce divorce entre la logique et l'expérience est institutionnalisé par la théorie de la dichotomie analytique-synthétique.
Les propositions analytiques, nous dit-on, seraient indépendantes de l'expérience ; ce seraient des propositions "logiques". Les affirmations "synthétiques", en revanche, seraient privées de nécessité logique ; ce seraient des propositions "empiriques".
Toute théorie qui met en avant une opposition entre le logique et l'empirique représente une incapacité à comprendre la nature de la logique et son rôle dans la connaissance humaine. La connaissance humaine n'est pas acquise par la logique indépendamment de l'expérience ni par l'expérience malgré la logique, mais par l'application de la logique à l'expérience. Toutes les vérités sont le produit de identification, par la logique, des faits de l'expérience.
L'homme est né tabula rasa ; toute sa connaissance est fondée sur - et déduite de - la validité de sa perception. Pour atteindre le niveau de conscience spécifiquement humain, l'homme doit organiser en concepts les données de sa perception, et la conceptualisation est un processus qui n'est ni automatique ni infaillible. L'homme a besoin de découvrir une méthode pour guider ce processus, si celui-ci doit conduire à des conclusions qui correspondent aux faits de la réalité, c'est-à-dire qui représentent de la connaissance. Le principe à la base de la méthode correcte est le principe fondamental de la métaphysique : la loi de l'identité. Dans la réalité, les contradictions ne peuvent pas exister  ; dans un processus cognitif, une contradiction est la preuve d'une erreur. D'où la méthode que l'homme doit suivre : identifier les faits observés, d'une manière non-contradictoire. Cette méthode est la logique : "l'art de l'identification non-contradictoire". (La grève) La logique doit être employée à toutes les étapes du développement conceptuel d'une personne, depuis la formation de ses premiers concepts jusqu'à la découverte des lois et théorie scientifiques les plus complexes. Ce n'est que lorsqu'une conclusion est fondée sur une identification et une intégration non-contradictoire de tous les faits disponibles à un instant donné, qu'elle peut passer pour de la connaissance.
L'incapacité à reconnaître que la logique est la méthode d'acquisition de la connaissance spécifique de l'homme a engendré une prolifération de clivages et de dichotomies artificiels qui représentent des resucées de la dichotomie analytique-synthétique à partir de différents points de vue. Trois prévalent en particulier aujourd'hui : les vérités logiques contre les vérités factuelles  ; ce qui est logiquement possible contre ce qui est empiriquement possible  ; et l'a priori contre l'a posteriori.
La dichotomie logique-factuel oppose des vérités qui sont validées "uniquement" en utilisant la logique (les vérités "analytiques"), et les vérités qui décrivent les faits de l'expérience (les "synthétiques"). Implicite dans cette dichotomie est l'idée que la logique est un jeu subjectif, une manière de manipuler des symboles arbitraires, et pas un moyen d'acquérir de la connaissance.
C'est l'utilisation de la logique qui permet à l'homme de déterminer ce qui est et ce qui n'est pas un fait. Introduire une distinction entre le "logique" et le "factuel", c'est créer un divorce entre la conscience et l'existence, entre des vérités conformes à la méthode humaine de la connaissance et des vérités conformes aux faits de la réalité. L'effet d'une telle dichotomie est que la logique est divorcée de la réalité ("les vérités logiques sont vides et conventionnelles") et la réalité devient inconnaissable ("les vérités factuelles sont contingentes et incertaines"). Cela revient à dire que l'homme n'a pas de méthode d'acquisition de la connaissance, c'est-à-dire aucun moyen d'appréhender ce qui existe.
L'acquisition de la connaissance, comme Ayn Rand l'a fait remarquer, implique deux questions fondamentales : "qu'est-ce que je connais?" et "comment est-ce que je le sais?" Les artisans de la dichotomie logique-factuel disent à l'homme, en fait : "tu ne peux pas connaître le 'quoi' parce qu'il n'y a pas de 'comment'". (Ces mêmes philosophes prétendent avoir établi la véracité de leur argument au moyen d'un argumentaire logique irréfutable.)
Pour appréhender la nature de cette procédure épistémologique, imaginez un mathématicien qui affirmerait qu'il y a une dichotomie entre deux types de vérités pour additionner des colonnes de nombres : des vérités qui énoncent la somme effective d'une colonne donnée, et celles qu'on obtient en suivant les lois de l'addition. Les "vérités sommatives" contre les "vérités additives". Les premières représenteraient les vraies sommes, qui seraient malheureusement impossibles à prouver et en fait inconnaissables, puisqu'on ne pourrait pas les obtenir par les procédures de l'addition ; les secondes, qui sont parfaitement certaines et nécessaires, sont malheureusement une création subjective de l'imagination, sans aucun rapport avec des sommes existantes dans le monde réel. (C'est à ce moment qu'arrive un mathématicien pragmatiste avec sa "solution" :

-"l'addition, dit-il, peut bien être subjective, mais ça marche"
- Pourquoi? Comment sait-il que ça marche? Et demain?
- Ces questions, répond-il, ne sont pas fécondes".)

Si les mathématiciens devaient accepter cette doctrine, la destruction de la mathématique s'ensuirait. Quand les philosophes acceptent cette doctrine, on peut s'attendre aux mêmes conséquences, avec cette seule différence : le domaine de la philosophie embrasse l'ensemble de la connaissance humaine.
Une autre manière d'énoncer la dichotomie analytique-synthétique est l'opinion qui oppose le "logiquement" possible et l'"empiriquement" possible.
Si la proposition suivant laquelle un phénomène donné existe n'est pas contradictoire, alors ce phénomène est dit "logiquement" possible.
Si la proposition est contradictoire, alors le phénomène est "logiquement" impossible. Certains phénomènes, d'un autre côté, quoique logiquement possibles, sont contraires aux lois "contingentes" de la nature que les hommes découvrent par l'expérience  ; ces phénomènes sont "empiriquement" mais pas "logiquement" impossibles. Ainsi, un "célibataire marié" est "logiquement" impossible ; mais un célibataire qui peut voler jusqu'à la lune en battant des bras n'est qu'"empiriquement" impossible. (Ainsi, la proposition qu'un tel célibataire existe n'est pas contradictoire, mais un tel célibataire n'est pas conforme aux lois qui se trouvent régir l'univers.)
Le fondement métaphysique de cette dichotomie est la prémisse suivant laquelle la violation des lois de la nature ne mettrait pas en oeuvre une contradiction. Cependant, comme nous l'avons vu, les lois de la nature sont inhérentes aux identités des entités qui existent. Une violation des lois de la nature nécessiterait qu'une entité agisse en contradiction avec son identité ; ce qui veut dire qu'elle nécessiterait l'existence d'une contradiction. Se représenter une telle violation sanctionne une vision "miraculeuse" de l'univers, comme nous en avons déjà discuté.
La base épistémologique de cette dichotomie est l'idée suivant laquelle concept ne consisterait que dans sa définition. Selon cette dichotomie, il est logiquement interdit de contredire la définition d'un concept ; ce qu'on affirme par ce moyen est "logiquement" impossible. Mais contredire une des charactéristiques non-définissantes des référents d'un concept est considéré comme logiquement admissible ; ce qu'on affirme dans un tel cas n'est qu'"empiriquement" impossible.
Ainsi, un "célibataire marié" contredit la définition de "célibataire" et on le considère donc comme "logiquement" impossible. Mais un "célibataire qui peut voler jusqu'à la lune en battant des bras" est considéré comme "logiquement" possible, parce que la définition du célibataire ("un homme non marié") ne précise pas ses modes de locomotion. Ce qui est méprisé ici est le fait que le concept de "célibataire" est une sous-catégorie du concept d'"homme", qu'en tant que tel il inclut toutes les caractéristiques du concept d'"homme", et que celles-ci excluent la capacité de voler jusqu'à la lune en battant des bras. Ce n'est qu'en réduisant un concept à sa définition et en refusant de tenir compte de toutes les autres caractéristiques de ses référents que l'on peut prétendre que ces projections n'impliquent pas une contradiction.

Ceux qui essaient de distinguer entre ce qui est "logiquement" possible et ce qui l'est "empiriquement", affirment couramment que ce qui est "logiquement" impossible est inimaginable et inconcevable, alors que ce qui ne l'est qu'"empiriquement" est au moins imaginable et concevable, et que cette différence justifie la distinction. Par exemple, "la glace n'est pas solide" (une impossibilité "logique") est inconcevable. Mais la "glace qui coule au fond de l'eau" (une impossiblité simplement "empirique" ) est au moins concevable, disent-ils, même si ça n'existe pas. Il suffit de se représenter un bloc de glace flottant sur l'eau, puis plongeant brusquement vers le fond.
Cet argument confond Walt Disney avec la métaphysique. Qu'on puisse projeter une image et faire un dessin animé contraire aux faits de la réalité, ne change pas les faits ; cela ne change pas la nature ni les potentialités des entités qui existent. Une image de glace coulant au fond de l'eau ne change pas la nature de l'eau ; elle n'est pas une preuve qu'il serait possible à la glace de couler au fond de l'eau. Elle ne prouve que la capacité de l'homme de s'engager dans une fantaisie de l'imagination. La fantaisie n'est pas un moyen de départager le vrai du faux.
Allons plus loin : le fait que l'homme puisse imaginer ce genre de choses ne signifie pas que le contraire de vérités démontrées soit "imaginable" ni "concevable". Dans un sens sérieux, épistémologique du terme, on ne peut pas concevoir l'opposé d'une proposition que l'on sait être vraie (à opposer aux propositions traitant des produits de l'action humaine). Si une proposition affirmant un fait de nature a été prouvé, cela signifie que l'on a prouvé que ce fait est inhérent aux identités des entités en question, et que toute possibilité concurrente exigerait l'existence d'une contradiction. Seule l'ignorance ou le refus de penser peuvent permettre à un homme de projeter de telles possibilités concurrentes. Si un homme ne sait pas qu'un certain fait a été démontré, il ne saura pas que le nier implique une contradiction. S'il le sait, mais refuse d'en tenir compte et abandonne une partie de son contexte cognitif, il n'y a pas de limite à ce qu'il peut faire semblant de concevoir. Mais ce qu'on peut se représenter par ignorance ou refus de penser, est philosophiquement sans pertinence. Cela n'est pas une raison pour instituer deux catégories distinctes de possibilités.
Il n'y a pas de distinction entre ce qui est "logiquement" et "empiriquement" possible (ou impossible). Toutes les vérités, come je l'ai dit, sont le produit d'une identification logique des faits de l'expérience. Cela s'applique aussi bien à l'identification des possibilités qu'à celle des faits avérés.
Les mêmes considérations invalident la dichotomie entre l'a priori et l'a posteriori. D'après cette variante, certaines propositions (celles qui sont analytiques) sont validées indépendamment de l'expérience, par une simple analyse des définitions des concepts qui les constituent ; ces propositions sont "a priori". Les autres (les synthétiques) dépendent de l'expérience pour être validées. Elles sont "a posteriori".
Comme nous l'avons vu, les définitions représentent la condensation d'une foule d'observations, c'est-à-dire d'une grande quantité de connaissance "empirique" ; on ne peut arriver à des définitions et les valider que sur la base de l'expérience. Il est par conséquent insensé de contraster des propositions qui seraient vraies "par définition" avec des propositions qui seraient vraies "par expérience". Si une vérité "empirique" est une vérité déduite de perceptions observées et validée par elles, alors toutes les vérités sont "empiriques". Comme la vérité est l'identification d'un fait de la réalité, une vérité "non-empirique" serait l'identification d'un fait de la réalité qui est validé indépendamment de l'observation du réel. Cela impliquerait une théorie des idées innées, ou quelque invention également mystique.
Ceux qui prétendent distinguer des propositions a posteriori et a priori affirment couramment que certaines vérités (les vérités synthétiques, factuelles) sont "empiriquement réfutables" alors que les autres (les analytiques, les logiques) ne le seraient pas. Dans le premier cas, dit-on, on peut décrire des expériences qui, si elles se produisaient, invalideraient la proposition ; dans le second, on ne le pourrait pas. Par exemple, la proposition : "les chattes ne donnent naissance qu'à des chatons" est "empiriquement réfutable" parce que l'on peut inventer des expériences qui la réfuteraient, telles que le spectacle de petits éléphanteaux sortant du ventre d'une chatte. La proposition "les chats sont des animaux", en revanche, n'est pas "empiriquement réfutable" parce que le chat est défini comme une espèce animale. Dans le premier cas, la proposition ne reste vraie qu'aussi longtemps que l'expérience continue à la confirmer ; elle dépend par conséquent de l'expérience, à savoir, elle est a posteriori. Dans le second cas, la véracité de la proposition est immunisée contre tout changement imaginable dans l'expérience et elle est par conséquent indépendante de l'expérience, à savoir : a priori.
Observez l'inversion mise en avant par cette argumentation : une proposition ne peut passer pour une vérité factuelle, empirique, que s'il est possible de faire abstraction des faits de l'expérience et d'inventer arbitrairement un ensemble de circonstances impossibles qui contrediraient ces faits. En revanche, une vérité dont l'imagination humaine elle-même est impuissante à concevoir la négation, cette vérité-là est considérée comme indépendante des faits de la réalité et non-pertinente à sa nature, c'est-à-dire en fait comme une "convention" arbitraire des hommes entre eux.
Voilà le résultat inéluctable de la tentative faite pour divorcer la logique de l'expérience.

Comme je l'ai déjà dit, la connaissance ne peut pas être établie par l'expérience en-dehors de la logique, ni par la logique indépendamment de l'expérience. Sans l'usage de la logique, l'homme n'a pas les moyens de tirer des conclusions des données de sa perception : il est condamné à la myopie des observations terre-à-terre, et n'importe quelle perception que son imagination pourrait envisager est considérée comme une éventualité possible à l'avenir, qui pourrait invalider ses propositions "empiriques". Sans référence aux faits de l'expérience, il n'y a pas de fondement aux propositions "logiques" de l'homme, et celles-ci deviennent de purs produits de ses inventions arbitraires. Divorcé de la logique, l'exercice arbitraire de l'imagination humaine sape systématiquement la validité de l'observation "empirique". Divorcée des faits de l'expérience, c'est arbitrairement que la même imagination crée une prétendue "logique".
Je défie quiconque d'inventer une manière plus complète d'invalider l'ensemble de la connaissance humaine.


Conclusion

Le résultat final de la théorie de la dichotomie analytique-synthétique est le verdict suivant prononcé à l'encontre de la connaissance humaine : si la négation d'une proposition est inconcevable, s'il n'existe aucune possibilité qu'aucun fait de la réalité la contredise jamais, c'est-à-dire si la proposition représente une connaissance qui est certaine, alors il ne s'agit pas d'une information sur le réel. En d'autres termes, si une proposition ne peut pas être fausse, elle ne peut pas être juste. Une proposition n'est digne qu'on la qualifie de factuelle que si elle affirme quelque chose qui est encore inconnu, c'est-à-dire s'il ne s'agit que d'une hypothèse ; qu'une hypothèse soit prouvée et devienne une certitude, alors elle cesse de faire référence aux faits et cesse de représenter une information sur le réel. Si une proposition est démontrée de façon concluante, de sorte que la nier impliquerait à l'évidence d'accepter une contradiction logique...alors, en vertu de ce fait, cette proposition est disqualifiée comme le produit d'une pure convention ou d'un caprice arbitraire.
Cela signifie ceci : qu'une proposition est considérée comme arbitraire précisément parce qu'elle a été logiquement prouvée. Le fait qu'une proposition ne peut pas être réfutée... la réfute (c'est-à-dire qu'il l'efface de la réalité). Une proposition ne peut conserver un rapport avec les faits que dans la mesure où elle n'a pas été validée par la méthode humaine de séparation du vrai et du faux, à savoir la logique. Ainsi, la démonstration logique devient-elle l'élément disqualifiant de la connaissance, alors que la connaissance n'existerait qu'à mesure de l'ignorance humaine.
Cette théorie constitue une inversion épistémologique radicale : elle punit le succès dans la recherche de la vérité parce que c'est un succès. Tout comme la mentalité altruiste pénalise le bien parce qu'il est le bien, la mentalité analytique-synthétique condamne la connaissance parce qu'elle est connaissance. De même que d'après l'altruisme, un homme n'a de droits que sur ce qu'il n'a pas gagné, de même, d'après cette théorie, un homme n'a le droit d'appeler "connaissance" que ce qu'il n'a pas prouvé. L'humiliation épistémologique devient la condition préalable de la connaissance : "les esprits faibles recevront la vérité en partage".
Le philosophe le plus responsable de ces inversions est Kant. Le système de Kant a laïcisé le mysticisme des siècles précédents, lui donnant ainsi un nouveau bail sur la vie des hommes dans le monde moderne. Dans la tradition religieuse, on considérait généralement que les vérités "nécessaires" étaient des conséquences de la manière divine de penser. Kant a substitué à Dieu les "structures innées de l'esprit humain", comme la source créatrice des vérités "nécessaires" (qui sont ainsi devenues indépendantes des faits de la réalité).
Les philosophes du vingtième siècle n'ont fait que tirer les conséquences ultimes de la vision kantienne. Si c'est le mode de pensée de l'homme (indépendant de la réalité) qui crée les vérités "nécessaires" alors, dirent-ils, elles ne sont ni fixes ni absolues ; on a le choix quant à son mode de pensée ; ce que l'esprit donne, il peut le reprendre. D'où le point de vue conventionnaliste actuel.
A en croire Kant, nous ne pouvons connaître que le domaine du "phénoménal", créé par l'homme ; en ce qui concerne la réalité, la connaissance est impossible. Nous ne pouvons être certains que dans la limite de nos propres conventions, à en croire les modernes ; pour ce qui est des faits, la certitude est impossible.
Les modernes représentent un développement logique, cohérent des prémisses de Kant. Ils représentent Kant plus le choix. Un kantisme volontariste, un kantisme adorateur du caprice. Kant a marqué les cartes et fait de la raison un agent de distorsion. Les modernes jouent avec les mêmes cartes  ; leur contribution consiste à jouer, en plus, en changeant les règles sans arrêt.

Maintenant regardons ce qui reste de la philosophie à la suite de ce néo-kantisme :
La métaphysique a été presque entièrement oblitérée : ses adversaires les plus influents ont déclaré que les propositions métaphysiques ne sont ni analytiques ni synthétiques et par conséquent n'ont pas de signification.
L'éthique a été virtuellement bannie du domaine de la philosophie : certains groupes ont prétendu que les propositions éthiques ne sont ni analytiques ni synthétiques mais ne sont que des "éjaculations émotives" ; d'autres groupes ont consigné l'éthique au domaine de l'homme de la rue, prétendant que les philosophes peuvent analyser le langage des propositions éthiques, mais ne sont pas compétents pour édicter des normes en la matière.
La philosophie politique a été rejetée par la quasi-totalité des écoles philosophiques : dans la mesure où la politique traite de valeurs, on l'a reléguée au même statut que l'éthique.
L'épistémologie, la théorie de la connaissance, la science qui définit les règles par lesquelles l'homme doit acquérir la connaissance des faits, a été désintégrée par l'idée que les faits sont le domaine des propositions "factuelles", "empiriques", et sont, par conséquent, exclues du domaine de la philosophie, avec pour résultat que les sciences particulières dérivent maintenant dans une marée montante d'irrationnalisme.

Ce à quoi nous assistons est la liquidation de la philosophie par elle-même. Pour recouvrer l'empire de la philosophie, il faut absolument mettre en cause, pour les éliminer, les prémisses fondamentales qui sont responsables de la débâcle actuelle.
Un progrès majeur dans cette direction serait d'éliminer cet instrument de mort connu sous le nom de dichotomie analytique-synthétique.


Voir aussi : Nathaniel Branden : Le vol de concepts
Ayn Rand : Introduction à l'épistémologie objectiviste


Notes

[*] Sur les absurdités du pseudo-concept empiriste de "monopole" sur un marché supposé libre, voir l'exposé des contradictions et présupposés arbitraires que celui-ci implique dans :
Comment l'étude des structures industrielles peut-elle être scientifique ?]
[N. d. T.]
[1] “The Analytic-Synthetic Dichotomy”, première publication dans The Objectivist de mai-septembre 1967. Extrait de : Ayn Rand & Leonard Peikoff : Introduction to Objectivist Epistemology, New York, New American Library, 1979.
[2] ce que Ayn Rand appelle un "vol de concepts" type.
[3] Héros du roman philosophique de Ayn Rand : La grève [N; d. T.]
[4] Peikoff fait ici semblant de confondre l'idée suivant laquelle les miracles seraient possibles avec l'idée comme quoi il n'y aurait pas de lois de la réalité (ce qui était le point de départ du nominalisme occamien).
Or, la notion de "miracle" doit bien présupposer l'existence de ces lois, puisqu'elle se définit comme une exception par rapport à ces lois.
Par ailleurs, dans ce qui suit, il affirme la suffisance ontologique de l'univers comme une primaire philosophique, ce qui est à ce stade une pétition de principe. [N. d. T.]