« Les Quatre leçons de Serge Gainsbourg » : différence entre les versions

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'''Initiation à la solidarité libérale'''
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par '''[[François Guillaumat]]'''
par '''[[François Guillaumat]]''', juillet 2006


== Présentation ==
== Présentation ==

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Initiation à la solidarité libérale

par François Guillaumat, juillet 2006

Présentation

Dans Le Monde daté du 15 juin 2006 [1], l’éditorial d’un dénommé Jean-Louis Andréani traduisait la méconnaissance profonde, caractéristique de ceux qui sont habitués à s’imposer aux autres, des relations volontaires qui constituent la société civile.

L’aspect le plus immédiatement frappant de leur incompréhension, Drieu Godefridi [2] et Philippe Lacoude [3] l’ont décrit tour à tour : ne mesurant aucunement qu’ils s’imposent aux autres comme jamais encore dans l’histoire, ils attribuent les problèmes de la société à la liberté que l’étatisme concède encore à ceux qu’il asservit déjà plus qu’à moitié et non au fait que, par nature, celui-ci nie le Droit de les résoudre des seuls qui auraient un véritable intérêt à le faire, et qui en auraient les moyens s’il ne les en privait pas.

Un corollaire de cette incompréhension, c’est qu’ils peuvent difficilement imaginer à quel point la société peut s’organiser sans eux, c’est-à-dire dans des relations choisies, que leur police n’impose pas à ses participants comme elle le fait dans leur socialisme. C’est cette incompréhension- là qui avait inspiré le titre de son éditorial à M. Andréani : celui-ci postulait une prétendue opposition entre le libéralisme et la solidarité, ne pouvant apparemment pas imaginer que les gens puissent être spontanément solidaires, et puissent se reconnaître un bien commun sans qu’un agent extérieur les y ait forcés. Cela le conduisait à déduire faussement, de citations sorties de leur contexte - contexte dont il n’a tenu aucun compte, que les libéraux ne reconnaîtraient aucune solidarité ni aucun bien commun.

C’est bien sûr le contraire qui est vrai : le libéralisme ne consiste pas à nier la solidarité et le bien commun mais, parce qu’il se soucie de les réaliser et pas seulement de s’en servir comme prétexte, à en identifier rationnellement les conditions authentiques. Et c’est pour s’y être astreint qu’il rejette les conceptions que s’en font ceux qui sont habitués à s’imposer aux autres : qu’il dénonce dans leur prétendu « intérêt général » [4] l’excuse automatique d’un pouvoir arbitraire ; qu’il voit dans la redistribution politique sous couleur de « solidarité » une source de conflits, qui ne constitue pas la société mais au contraire la détruit.

C’est pourquoi il peut paraître utile, en prenant pour exemple un personnage réellement libre [5], de présenter une initiation à la solidarité libérale, la seule qui soit authentique parce que tous ceux qu’elle embrasse la reconnaissent comme telle.

Une première version de ce texte a été communiqué à M. Andréani, sans réponse aucune de sa part. Comme il l’a lui-même écrit, entre les partisans de sa « solidarité » forcée [6] et ceux qui voudraient bien pouvoir lui échapper, il n’y a guère de dialogue parce que ceux qui sont habitués à s’imposer aux autres [7] s’en dispensent par définition [8]. Hayek [9], avec sa critique du « constructivisme » [10], ne nous avait-il pas permis de comprendre que l’essence du socialisme est de méconnaître la rationalité d’autrui ?

Les quatre leçons de Serge Gainsbourg

Je peux au moins me réjouir que l’article de M. Andréani [11], avec ses mots de socialiste qui se pense démocrate, nous présente, Georges Lane [12] et moi, comme représentatifs d’un libéralisme cohérent, alors que son auteur ne semble pas avoir une connaissance approfondie de la question. En effet,

- le libéralisme n’est pas « dominant » en France, il y est proscrit [13] : l’État n’y permet évidemment pas à ses partisans de vivre suivant leurs convictions, et ses monopoles, notamment universitaire, y sont faits pour les empêcher de parler [14].
- Le libéralisme n’est pas une doctrine économique [15] inventée au XVIII° siècle par Adam Smith fonctionnaire des douanes, mais la morale sociale du Décalogue [16] (« tu ne voleras pas, tu ne mentiras pas, tu ne désireras pas injustement le bien d’autrui, etc. ») que tout le monde reconnaît dans sa vie quotidienne, et une tradition politique dont les premiers écrits remontent au moins à Lao Tseu [17].
Cette tradition politique libérale n’oppose pas la défense des Droits individuels à un ou plusieurs biens communs qu’elle rejetterait : elle la tient au contraire, depuis les derniers Scolastiques [18], pour leur condition nécessaire : c’est ainsi que la véritable solidarité est libérale et non étatiste.
« les intérêts personnels poursuivis par les êtres humains dans le respect des lois naturelles de la propriété et de la responsabilité de chacun, sont harmonieux et […] leur ensemble constitue […] l’intérêt général réel de la société »
(Georges Lane, « Infradéterministe ou ultralibéral » [19], deux paragraphes en dessous de celui que M. Andréani citait comme « preuve » que les libéraux ne reconnaissent pas de bien commun)
La Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen du 26 août 1789 [20] reflète, imparfaitement, ces conclusions établies plus d’un siècle auparavant, même si ces Droits, la Révolution française les a surtout massivement violés.
- Et s’il est vrai que la « solidarité » des étatistes divise la société en deux camps, il n’y en a pas un qui serait « solidaire » et l’autre pas, et ils ne sont — malheureusement — pas séparés : il y a un camp qui s’impose par la force à l’autre [21], lequel voudrait bien échapper à ses confiscations, interdictions, et vexations destructrices, et ne le peut pas sans fuir le pays [22].

Ne pouvant pas imaginer que les fausses représentations de M. Andréani soient délibérées, j’y vois plutôt un écho involontaire de ce discours orwellien [23] des étatistes contemporains qui font tout pour qu’on ne puisse pas imaginer la solidarité sociale en-dehors de leur redistribution politique. C’est pourquoi il peut paraître utile de montrer comment cette redistribution détruit, alors que le libéralisme réalise le bien commun et la solidarité sociale.

Serge Gainsbourg

Le 11 mars 1984 à TF1 [24], sur le plateau de l’émission 7 sur 7, devant les journalistes Erik Gilbert et Jean-Louis Burgat et quelques millions de téléspectateurs, Serge Gainsbourg brûle aux trois quarts un billet de 500 Francs [25] pour montrer ce qui lui reste après que le « racket des impôts » est passé, en commentant ainsi :

« faut pas déconner… c’est pas pour les pauvres, c’est pour le nucléaire ».

En 1985, lors du « Jeu de la vérité » il signera un chèque de 100 000 francs au profit de Médecins sans frontières.

De ces deux gestes, qu’il renouvellera par la suite, nous pouvons tirer quatre leçons :

La première leçon est qu’on ne peut pas empêcher ceux à qui on prend les trois quarts des fruits de leur travail — et cela arrive très vite : quel est le smicard qui sait que la Sécurité sociale lui prend déjà la moitié de son salaire ? [26] de se juger opprimés, et asservis, par un Etat qui, avec ses impôts qui ne visent qu’eux — les impôts de la haine — en fait des Untermenschen de la République.
Qu’une société politique qui persécute une minorité, et la diffame, en raison même du fait qu’elle produit davantage que les autres, ne peut pas prétendre servir un quelconque bien commun.
Pour qu’un bien soit véritablement commun, chacun doit pouvoir y reconnaître son bien propre, et il ne peut plus l’être, commun, à partir du moment où certains nient le Droit des autres, c’est-à-dire leur humanité commune, sous prétexte de le réaliser.
La deuxième leçon est que, même alors que l’Etat vous asservit aux trois quarts sous prétexte de « solidarité sociale », il ne réussit pas à vous rendre indifférent au bien d’autrui ; que la « solidarité » forcée ne tue pas la solidarité naturelle[27], malgré tout ce qu’elle fait pour la priver de ses moyens.
La troisième leçon
— « faut pas déconner… c’est pas pour les pauvres, c’est pour le nucléaire »—
est que par définition ce sont les puissants qui imposent la redistribution politique, et c’est aux faibles qu’ils l’infligent ; et que l’on croirait moins à ses vertus « solidaires » si l’on gardait ces axiomes-là à l’esprit.
Dans « Voleurs de pauvres » j’ai énuméré quelques politiques dont l’opinion croit qu’elles profitent aux pauvres alors qu’elles les oppriment : salaire minimum, logements sociaux, garanties de prix agricoles, subventions aux transports, retraite par répartition, subventions à la culture, pseudo-« gratuité » de l’enseignement, impôts sur les sociétés et plus généralement impôts contre l’épargne.
J’y décrivais les principes et les premiers procédés de l’illusion fiscale, expliquant pourquoi les hommes publics n’ont aucune idée des effets réels de la redistribution politique et aucun intérêt à les connaître : a fortiori, l’opinion. Sur ce sujet, je publierai bientôt L’illusion fiscale, où j’expose le résultat actuel de mes recherches.
Parmi les effets de cette illusion fiscale figure le fait qu’on n’a pas encore tiré la quatrième leçon, qui est que Serge Gainsbourg aurait bien pu brûler la totalité du billet, et pour illustrer non pas ce que la redistribution politique lui laisse de son argent, mais ce qu’elle en fait.
En effet, les puissants n’y sont solidaires - entre eux - que pour prendre aux faibles. En revanche, pour partager ce qu’ils leur auront pris, ils se disputeront forcément ; dans « La Loi de Bitur-Camember », nous affirmons qu’un raisonnement économique correctement mené — tenant compte de toutes les tendances naturelles vers l’équilibre — doit conclure qu’ils dissiperont l’équivalent de la richesse redistribuée au cours des efforts faits pour s’en emparer.

Les lois universelles de la concurrence font donc disparaître à terme les profits de la redistribution politique, mécanisme inéluctable qui amène celle-ci à détruire l’équivalent de ce dont elle s’empare.

Et c’est parce que cela devient trop visible aujourd’hui que les nostalgiques du Front populaire, où l’illusion pouvait encore demeurer à ce sujet, ne croient plus aux lendemains qui chantent.

Face aux vaines destructions de la fausse solidarité forcée, demeurent les vraies solidarités, lesquelles constituent la société civile

Dans la réalité, on est solidaire lorsqu’on a des intérêts communs. Et cette solidarité-là est inhérente à la nature humaine, parce que nous ne pouvons éviter d’affronter ensemble toutes sortes de défis, qu’on nous les impose ou que nous ayons choisi d’y participer.

La solidarité par la nature

Aucun être humain ne peut naître ni survivre si au moins une personne n’identifie pas son bien propre avec le sien. L’humanité n’existerait pas sans cette solidarité, où chacun donne et reçoit à son tour en vertu des engagements et des affections qui constituent la famille, dont chacun reconnaît le maintien comme un véritable bien commun, à la fois parce qu’il en dépend, et parce qu’elle sert authentiquement chacun de ses membres singuliers, seuls êtres pour lesquels la notion de « bien » puisse avoir un sens.

Une autre forme de solidarité naturelle, celle-là imposée par les circonstances, lorsque le groupe fait face à un danger commun : chacun sait que la préservation de ses biens, voire de sa vie, dépend des engagements que chacun a pris pour la sauvegarde commune. Les experts militaires ne doutent pas que cette solidarité-là est inscrite dans les gènes, quand ils voient la force des obligations que ressent vis-à-vis des autres chaque membre d’un groupe de combat.

La solidarité par la raison

Quiconque voit ses semblables dans le besoin est capable de s’imaginer à leur place, comprenant qu’il pourrait bien un jour s’y retrouver ; c’est une raison de plus pour que, dans les groupes plus larges, des pratiques d’entraide se développent, qui peuvent à la longue se transformer en institutions traditionnelles : le Docteur Patrice Planté citait récemment les Hospices de Beaune [28] comme témoignage de cette entraide efficace et raffinée, et qui présente en outre cet autre aspect fréquent, qu’on retrouve dans les églises, de la solidarité sociale comme aspect secondaire d’une entreprise productive.

Cependant, on peut juger nécessaire de former des solidarités plus vastes encore, face à des défis de plus grande ampleur. C’est alors que se développent les contrats, engagements plus ou moins longs, plus ou moins formels, où chacun s’engage à fournir un service, et assumer avec lui une partie des aléas d’une organisation commune créée à cette fin. Ces innovations introduisent dans la solidarité un changement moral dans la mesure où, même s’il les inspire aussi, le sentiment y est moins nécessaire pour que cette solidarité existe : on aide les autres parce qu’on s’y est engagé, parce que c’est leur Droit, et parce qu’on reconnaît que c’est l’intérêt de tous.

La solidarité par le marché

On pense naturellement, parce que c’est là que c’est le plus clair, aux sociétés d’assurance mutuelle, organisées à partir du XVIIIe siècle pour mettre en oeuvre de nouvelles techniques de définition, de diversification et de réappropriation des risques.

On sait moins que les marchés organisés, dits « spéculatifs », jouent le même rôle : en découpant et en recomposant les droits de propriété, ils mettent au point des contrats ajustés aux besoins de chacun, en lui permettant de diversifier son risque, de l’échanger et de le gérer indépendamment de l’épargne.

On reconnaît encore moins que ce sont tous les marchés qui établissent cette solidarité entre les hommes, en les confrontant à une rareté commune, parce qu’ils mutualisent les aléas auxquels ils sont exposés.

Turgot [29], avec Cantillon [30] le plus grand économiste du XVIIIe siècle, avait bien compris que c’est en établissant la liberté du commerce et du stockage des grains qu’on ferait disparaître les pénuries et les disparités de prix dans l’espace et le temps, et avec elles la faim des hommes : car le spéculateur ne peut gagner que s’il achète où et quand le grain est abondant et bon marché, et vend où et quand il est rare et cher, et il n’a intérêt à s’arrêter que si les différences de prix dans l’espace et dans le temps ne reflètent plus que les coûts de transport et de stockage.

Turgot s’était heurté à l’époque à l’égoïsme criminel et stupide des monopoleurs ; le même égoïsme est à l’oeuvre aujourd’hui, notamment en matière d’emploi, et son masque est justement la « solidarité sociale » étatiste.

Les 35 heures ou la fausse solidarité à la place de la vraie

Pour que ceux qui ont un emploi se poussent assez pour admettre les chômeurs en leur sein, il leur suffirait de reconnaître qu’ en tant que membres, comme eux, de l’espèce humaine, ils ont le droit de proposer leurs services sans en demander la permission à d’autres que leurs éventuels employeurs. Ils trouveraient alors un emploi au prix d’une légère baisse générale des salaires, que l’approfondissement des échanges et autres progrès de la productivité inverseraient rapidement. Cependant, les étatistes ne veulent en aucun cas que l’on découvre une « solidarité sociale » qui passe par la liberté personnelle, et qui réussirait parce qu’elle les aurait déclarés, eux, inutiles et mêmes nuisibles : alors, à partir d’une glose arithmétique indigente sur des statistiques, ils ont imposé à la place un prétendu « partage du travail » qui n’a fait qu’aggraver les choses, en affaiblissant le zèle des cadres et le revenu des bas salaires, c’est-à-dire la production totale dont dépendent les vrais emplois.

Des tiers-mondistes démasquent une fausse solidarité et découvrent la vraie

En revanche, un des événements les plus encourageants de ces dernières années est que de nombreux tiers-mondistes se sont rendus compte que le protectionnisme des pays riches, imposé sous prétexte de protéger les « intérêts nationaux » (tous les partis tiennent à leurs fausses solidarités infligées par la force) interdisait aux pauvres de gagner leur vie : ils se sont mis à le dénoncer, et l’on voit des pays pauvres s’enrichir, parce que la libre concurrence a rendu les riches solidaires des pauvres par la reconnaissance mutuelle de leurs Droits.

Ce progrès semble bien parti, il se fait par à-coups, et d’autant plus difficilement dans les pays où les étatistes s’accrochent à leur pseudo-solidarité imposée, et accusent cette nouvelle et vraie solidarité de provoquer des pertes dont eux-mêmes sont la cause. En fait, l’enrichissement y est mutuel, aussi sûrement et certainement que la pseudo-« solidarité » forcée ne profite en fait à personne.

Si les tiers-mondistes, qui ont compté quelques fanatiques dans leurs rangs, finissent par découvrir la solidarité vraie, celle qui passe par la reconnaissance mutuelle des Droits, ne peut-on pas espérer que d’autres le fassent à leur tour ?

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