« Le Risque moral et la régulation des systèmes financiers » : différence entre les versions

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S'en accommoder,  alors qu'on a renoncé à prévoir,  en limitant les risques ou en les subissant contre une prime de risque (ce qui en soi limite la prise des risques),  ou les réduire en obtenant par des moyens de droit (on pense à la règlementation,  mais le contrat le fait bien mieux) que le comportement des autres soit plus prévisible.
S'en accommoder,  alors qu'on a renoncé à prévoir,  en limitant les risques ou en les subissant contre une prime de risque (ce qui en soi limite la prise des risques),  ou les réduire en obtenant par des moyens de droit (on pense à la règlementation,  mais le contrat le fait bien mieux) que le comportement des autres soit plus prévisible.
=2 LES MOYENS DE LA STABILISATION=
La stabilisation étant supposée possible et désirable,  il faut étudier les moyens de l'obtenir.
La tradition interventionniste prétend que les hommmes de l'état le font,  et sont les seuls à pouvoir le faire.  Ils le feraient soit par des prescriptions directes,  du genre règlementaire,  soit par des interventions sur les marchés,  avec l'argent qu'ils ont volé aux contribuables.
Ces deux modes de stabilisation méritent un traitement différent.
==2.1 La réglementation :== 
Les entraves artificielles que la règlementation impose nécessairement à la production et aux échanges (parce que l'intervention de l'état est faite d'actes de violence) appauvrissent tout le monde (cf.  l'"immense découverte" de Frédéric Bastiat,  qui reste l'article séminal sur l'équivalence économique d'une contrainte artificielle avec une contrainte naturelle).
Par ailleurs,  on doit reconnaître que si la règlementation rend plus prévisibles certains actes,  elle engendre par ailleurs de nouveaux risques :  elle est en effet imposée par des gens politiquement puissants (et ça aussi,  c'est encore vrai par définition) et il n'y a pas de raison pour que le rapport de forces qui a conduit à l'imposer ne la modifie pas à l'avenir de façon imprévisible.  Parmi ces risques,  les plus importants pour nous  sont de ''risque moral'' :  tous les efforts que font les hommes de l'état pour stabiliser le marché,  s'ils ont un effet,  conduiront à prendre plus de risques par ailleurs.
En effet,  à moins d'un pouvoir totalitaire  la règlementation ne concerne jamais toutes les formes possibles de prise de risque.  Si elle peut réduire la prise de risques dans une forme d'activité ou sur un marché particulier,  ''elle ne peut pas empêcher les gens d'augmenter leur risque dans les domaines qu'elle ne contrôle pas''.  Le résultat global sur la prise de risques personnels est que les hommes de l'état sont absolument impuissants à contrôler le niveau de risque auquel les gens s'exposent personnellement,  et qui est,  en dernière analyse,  le seul risque dont un économiste ait à se soucier . (3)
Il y a une forme d'intervention de l'état qui pourrait paraître justifiée :  ce qu'on observe dans les systèmes bancaires,  c'est que ''la règlementation s'est développée comme une contrepartie  à une garantie de liquidité ou de solvabilité "donnée" par les hommes de l'état''.  Par analogie,  on rappelle aussi qu'il est naturel qu'un contrat d'assurance prévoie que l'assureur puisse avoir un droit de regard sur les risques pris par ses clients après la signature du contrat.
Cependant,  la question reste  de savoir ''si contrat il y a'',  si la régulation doit être règlementaire ou contractuelle  et s'il est bon ou non qu'une garantie soit donnée par les hommes de l'état.
En effet,  les règlementations (imposées) contiennent nécessairement moins d'information pertinente que les modes de régulation contractuels :  tout d'abord,  ce qui distingue les règlementations publiques des règles de Droit acceptées volontairement par contrat,  c'est qu'elles'' violent nécessairement le consentement de quelqu'un''  (ceci est vrai par définition). 
L'information exclusive de celui dont cette violence étatique  oblitère le jugement  et nie la rationalité,  ne sera pas incorporée dans la décision alors qu'elle le serait si l'unanimité était respectée.  Par ailleurs,  comme les gens qui agissent ne peuvent pas,  du fait de la règlementation,  tirer personnellement parti de l'information qu'ils pourraient créer  (ceci est aussi vrai des hommes de l'état que de leurs victimes)  l'information que les uns et les autres auraient pu produire ne sera pas créée,  et les processus de création seront détruits. 
''La réglementation est donc nécessairement plus pauvre en information que le contrat''. (4)
Ensuite,  les décisions publiques sont,  sous peine d'arbitraire complet (arbitraires,  elles le sont déjà assez)  soumises à des contraintes qui n'ont rien à voir avec les problèmes à traiter,  du genre soumission à des organismes "représentatifs" ou garantie statutaire des personnels administratifs,  qui ''garantissent que des incompétents prendront part aux décisions'' (voir théories de la bureaucratie . (5)
==2.2 La "stabilisation" par l'achat et la vente sur les marchés par les hommes de l'état.==
Cette "stabilisation"  suppose que les hommes de l'état sachent ce qu'il faut faire,  et on peut prouver qu'ils ne peuvent pas le savoir,  aussi bien localement que globalement.
Localement,  les hommes de l'état interviennent comme s'ils étaient capables de savoir mieux que le marché quelle est la valeur "réelle" des actifs échangés.  Quand ils nationalisent,  par exemple,  pour jouer au Monopoly® avec les richesses des autres,  ils prétendent implicitement ''être mieux à même de prévoir que les personnes privées'',  c'est-à-dire qu'ils seraient de meilleurs spéculateurs que les capitalistes.
Nous pensons désormais pouvoir prouver que ''la seule instabilité liée à un risque moral est due à celui que crée l'irresponsabilité institutionnelle'' inhérente à l'intervention publique,  et non à des décisions personnelles dans un cadre de liberté des contrats.
L'intervention violente des hommes de l'état sous couvert de "stabilisation" pourrait réduire l'incertitude à certains égards et dans certains domaines.  Cependant,  elle ne pourra empêcher personne d'atteindre le niveau de risque qu'il recherche et donc de prendre toujours plus de risques.  En revanche,  ''elle crée toujours du risque moral et elle est la seule à faire que ce risque moral conduise à l'instabilité'' : 
Sur un marché libre,  l'expérience permet progressivement d'empêcher qu'un décideur qui dispose de l'argent des autres leur fasse subir plus de risques,  avec moins de contreparties qu'ils ne peuvent l'accepter.
En revanche,  ''l'action publique est nécessairement,  et par définition,  dans une certaine mesure institutionnellement irresponsable'' :  elle implique en effet par définition la violation du consentement de quelqu'un,  et donc la possibilité pour une personne d'en forcer une autre à subir les conséquences de ses décisions.  Cela veut dire qu'il est nécessairement possible à un agent public,  agissant ès qualités,  de forcer autrui à partager les risques de quelqu'un d'autre sans son consentement,  et donc sans contrepartie suffisante.  C'est le seul problème de risque moral véritable,  puisque dans les autres cas,  c'est-à-dire ''lorsque le Droit est respecté,  la solidarité est disciplinée et limitée par le consentement''.
L'intervention des hommes de l'état est donc la condition nécessaire et suffisante de l'existence du problème.  Il reste à en trouver l'illustration dans l'histoire économique et la solution dans la théorie monétaire.
Ce problème est bien réel et a conduit à des désordres spectaculaires.  La théorie autrichienne des crises documente minutieusement les interventions des hommes de l'état qui ont provoqué les crises financières du passé.  (cf Mises,  Hayek,  Rothbard,  Anderson...)  Quoique ce ne soit pas le matériau qui manque,  on peut toujours en chercher — et en trouver —  d'autres.  Quant à ce qui se passerait si les hommes de l'état cessaient d'intervenir,  on le sait aussi et pas seulement en principe :  après tout la banque libre a existé,  et a donné un exemple spectaculaire d'une stabilité et d'une prospérité inconnues ailleurs (ça ne nous surprendra pas).
Le problème se trouvera cependant résolu à son tour  lorsque l'inventivité des hommes et l'amortissement des investissements faits avant que l'intervention ne devienne une certitude  (les investissements qui ne peuvent lui échapper)  auront permis d'éviter les risques engendrés par la violence des hommes de l'état.  Donc si les hommes de l'état n'étaient pas eux-mêmes actifs et inventifs dans leurs prédations,  si on pouvait toujours prévoir parfaitement ce qu'ils vont faire,  même  par la force,  on pourrait prévoir,  à terme,  la disparition du problème qu'elle cause :  c'est une loi générale de l'interventionnisme que les effets de la violence d'Etat tendent à disparaître au cours du temps (6).  Cependant,  les hommes de l'état ne sont pas en reste et voudront bien entendu réagir en aggravant leurs interventions pour maintenir leurs effets. 
Ainsi,  chacun essaie de s'affranchir des contraintes que l'inventivité d'autrui crée pour son action,  et ces tentatives incessantes pour "se repasser le mistigri",  s'interprète  comme une instabilité naturelle.  Elle ne l'est en fait  que dans la mesure où il est "naturel" d'utiliser l'appareil politique pour voler ses semblables.
Il n'y a donc de problème d'instabilité liée au risque moral que du fait de l'intervention de l'état,  et les hommes de l'état créent l'instabilité,  qu'ils cherchent à stabiliser ou non.

Revision as of 18 June 2006 à 10:22

Par François Guillaumat, Institut Euro-92 et Georges Lane, Université Paris-IX Dauphine, 2002-2003

Ce texte vise à mettre en forme certaines réflexions sur l'incertitude. Notre expérience nous a convaincus que la praxéologie, réflexion conceptuelle systématique sur l'action humaine, permet d'y résoudre certains problèmes que l'approche scientiste, mathématique et pseudo-expérimentaliste, avait soulevés.


On parle traditionnellement de "risque moral" à propos du marché de l'assurance pour désigner un risque d'entreprise que les assureurs sont censés encourir parce que certains assurés, pour employer un terme cher aux juristes, adopteraient des conduites "pathologiques".

La théorie de l'assurance en déduit que ce "risque moral" compromettrait l'activité des assureurs, voire l'existence même du marché de l'assurance. Certains ont diagnostiqué un problème de stabilité qui lui serait associé, et qui mérite d'être élucidé.

La question se pose alors de savoir si le phénomène est général, et si l'on doit envisager qu'il existe un "risque moral" dans n'importe quelle forme de partage des risques, sur n'importe quel marché incertain. Dans ce cas, ou bien le marché aurait de la  peine à émerger alors, ou alors une fois apparu, il serait instable. Dans la mesure où on interpréterait ces phénomènes comme des "échecs du marché", on pourrait y voir une bonne raison pour que les hommes de l'état se chargent de trouver l'origine de ce risque moral, de savoir qui y est exposé, ou qui y échappe, pour mieux le faire disparaître.

Les lignes qui suivent se proposent de montrer que le risque moral ne pose pas de problème propre insurmontable dans un régime de liberté des contrats, qui justifierait une intervention des hommes de l'état. En revanche, elles expliquent qu'il engage ces derniers, désireux malgré tout de "stabiliser" le marché, dans un véritable "parcours du combattant" ou dans une "partie de mistigri" avec ses participants (offreurs et demandeurs), et que son effet principal est, contrairement à leur propos affiché, de créer le risque moral. et de l'aggraver

1 De la stabilisation possible et désirable d'un marché libre
2 Les moyens de la stabilisation
3 Risque moral et instabilité dans le cadre de la liberté des contrats
4 Objections résiduelles  ; sur le marché libre il est inutile de lutter contre le risque moral.

1 De la stabilisation possible et desirable d'un marché libre

L'idée de "stabiliser" un système financier, voire la notion d'"instabilité” elle-même, impliquent bien souvent, dans l'esprit de ceux qui s'en servent, plus de présupposés qu'ils n'en exposent formellement. Peut-être pourrait-on éviter des erreurs et des malentendus si on essayait de voir ce que signifient précisément ces notions, plutôt que de s'attacher directement à la fabrication de stabilisateurs supposés.

Avant de prétendre "stabiliser" le système financier, il faut en effet établir d'abord :

1.1 Ce qu'on entend par "instabilité"

En matière d'instabilité", on cite généralement la variation des taux de change, celle des taux d'intérêt, et celle des prix en monnaie. Le concept décrit en fait les changements des valeurs observées dans le passé, dont on pense qu'ils ont de fortes chances de se perpétuer à l'avenir. Les financiers parlent de "volatilité", terme emprunté à la physique, qu'ils associent à des grandeurs statistiques, telles que les écarts-types, calculées sur  certaines périodes.

1.2 Ce qu'est le risque et distinguer en particulier le risque associé à l'instabilité.

Au travers de la notion usuelle de "risque", on juge habituellement la variabilité des valeurs envisagées ; celle-ci implique que les intérêts de quelqu'un soient en jeu : il y a donc un jugement de valeur implicite. Le risque qu'on associe à l'instabilité tient à l'insuffisance de l'information qu'elle est censée engendrer. La variabilité imprévisible des valeurs a pour conséquence que l'on commet des erreurs, et celles ci sont par définition indésirables. Quand on parle de risque d'instabilité, on considère que la variabilité des valeurs qu'on prévoit dépasse ce qu'on jugeait acceptable, et c'est à ce moment là qu'on parle de "danger" ou de "risque".

Les hommes de l'état prétendent augmenter l'information disponible par leurs instances de planification et réduire les risques d'instabilité par leurs règlements.

1.3 Pourquoi l'instabilité n'est pas désirée :

A C'est essentiellement l'affaire d'une théorie de l'aversion au risque.

L'"aversion au risque" est un terme qui désigne un type particulier d'attitude face au risque, essentiellement une moindre valeur donnée aux objets de l'action risquée, toutes choses égales par ailleurs ; elle a l'inconvénient d'avoir été utilisée par des économistes mathématiciens qui raisonnent en termes de "fonctions d'utilité" et de "courbes d'indifférence", ce qui réduit la description des "états psychologiques" à des primaires irréductibles par l'analyse. Or si l'on accepte de raisonner dans les termes mêmes qu'utilisent ceux qui agissent, on peut y trouver des raisonnements de nature économique qui permettent d'aller plus avant dans cette analyse.

Il semble d'abord que si on admet une fois pour toutes que des propositions nécessairement vraies sont scientifiques (pace Karl Popper), on peut en faire une bonne axiomatique que ne démentirait pas l'expérience du réel. Von Mises l'a fait de la préférence temporelle dans Human Action, mais il l'a aussi fait de l'utilité marginale décroissante de toute action donnée. Or, comme le rappelle de Jasay dans L'État, l'utilité marginale décroissante du revenu équivaut à l'aversion pour le risque relative à ce revenu. (1)

Comment peut-on déduire l'aversion pour le risque de l'utilité marginale décroissante? Logiquement, on accorde plus de valeur à ce qu'on risque de perdre qu'à ce qu'on a des chances de gagner. Ainsi, il vient toujours un moment au cours de l'action où on donne une valeur à ce qui permet d'échapper au risque. Comme quelqu'un qui n'a aucune préférence pour le temps ou dont l'utilité marginale pour une action déterminée n'est pas décroissante, quelqu'un qui n'a aucune aversion pour le risque ne vit pas longtemps pour en parler.

B L'analyse en termes de coûts d'adaptation

Il y a d'autres explications possibles, qu'on peut juger concurrentes ou présenter comme les différentes lois de la réalité qui font que l'utilité marginale, justement, est décroissante:

On peut expliquer cela par les coûts d'information : si je gagne, je dois me demander que faire de ce gain. Si je perds, je dois aussi m'accommoder de cette perte. Cela expliquerait ces "anomalies" qui gênent tellement ceux qui veulent à toute force définir des "fonctions d'utilité". Il suffit par exemple que je considère l'argent joué au casino comme une dépense, et que j'aie donc parfaitement pris en compte la perte probable, pour que l'"aversion pour le risque" ne soit plus observable.

L'observation d'Allais (la "prime à la certitude") s'expliquerait de la même façon par le fait qu'on répugne à devoir se soucier d'un aléa, et qu'on est prêt à payer pour avoir la paix.

On peut comparer cela aux résultats de la psychologie expérimentale (Brehm 1966, 1981) selon lesquels une perte est plus fortement ressentie qu'un gain. Il l'a étudié d'une façon compatible avec des explications rationnelles (encore que certains automatismes de la pensée aient des apparences de déterminisme), particulièrement en ce qui concerne la recherche et l'utilisation de l'information (Cialdini, 1987) . (2)

Un autre coût capable d'expliquer l'aversion au risque est lié aux investissements. Il faudrait s'adapter à des pertes éventuelles. En effet certains investissements dépendent de conditions régulières d'exploitation et peuvent perdre de la valeur si elles sont perturbées. Il y a donc une perte éventuelle du fait que les investissements sont spécifiques et qu'on ne peut pas les liquider sans les détourner de l'utilisation qui leur donnait le plus de valeur.

Est-ce là une explication concurrente de celle des coûts d'information? Cette dernière dit tout simplement que lorsqu'une éventualité se réalise, dans un sens ou dans l'autre, il faut apprendre comment y faire face et que cela est coûteux. L'anticipation de ces coûts, voire les dispositions prises pour se préparer aux éventualités, affecte les jugements de valeur. La recherche d'information fait aussi partie des investissements spécifiques qui deviennent caducs si le risque se réalise .

En tous cas, pour notre sujet, cela nous permettra de déduire ce qe l'on considère comme un risque (d'où il vient), pour qui, et ce que l'on gagne à "prendre des risques" du fait que ça coûte quelque chose. Il faut que le risque soit identifiable.

1.4 Définir la stabilisation

La stabilisation est une intervention, ou un système d'interventions délibérées, qui vise à réduire la variabilité (ou pour reprendre une métaphore à la physique, la "volatilité"). On pense naturellement, dans notre siècle inflationniste, à une intervention violente des hommes de l'état. Mais il peut s'agir d'entrepreneurs privés qui s'organiseraient pour intervenir sur les marchés. C'est notamment le cas des cartels. Une question essentielle est de savoir si la stabilisation privée n'est pas suffisamment rémunérée pour rendre inutile celle des hommes de l'état (à supposer que cette dernière puisse tenir ses promesses).

1.5 Prouver que la stabilisation est désirable :

Sur le marché financier, les hommes de l'état ont cessé d'interdire le recours aux instruments de couverture qui permettent de réaliser un placement sans risque. Chacun y a donc le choix des risques qu'il prend, et de la rémunération qu'il recevra en conséquence (cf. toute la théorie financière actuelle). On peut se demander si vouloir la stabilisation, ce n'est pas demander à la fois le beurre et l'argent du beurre (et à qui), en demandant la rémunération du risque sans le subir.

1.6 Prouver que la stabilisation est possible.

Comme l'avenir dépend de l'information qui sera créée demain par les agents et de leurs décisions, les unes et les autres dépendant de leur libre-arbitre, il est très difficile à prévoir (cf. Karl Popper 1955). Si l'avenir est très difficile à prévoir, il n'y a que deux moyens d'y faire face:

S'en accommoder, alors qu'on a renoncé à prévoir, en limitant les risques ou en les subissant contre une prime de risque (ce qui en soi limite la prise des risques), ou les réduire en obtenant par des moyens de droit (on pense à la règlementation, mais le contrat le fait bien mieux) que le comportement des autres soit plus prévisible.


2 LES MOYENS DE LA STABILISATION

La stabilisation étant supposée possible et désirable, il faut étudier les moyens de l'obtenir.

La tradition interventionniste prétend que les hommmes de l'état le font, et sont les seuls à pouvoir le faire. Ils le feraient soit par des prescriptions directes, du genre règlementaire, soit par des interventions sur les marchés, avec l'argent qu'ils ont volé aux contribuables.

Ces deux modes de stabilisation méritent un traitement différent.

2.1 La réglementation :

Les entraves artificielles que la règlementation impose nécessairement à la production et aux échanges (parce que l'intervention de l'état est faite d'actes de violence) appauvrissent tout le monde (cf. l'"immense découverte" de Frédéric Bastiat, qui reste l'article séminal sur l'équivalence économique d'une contrainte artificielle avec une contrainte naturelle).

Par ailleurs, on doit reconnaître que si la règlementation rend plus prévisibles certains actes, elle engendre par ailleurs de nouveaux risques : elle est en effet imposée par des gens politiquement puissants (et ça aussi, c'est encore vrai par définition) et il n'y a pas de raison pour que le rapport de forces qui a conduit à l'imposer ne la modifie pas à l'avenir de façon imprévisible. Parmi ces risques, les plus importants pour nous sont de risque moral : tous les efforts que font les hommes de l'état pour stabiliser le marché, s'ils ont un effet, conduiront à prendre plus de risques par ailleurs.

En effet, à moins d'un pouvoir totalitaire la règlementation ne concerne jamais toutes les formes possibles de prise de risque. Si elle peut réduire la prise de risques dans une forme d'activité ou sur un marché particulier, elle ne peut pas empêcher les gens d'augmenter leur risque dans les domaines qu'elle ne contrôle pas. Le résultat global sur la prise de risques personnels est que les hommes de l'état sont absolument impuissants à contrôler le niveau de risque auquel les gens s'exposent personnellement, et qui est, en dernière analyse, le seul risque dont un économiste ait à se soucier . (3)

Il y a une forme d'intervention de l'état qui pourrait paraître justifiée : ce qu'on observe dans les systèmes bancaires, c'est que la règlementation s'est développée comme une contrepartie à une garantie de liquidité ou de solvabilité "donnée" par les hommes de l'état. Par analogie, on rappelle aussi qu'il est naturel qu'un contrat d'assurance prévoie que l'assureur puisse avoir un droit de regard sur les risques pris par ses clients après la signature du contrat.

Cependant, la question reste de savoir si contrat il y a, si la régulation doit être règlementaire ou contractuelle et s'il est bon ou non qu'une garantie soit donnée par les hommes de l'état.

En effet, les règlementations (imposées) contiennent nécessairement moins d'information pertinente que les modes de régulation contractuels : tout d'abord, ce qui distingue les règlementations publiques des règles de Droit acceptées volontairement par contrat, c'est qu'elles violent nécessairement le consentement de quelqu'un (ceci est vrai par définition).

L'information exclusive de celui dont cette violence étatique oblitère le jugement et nie la rationalité, ne sera pas incorporée dans la décision alors qu'elle le serait si l'unanimité était respectée. Par ailleurs, comme les gens qui agissent ne peuvent pas, du fait de la règlementation, tirer personnellement parti de l'information qu'ils pourraient créer (ceci est aussi vrai des hommes de l'état que de leurs victimes) l'information que les uns et les autres auraient pu produire ne sera pas créée, et les processus de création seront détruits.

La réglementation est donc nécessairement plus pauvre en information que le contrat. (4)

Ensuite, les décisions publiques sont, sous peine d'arbitraire complet (arbitraires, elles le sont déjà assez) soumises à des contraintes qui n'ont rien à voir avec les problèmes à traiter, du genre soumission à des organismes "représentatifs" ou garantie statutaire des personnels administratifs, qui garantissent que des incompétents prendront part aux décisions (voir théories de la bureaucratie . (5)

2.2 La "stabilisation" par l'achat et la vente sur les marchés par les hommes de l'état.

Cette "stabilisation" suppose que les hommes de l'état sachent ce qu'il faut faire, et on peut prouver qu'ils ne peuvent pas le savoir, aussi bien localement que globalement.

Localement, les hommes de l'état interviennent comme s'ils étaient capables de savoir mieux que le marché quelle est la valeur "réelle" des actifs échangés. Quand ils nationalisent, par exemple, pour jouer au Monopoly® avec les richesses des autres, ils prétendent implicitement être mieux à même de prévoir que les personnes privées, c'est-à-dire qu'ils seraient de meilleurs spéculateurs que les capitalistes.

Nous pensons désormais pouvoir prouver que la seule instabilité liée à un risque moral est due à celui que crée l'irresponsabilité institutionnelle inhérente à l'intervention publique, et non à des décisions personnelles dans un cadre de liberté des contrats.

L'intervention violente des hommes de l'état sous couvert de "stabilisation" pourrait réduire l'incertitude à certains égards et dans certains domaines. Cependant, elle ne pourra empêcher personne d'atteindre le niveau de risque qu'il recherche et donc de prendre toujours plus de risques. En revanche, elle crée toujours du risque moral et elle est la seule à faire que ce risque moral conduise à l'instabilité :

Sur un marché libre, l'expérience permet progressivement d'empêcher qu'un décideur qui dispose de l'argent des autres leur fasse subir plus de risques, avec moins de contreparties qu'ils ne peuvent l'accepter.

En revanche, l'action publique est nécessairement, et par définition, dans une certaine mesure institutionnellement irresponsable : elle implique en effet par définition la violation du consentement de quelqu'un, et donc la possibilité pour une personne d'en forcer une autre à subir les conséquences de ses décisions. Cela veut dire qu'il est nécessairement possible à un agent public, agissant ès qualités, de forcer autrui à partager les risques de quelqu'un d'autre sans son consentement, et donc sans contrepartie suffisante. C'est le seul problème de risque moral véritable, puisque dans les autres cas, c'est-à-dire lorsque le Droit est respecté, la solidarité est disciplinée et limitée par le consentement.

L'intervention des hommes de l'état est donc la condition nécessaire et suffisante de l'existence du problème. Il reste à en trouver l'illustration dans l'histoire économique et la solution dans la théorie monétaire.

Ce problème est bien réel et a conduit à des désordres spectaculaires. La théorie autrichienne des crises documente minutieusement les interventions des hommes de l'état qui ont provoqué les crises financières du passé. (cf Mises, Hayek, Rothbard, Anderson...) Quoique ce ne soit pas le matériau qui manque, on peut toujours en chercher — et en trouver — d'autres. Quant à ce qui se passerait si les hommes de l'état cessaient d'intervenir, on le sait aussi et pas seulement en principe : après tout la banque libre a existé, et a donné un exemple spectaculaire d'une stabilité et d'une prospérité inconnues ailleurs (ça ne nous surprendra pas).

Le problème se trouvera cependant résolu à son tour lorsque l'inventivité des hommes et l'amortissement des investissements faits avant que l'intervention ne devienne une certitude (les investissements qui ne peuvent lui échapper) auront permis d'éviter les risques engendrés par la violence des hommes de l'état. Donc si les hommes de l'état n'étaient pas eux-mêmes actifs et inventifs dans leurs prédations, si on pouvait toujours prévoir parfaitement ce qu'ils vont faire, même par la force, on pourrait prévoir, à terme, la disparition du problème qu'elle cause : c'est une loi générale de l'interventionnisme que les effets de la violence d'Etat tendent à disparaître au cours du temps (6). Cependant, les hommes de l'état ne sont pas en reste et voudront bien entendu réagir en aggravant leurs interventions pour maintenir leurs effets.

Ainsi, chacun essaie de s'affranchir des contraintes que l'inventivité d'autrui crée pour son action, et ces tentatives incessantes pour "se repasser le mistigri", s'interprète comme une instabilité naturelle. Elle ne l'est en fait que dans la mesure où il est "naturel" d'utiliser l'appareil politique pour voler ses semblables.

Il n'y a donc de problème d'instabilité liée au risque moral que du fait de l'intervention de l'état, et les hommes de l'état créent l'instabilité, qu'ils cherchent à stabiliser ou non.