Superstition de la "science"

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par François Guillaumat

Comment le socialisme falsifie la méthode expérimentale

Quand il s'agit quand de la vie de l'homme, quand il s'agit de bien et de mal, il n'existe aucune science expérimentale qui se spécialiserait dans la connaissance du mal et aucune classe de techniciens qui puisse résoudre les problèmes de l'homme.
La pire des illusions du XXe siècle est qu'il existerait une science de la société -- sociologie, psychologie, science politique, criminologie -- qui pourrait produire dans la société l'équivalent de la guérison du rhume. Vous pouvez compter le nombre des homicides commis, corréler ces nombres-là avec des statistiques sur l'emploi, l'inflation, la température moyenne, les dépenses d'enseignement, et vous n'obtiendrez toujours rien.
Oh, il y a bien quelque frisson superstitieux à réciter un blabla qui nous donne l'illusion du pouvoir -- mais aucune de ces formules statisticiennes ne nous rapproche si peu que ce soit de la nature du bien ou du problème du mal. […] les seules sciences qui puissent nous aider ne sont pas les "nouvelles" disciplines calquées sur une analogie avec les sciences de la nature (erreur contre laquelle Aristote mettait déjà en garde), mais les très anciennes sciences de la philosophie morale et de la théologie, et si qui que ce soit prétend à un statut d'expert en la matière parce qu'il a un diplôme de vaudou ou de sociologie, il y a lieu de ne tenir compte d'absolument aucune de ses paroles. Les graphiques barres et les courbes en cloche sont à peu près aussi utiles que des aiguilles dans des statuettes de cire, et leur efficacité dépend entièrement de la crédulité de la victime […] c'est une injustice que de demander à un sociologue de comprendre le mal. C'est le métier d'un prêtre, ou celui d'un poète
Thomas Fleming [1].


Pour bafouer les règles de la morale et du droit, l'utopie révolutionnaire a toujours voulu les nier au nom d'une forme de connaissance prétendument "supérieure".

Avant le XVIème siècle, cette imposture prétendait s'autoriser de gnoses religieuses, dénaturations du christianisme [2]. Après la mise au point de la méthode expérimentale, c'est désormais la "science" que le socialisme falsifie à ses propres fins [3].

Si on veut juger la morale socialiste pour ce qu'elle vaut, il vaut mieux comprendre tout de suite sur quels erreurs -- pour ne pas dire sur quels mensonges elle repose. Jusqu'alors, comme disait Rothbard,

la raison humaine [c'est-à-dire la preuve logique, était] la voie royale de la connaissance encensée par la Philosophie classique, des Grecs aux Scolastiques [en matière de règles sociales] la doctrine classique [était que] la raison, en examinant la loi naturelle, découvre les normes de l'Ethique [4].

Le scientisme n'en était moins une tentation irrésistible dès lors qu'on avait mis au point la nouvelle méthode : on peut imaginer quelle libération c'était de pouvoir dépasser l'autorité d'Aristote dans les sciences physiques, et quelle sorte de supériorité automatique cela donnait [5]. Or, un sentiment de supériorité est une des choses que recherchent les intellectuels. Et justement, les postulats heuristiques de l'expérimentalisme et du déterminisme volaient de succès en succès dans les sciences de la nature. Ils déplaçaient constamment les limites de la régularité identifiable : il a pu sembler à certains qu'aucune autre méthode n'était meilleure.

Il est vrai que, si l'anthropomorphisme est anti-scientifique quand on traite d'objets inanimés, il pourrait bien l'être un peu moins quand il s'agit d'action humaine intentionnelle. Mais les êtres humains aussi sont des objets matériels, et en tant que tels sont soumis aux lois de la nature (pour reprendre l'exemple de Rothbard, essayez seulement de voler jusqu'à la Lune en battant des bras). Il était donc compréhensible que l'on cherche à appliquer les méthodes des sciences physiques à l'étude de la société. Et même si la prévision économique "scientifique" affiche des résultats accablants, cela ne fournit pas la "preuve" empirique que celle-ci ne pourra jamais marcher [6].

Cependant les puissants, qui avaient besoin, comme toujours, de donner les raisons pour lesquelles soi-disant, ils ne seraient pas soumis aux mêmes règles que les autres ne pouvaient qu'accueillir favorablement les disqualifications à la Machiavel de la morale et du droit.

Comme le disait Rothbard de sir Francis Bacon (1561-1626), apôtre d'une des premières moutures de cette "nouvelle" théorie de la connaissance, qui consistait essentiellement à balancer par-dessus bord la tradition de la pensée occidentale au profit d'une accumulation à l'infini de n'importe quels faits :

Il fallait à l'Etat […] une nouvelle position de repli, une position qui soit plus dans la note de la nouvelle mode de la "science" et du progrès "scientifique".
Il se trouvait que le "réalisme scientifique" de Francis Bacon était parfaitement approprié à ce nouveau programme. L'idée suivant laquelle le roi était quasi divin ou recevait de Dieu une sorte d'imprimatur n'allait plus marcher. Sir Francis Bacon au service de l'Etat ressemblait bien davantage au "spécialiste de science politique" préfiguré par Machiavel [7].

Et comme par hasard, L'Encyclopédie, grand manifeste des Lumières françaises, avait encore, plus d'un siècle plus tard, l'extravagance de présenter le même Francis Bacon comme "le plus grand, le plus universel et le plus éloquent des philosophes".


La pétition de principe pseudo-expérimentaliste

Disqualifier la philosophie morale au profit d'une expérimentation prétendue est donc le nouveau slogan, dont la version contemporaine s'appelle le positivisme [8] : il affirme qu'on n'a aucun moyen de prouver un fait ou une théorie, à moins d'imaginer et de réaliser une expérience concrète, qui puisse les confirmer ou les réfuter : ce qu'on appelle une expérience cruciale.

Or, cette exigence-là disqualifie automatiquement, exclut d'emblée de la science, c'est-à-dire nie par principe comme connaissance vraie, toute ce qui est prouvé par la seule logique. Il faut bien comprendre que cela veut dire que des évidences du type 2 + 2 = 4, ce ne serait pas scientifique, qu'on ne pourrait pas dire que cela décrit la réalité. Et plus généralement toute évidence dont on ne peut même pas imaginer qu'elle soit fausse, n'appartiendrait pas à la science. Oui, c'est bien ça que cela veut dire, refuser la preuve philosophique au nom de la science expérimentale. C'est pourquoi on a bien le droit de se méfier quelque peu de ce parti pris-là. Comme le dit Hans-Hermann Hoppe :

Il n'est certainement pas évident que, sous prétexte qu'elle ne se prêtent à aucune réfutation par l'expérience (ou plutôt parce que leur validité est indépendante de l'expérience), la logique, les mathématiques, la géométrie, et certains énoncés de la théorie économique pure, comme la loi de l'offre et de la demande, ou la définition monétaire de l'inflation, ne nous livreraient aucune information sur la réalité mais ne seraient qu'ergotage sur les mots. C'est le contraire qui semble bien plus plausible : à savoir que les propositions avancées par ces disciplines -- par exemple une proposition géométrique du type
"si une droite D et un cercle C ont plus d'un point commun, alors D a exactement deux points communs avec C",
ou un énoncé plus étroitement lié au domaine de l'action dont je m'occupe ici, du genre "On ne peut pas avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre" -- nous informent en fait bel et bien sur le réel et même sur ce qui ne peut absolument pas ne pas être sous peine de contradiction [9]. Si j'avais l'argent du beurre et que je l'aie dépensé pour acheter le beurre, on peut en déduire que cet argent-là, je ne l'ai plus -- et c'est évidemment une conclusion qui nous informe sur la réalité, et dont on ne peut pas imaginer qu'elle soit réfutée par l'expérience.

Ce positivisme, ce pseudo-expérimentalisme aurait donc dû reposer donc sur des preuves bien décisives pour qu'il domine à ce point à l'époque présente.


La pétition de principe pseudo-expérimentaliste est contradictoire

Or, en fait de preuve, il n'y en a aucune : cette définition de la seule science acceptable, de la seule connaissance valide, on ne peut pas directement la vérifier en la confrontant avec des faits quelconques. C'est-à-dire qu'on ne peut pas du tout l'établir par l'expérience, par le seul moyen de preuve qu'elle-même accepte de reconnaître. C'est donc qu'elle se contredit, qu'elle se réfute elle-même. C'est d'ailleurs un des signes les plus sûrs d'une fausse pensée que ses adeptes ne peuvent même pas se l'appliquer à eux-mêmes sans contradiction (nous retrouvons là notre bonne vieille contradiction pratique, si pratique en effet).

Au contraire, c'est la science expérimentale qui dépend de la preuve logique.

C'est bien au contraire la démarche expérimentale qui a besoin de la logique, et c'est d'ailleurs bien pour cela que ce sont les héritiers de la scolastique qui l'ont mise au point, à partir de ses réflexions. En effet, toute démarche expérimentale est obligée de supposer a priori -- donc avant toute expérience -- que ce qu'on observe ne change pas tout seul, sans prévenir, d'un instant à l'autre de l'observation ; que tout effet a une cause, et en fait que les mêmes causes ont toujours les mêmes effets. La recherche expérimentale, dite "scientifique", repose bel et bien sur ce postulat déterministe, cette "régularité"-là : à moins qu'on ne tienne que tout ce qu'elle étudie est soumis à des lois qui ne changent jamais, on ne peut dire d'aucune expérience qu'elle "confirme" ou "réfute" une hypothèse. Mais cela, on ne peut le prouver que logiquement, c'est-à-dire par cette preuve philosophique que le scientisme socialiste voudrait tant rejeter.

En somme, comme le disait Hans-Hermann Hoppe :

"L'expérience ne peut pas l'emporter sur la logique. C'est le contraire qui est vrai. C'est la logique qui améliore l'expérience et qui nous dit quel est le type d'expérience qu'il nous est possible d'avoir et lesquelles sont au contraire le produit de la confusion intellectuelle, et qu'on fera donc bien d'appeler des "rêveries" ou des "fantaisies" plutôt que les prendre pour des "expériences" de la réalité [10]."


L'alibi du déterminisme

Puisque la science ne disqualifie pas la preuve logique mais en dépend, cela suffit-il pour que les idolâtres du pouvoir renoncent à s'en servir contre la morale et le droit ? Eh bien non. Contre eux, ils invoquent aussi ce principe même de régularité, ce principe déterministe, dont nous venons de voir qu'ils méconnaissent son fondement philosophique.

"Puisqu'il n'y a de science qu'expérimentale", disent-il, "et puisque le déterminisme est le point de départ de la science, alors les êtres humains sont déterminés. S'ils croient pouvoir penser et agir librement, ils se trompent. En réalité, ils ne sont que le jouet de forces extérieures, que nous allons nous, vrais savants, élucider, à la fois pour prévoir et diriger leur comportement."
"Quant à la morale et au droit, ils ne peuvent pas exister, puisqu'ils partent du principe que l'homme est capable de choisir, alors qu'il ne s'agit là que d'une illusion. On a donc prouvé qu'ils ne valent rien, que les obscurantistes qui y tiennent encore méprisent les conditions de la connaissance vraie, et qu'il faut les remplacer par une attitude véritablement scientifique, qui consiste à ne jamais porter de jugement de valeur."


Les contradictions du déterminisme

Heureusement que nous venons de réhabiliter la logique, cela va nous permettre d'examiner ce discours-là à la lumière de notre (déjà) bon vieux critère de la contradiction pratique.

Car ne voyons-nous pas que ces gens-là font la morale aux autres, au nom d'une science qui, soi-disant, aurait disqualifié la morale en prouvant que la science ne peut rien nous dire de la morale ? (Si vous avez de la peine à comprendre cette phrase, rassurez-vous, ce n'est pas votre faute c'est la leur : il est difficile d'empiler de la sorte autant de contradictions et de rester en même temps intelligible).

On voit qu'ils ne peuvent même pas nier la possibilité de la morale sans se servir des mots qui impliquent son existence. Dire qu'il faut disqualifier les obscurantistes qui croient encore à la morale suppose que les gens aient le choix de le faire ou de ne pas le faire : contradiction. Dire qu'ils méconnaissent, prétendument, les conditions de la connaissance vraie implique que la science ne peut pas se passer de norme : re-contradiction. Et si les soi-disant "scientifiques" doivent la remplacer c'est donc bien parce qu'elle est nécessaire : re-re-contradiction ; et si eux-mêmes se proposent d'inventer une nouvelle norme, c'est bien qu'ils peuvent créer une nouvelle information, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas eux-mêmes déterminés : re-re-re-contradiction.

Or, c'est justement ce que la philosophie a prouvé : outre la régularité des phénomènes naturels, une deuxième condition toute aussi logiquement nécessaire s'impose à la science expérimentale, c'est comme je l'ai déjà dit que l'homme soit capable de penser, c'est-à-dire que l'action humaine y échappe, justement, à ce déterminisme.

En outre si l'homme y échappe, et même s'il est seulement capable d'apprendre, alors l'action humaine dépend des informations de ceux qui agissent. Or, celles-ci par hypothèse changent tout le temps, de sorte que la science ne peut plus postuler que les même causes constatables y conduisent aux mêmes effets observés. Comme le dit Hans-Hermann Hoppe :

"s'il est possible d'apprendre de l'expérience […], alors on peut pas savoir, à aucun moment, ce qu'on saura par la suite et comment on agira sur la base de cette information [11]."

Et par conséquent, la méthode expérimentale, dite "scientifique", ne peut littéralement pas marcher si on l'applique aux actes humains, qui dépendent de nos connaissances et de notre initiative : les relations causales stables qu'on aura pu découvrir ne seront jamais que le reflet des nécessités logiques de l'action, et jamais on ne pourra prévoir ni contrôler "scientifiquement" les actes d'autrui.

Le principe de régularité, rappelle Hoppe, peut et même doit être supposé dans le domaine des objets naturels, c'est-à-dire pour des phénomènes qui ne sont pas constitués de notre propre connaissance ni d'actions manifestant cette connaissance. En revanche, pour ce qui est de la connaissance et de l'action […] le principe de régularité ne peut pas être valide […] de sorte que c'est le dualisme méthodologique, et non le monisme que l'on doit accepter et admettre comme absolument vrai a priori [12].

En somme, s'il est possible de savoir quelles causes ont quels effets dans le domaine de la connaissance et de l'action, si on peut y établir des lois, y repérer des nécessités, ce ne peut pas être à partir d'une démarche expérimentale quelconque mais uniquement grâce à la logique de l'action. Justement, ça tombe bien, on vient de la justifier contre le scientisme, qui voulait la mettre à la poubelle.

Une troisième et une quatrième condition, non moins nécessaires, dont nous avons déjà vu qu'il faut les admettre a priori avant toute tentative pour argumenter scientifiquement, sont les conditions morale et politique de rechercher la vérité et de reconnaître la propriété naturelle. Difficile de concilier ces exigences-là avec un socialisme quelconque.

L'imposture du déterminisme

Nier que l'homme est capable de choisir implique qu'il ne puisse pas penser, ni apprendre, et donc pas faire non plus de découvertes scientifiques : or, il n'y a bien sûr absolument rien dans le discours, dans le vocabulaire ni dans la pratique des scientistes qui signale la moindre intention de seulement faire mine de tirer les conséquences pour eux-mêmes de ce déterminisme-là. D'ailleurs, le fait lui-même de le prôner présuppose qu'on d'adresse à des gens capables de penser et d'apprendre, et de changer volontairement d'avis. Ainsi, conclut Rothbard dans Economistes et charlatans [13] :

"Ainsi le déterministe, pour prôner sa doctrine, doit-il encore une fois se placer lui-même, avec sa théorie, en-dehors du domaine qu'il prétend universellement déterminé ; en somme, il doit avoir recours au libre arbitre. Que le déterminisme dépende ainsi de sa propre négation est d'ailleurs un exemple d'une vérité plus générale : qu'il est contradictoire de se servir de la raison pour démontrer que la raison ne permet pas d'accéder à la connaissance [14]."

Et c'est un autre exemple de ce que nous avons déjà dit de toute fausse pensée : un bon moyen de la repérer est qu'elle ne résiste pas à l'application de ses propres principes.

Nous avons donc trop longtemps supposé que le scientisme ne serait qu'une erreur de bonne foi : tout comme la fameuse "tolérance", le prétendu "refus de l'exclusion" ou le soi-disant "antiracisme", ceux qui s'en servent pour détruire la morale et le droit n'y croient pas, et n'ont jamais pris au sérieux pour eux-mêmes ce tissu de contradictions. Ils ne l'invoquent que pour intimider les autres : pour désarmer leurs adversaires et leurs victimes, intellectuellement et moralement… afin de les attaquer dans leurs possessions et leurs valeurs. Ils n'invoquent soi-disant la "science" que pour décréter eux-mêmes, dans l'arbitraire le plus pur, ce qu'on a le droit de dire ou de ne pas dire, de faire ou ne pas faire.


Conclusion

Nous avons successivement vu, et réfuté, deux grands falsifications de la science au profit du socialisme. Elles consistent à prétendre :

-- que rien de ce qui est logiquement prouvé, du genre 2 + 2 = 4 ou le fait qu'on ne peut pas avoir en même temps le beurre et l'argent du beurre, ne serait scientifique ; que la preuve philosophique ne vaudrait rien, et que seule la confrontation directe avec les faits de l'expérience serait un moyen de prouver ce qu'on avance.
-- Que l'homme serait déterminé, de sorte que la morale traditionnelle serait inapplicable, mais qu'on pourrait et devrait inventer une science sociale expérimentale qui permette de contrôler et de prédire le comportement social.

Permette… à qui  ? Eh bien, à la soi-disant "élite", qui aura accaparé tous les pouvoirs, comme si elle-même était mystérieusement exempte de ce déterminisme-là.

Que dire à des scientistes sincères ?

Il se peut que des savants adhèrent sincèrement aux pétitions de principe du pseudo-expérimentalisme, et n'aient pas encore compris que l'ambition des soi-disant "ingénieurs sociaux" socialistes foule aux pieds les conditions mêmes de la morale et du droit.

Pour ceux d'entre eux qui admettent encore le raisonnement logique, on peut résumer ainsi l'essentiel de l'argument : la politique scientiste commet une contradiction pratique [15] : elle ne peut proposer aucune règle pour l'action humaine parce qu'elle nie par hypothèse les conditions essentielles d'une telle entreprise.

Or, il devrait être évident même pour scientiste, qu'aucun modèle qui nie par hypothèse l'existence d'un phénomène ne peut être utilisé seul pour décrire, et encore moins pour juger, les conséquences de ce phénomène.

La science descriptive cherche à découvrir ce que sont les choses et comment elles se passent. Mais elle ne peut le faire sans admettre que les choses sont ce qu'elles sont, et pas autrement. Par conséquent aucune connaissance n'est valide si elle nie les nécessités de la logique, et notamment les présupposés nécessaires de sa propre recherche.

Le propos de l'analyse normative est de découvrir ce que l'homme doit faire et ne pas faire, ce qui implique qu'il peut découvrir et choisir effectivement l'action appropriée. Par conséquent, aucune norme de comportement ne peut être déduite de constructions intellectuelles qui ne laissent aucune place à la pensée, au libre arbitre et à un choix authentique chez les personnes envisagées.


Notes

[1] (Thomas Fleming, Chronicles, Janvier 1995, p. 11. Bizarrement, Chronicles est devenu depuis une sorte de défenseur des tyrans auxquels s'opposent les Etats-Unis, en commençant par Milosevic.
[2] Cf. Igor Chafarévitch, Le Phénomène socialiste. Le titre russe - Satsialyizm kak myiravayé yavlienyé ou ”Le socialisme comme phénomène universel” - était plus explicite à cet égard.
[3] Hayek a traité les tendances de l'intellectuel à faire du socialisme dans la première partie de sa Counter-Revolution of Science (1944), Traduite par Raymond Barre sous le titre : Scientisme et sciences sociales. Paris, Plon, 1952.
[4] "Prophet of 'Empiricism' : Sir Francis Bacon", pp. 292-295, Ch. 10 § 6 de Economic Thought Before Adam Smith, Edward Elgar, Aldershot, 1995.
[5] Avec tout son génie, ARISTOTE n’a pas fait trop de bien non plus à la théorie sociale, y introduisant deux erreurs majeures de raisonnement qui allaient mettre des millénaires à disparaître :
— l’idée selon laquelle on ne devait échanger que si les biens échangés avaient la même valeur (en fait, on échange, justement, parce qu’on donne plus de valeur à ce qu’on reçoit qu’à ce qu’on donne à cette occasion) ;
— l’idée suivant laquelle le prêt à intérêt sur l’argent serait contre nature “parce que l’argent ne fait pas de petits” (en fait, l’intérêt sur l’argent et la rentabilité des autres investissements n’ont qu’une seule et même cause : la préférence temporelle, qui déprécie les biens à venir par rapport aux biens actuels).
[6] La seule démonstration que nous en ayons est fournie par la logique, c'est-à-dire par le raisonnement philosophique. Par les Scolastiques, par exemple, en prouvant le libre arbitre (cf. infra).
[7] Rothbard a cependant trouvé une autre piste pour expliquer la négation par Bacon de la philosophie traditionnelle au profit d’une idolâtrie de l’État :
“La recherche récente a cependant comblé quelques-unes des lacunes de la position méthodologique de Bacon. Car il appert que l'"empirisme" tant vanté de l'intéressé n'était pas de la science ordinaire, oh non ! C'était le galimatias soi-disant empirique que divers auteurs de la Renaissance avaient rapetassé à partir de la prétendue ‘Sagesse des Anciens’.
"Le mysticisme de la Renaissance était une pseudo-science qui combinait la tradition magique et occultiste de la littérature hermétique avec une version christianisée de la Kabbale hébraïque.
"Un an après la mort de Bacon, on publia son utopie despotique, La Nouvelle Atlantide (1627). Bacon y proposait […] une Utopie dirigée par des despotes éclairés, et dans laquelle tous les hommes seraient heureux et contents. Le bonheur était atteint parce que le Péché d'Adam n'était pas, comme dans la tradition chrétienne, d'essayer d'en savoir trop et de devenir, en un sens, semblable à Dieu. Bien au contraire, la conception pseudo-mystique des hermétistes était que le Péché en question était d'avoir tourné le dos à la Sagesse des Anciens, qui aurait pu lui être révélée. Mais tout cela allait changer et l'homme serait heureux parce que des maîtres avisés, possesseurs de la Divine Connaissance, allaient désormais guider l'Homme vers Sa Perfection et Son bonheur en réalisant Sa Véritable Nature Divine.
"Dans le roman utopique de Bacon, les symboles dont il usait lourdement — tels qu'une croix ‘rose’ ou ‘rosée’ — révèlent la proximité de Bacon avec le mystérieux Ordre des Rose-Croix, récemment fondé. Celui-ci rajoutait aux vestiges de l'Ancienne Sagesse la pseudo-science de l'alchimie, dans laquelle l'Homme devient semblable à Dieu en participant à la Création de l'Univers.”
Rothbard donne ses sources :
“Pour un exposé fascinant de la manière dont Bacon avait "immanentisé" le sacré sous la forme de la pseudo-science de la [prétendue] Sagesse des Anciens, cf. Stephen A. McKnight, Sacralizing the Secular: the Renaissance Origins of Modernity (Baton Rouge, LA : L.S.U. Press, 1989), pp. 92-7. Cf. aussi Frances Yates, "Francis Bacon, 'Under the Shadow of Jehova's Wings", in The Rosicrucian Enlightenment (Londres, Routledge & Kegan Paul, 1972). Paolo Rossi, Francis Bacon: From Magic to Science (Chicago : University of Chicago, 1968)”.
[8] Cf. sur la position positiviste classique, A. J. Ayer, Language, Truth and Logic, New York, 1950 ; sur le prétendu "rationalisme critique" de Karl Popper, cf. sa Logic of Scientific Discovery, Londres, 1959 [Traduit en français sous le titre La Logique de la découverte scientifique] ; Conjectures and Refutations, Londres, 1969 [partiellement traduit comme Conjectures et réfutations] ; et Objective Knowledge, Oxford, 1973 [La Connaissance objective] ; pour des présentations caractéristiques du positivisme-empirisme comme étant la méthode appropriée de l'économie politique, cf. par exemple Mark Blaug, The Methodology of Economics, Cambridge, 1980 ; Terence Wilmot Hutchinson, The Significance and Basic Postulates of Economic Theory, London, 1958 ; et Positive Economics and Policy Objectives, London, 1964 ; et Politics and Philosophy of Economics, New York, 1981 ; aussi Milton Friedman, "The Methodology of Positive Economics," in: Essays in Positive Economics, Chicago, 1953 [Essais d'économique positive] ; H. ALBERT, Marktsoziologie und Entscheidungslogik, Neuwied, 1967.
[9] Sur ce sujet et sur ce qui suit, cf. A. Pap, Semantics and Necessary Truth, New Haven, 1958 ; M. Hollis and E. Nell, Rational Economic Man, Cambridge, 1975 ; Brand Blanshard, Reason and Analysis, La Salle, 1964.
[10] Hans-Hermann Hoppe : "The Socialism of Social Engineering and the Foundations of Economic Analysis", chapitre 6 de A Theory of Socialism and Capitalism. Auburn/Dordrecht/Boston : Ludwig von Mises Institute/Kluwer, 1989.
[11] "The Socialism of Social Engineering and the Foundations of Economic Analysis", chapitre 11 de : The Economics and Ethics of Private Property. Kluwer, 1993.
Curieusement, Karl POPPER, pourtant lui-même résolument pseudo-expérimentaliste, avait déjà dit l’équivalent dans Misère de l’historicisme (Paris, Plon, 1956), en faisant remarquer que l'histoire future, c'est-à-dire l'action à venir des hommes, sera forcément inspirée par des informations que personne ne peut encore posséder. Anthony de Jasay met cruellement le doigt sur cette contradiction dans “The Twistable Is Not Testable ; Reflexions (sic) On the Political Thought of Sir Karl POPPER”. Journal des Economistes, Volume 2, numéro 4, décembre 1991, pp. 499-512. Il y règle son compte au pseudo-expérimentalisme poppérien en posant la question qui tue :
“Mais alors, si l'historicisme n'a pas de fondement rationnel, comment est-il possible de jouer les ingénieurs sociaux ?”
[12] "Austrian Rationalism in the Age of the Decline of Positivism". Cf. aussi H. H. Hoppe, Kritik der kausalwissenschaftlichen Sozialforschung. Untersuchungen zur Grundlegung von Soziologie und Ökonomie, Opladen : Westdeutscher Verlag, 1983, particulièrement les pp. 30-32 ; sur le "dualisme méthodologique" cf. aussi Ludwig von Mises, Human Action : A Treatise on Economics, Chicago : Regnery, 1966, p. 18 [L'Action humaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1985] ; Theory and History : An Interpretation of Social and Economic Evolution, Auburn, Al. : Ludwig von Mises Institute, 1985, pp. 1-2 et 38-41 ; cf. aussi K. O. Apel, Die Erklären-Verstehen Kontroverse in transzendental-pragmatischer Sicht, Francfort/M.: Suhrkamp, 1979.
[13] “The Mantle of Science”, discours fait au symposium “Scientism and Values” organisé par Helmut Schoeck et James Wiggins en 1960, traduit comme le ch. 1 d’Économistes et charlatans.
[14] Rothbard cite sur ce point Ludwig von Mises, Theory and History, pp. 258-260 et Mises, Human Action (New Haven  : Yale University Press, 1949), pp. 74 et suiv. ; L’Action humaine, pp. 79 et suiv. On recommandera quand même aussi le meilleur livre de Mises sur ces questions, The Ultimate Foundation of Economic Science, Kansas City, Sheed Andrews & McMeel, 1978 (première édition en 1962).
[15] ce que Ayn Rand, dans sa terminologie particulière, appelait un vol de concepts.