Irresponsabilité institutionnelle

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L'Irresponsabilité institutionnelle est la situation dans laquelle se trouvent les hommes de l'Etat, dans la mesure où ils peuvent forcer les autres à subir à leur place les conséquences de leurs décisions.

L'illusion de la "régulation" par l'Etat

Pourquoi croit-on que l'État, ou plutôt les hommes de l'État, pourraient mieux résoudre les problèmes de la société que les gens directement concernés ?

Pourquoi n'admet-on pas que le critère du consentement, qui par définition tient compte de la rationalité des acteurs sociaux autant qu'il est humainement possible, est le seul moyen possible de réguler un système social ? Sur quoi repose cette croyance suivant laquelle l'Ersatz du contrôle étatique pourrait régler les problèmes au-delà de ce qui paraît a priori humainement possible ?

L'irréalisme des économistes mathématiciens

Deus ex machina

La première source d'erreur est apparemment une omission ; c'est celle des économistes mathématiciens, qui comptent pourtant dans leurs rangs certains des théoriciens de l'assurance les plus réputés, et qui traitent l'État, littéralement, comme un "deus ex machina" : c'est-à-dire qu'ils ne décrivent pas les actes des hommes de l'État comme ils le font des autres personnes, c'est-à-dire en termes de projets personnels, et de prise en compte des contraintes et des conséquences pour eux de leurs décisions. Au contraire, ils les traitent, ces hommes de l'État, comme si ceux-ci pouvaient tout faire, sans se demander comment ils accèdent à leurs positions de pouvoir et quelles limites la société politique oppose à l'arbitraire de leurs choix. Seuls les théoriciens des choix publics le font en partie, mais pour leur part sans décrire les effets de la rivalité politique jusqu'au bout de l'équilibre final prévisible.

L'information, comme la production, est coûteuse

Cette première omission des théoriciens conventionnels de l'assurance se renforce d'une autre, qui consiste à présenter le plus souvent au départ l'information comme si celle-ci était gratuite. Ils raisonnent même souvent comme si "on pouvait connaître" les jugements de valeur et les coûts tels qu'ils se forment dans la tête des gens, allant jusqu'à en donner une "représentation mathématique", ce qui contribue à faire perdre de vue que seule l'action peut les révéler.

Il considèrent sans doute que "l'État" pourrait sans peine "tout savoir" de ce qu'"il" a besoin de connaître parce qu'il peut forcer n'importe qui à lui livrer l'information et, à défaut, les moyens de l'acheter.

Or, la question qui est justement cruciale en l'espèce, c'est de savoir si les hommes de l'État ont intérêt à s'informer, et de quoi, dans la situation institutionnelle qui est la leur.

L'aveuglement naît de l'irresponsabilité

Dès que l'on veut bien examiner sérieusement les conditions dans lesquelles se prend la décision publique, on s'aperçoit que c'est un contresens que de considérer l'État comme pratiquement omniscient, puisqu'on doit conclure au contraire que lorsqu'elle est publique, la décision est forcément moins bien informée que si elle était privée.

On n'est pas responsable quand on est institutionnellement irresponsable

En effet, le décideur dit "public", par définition, est celui qui peut forcer les autres à subir à sa place les conséquences de certaines de ses décisions propres ; il est donc dans cette mesure institutionnellement irresponsable.

A ceux qui se récrient, répondant que sa formation, son recrutement et son éthique du bien commun rendent au contraire le décideur "public" plus responsable que n'importe qui, on doit rappeler que la responsabilité et l'irresponsabilité sont d'abord des relations réelles : on subit les conséquences de ses actes, ou on ne les subit pas ; la disposition d'esprit qu'on associe à l'une et à l'autre ne décrit que leurs effets sur le comportement.

La responsabilité est une contrainte réelle...

Il faut donc admettre - et c'est un aspect de ce que Ludwig von Mises rappelait à propos de la prétendue planification centrale en disant qu'on ne peut pas "jouer au marché" - qu'on n'est pas responsable... si on n'est pas responsable : c'est-à-dire qu'on ne va pas agir comme si on devait subir les conséquences de ses actes (donc chercher à les connaître et à les améliorer) si on ne s'attend pas à les subir effectivement. Que l'on s'attende ou non à ce que ce lien existe entre nos actes et leurs conséquences est un déterminant objectif de nos choix, qui ne peut pas plus manquer d'affecter leur réalité que deux et deux ne peuvent faire autre chose que quatre.

... dont dépend la régulation sociale

Et si on supprime ce lien, on détruit la régulation sociale, parce qu'on s'attaque à ce que les théoriciens des systèmes appellent une boucle de rétroaction, où celui qui agit s'informe des effets de son action pour la corriger et l'améliorer.

Dans la mesure où ils ne subissent pas les conséquences de leurs actes, les décideurs publics n'ont pas d'intérêt réel à résoudre les problèmes, a fortiori s'ils peuvent tirer prétexte de leur persistance pour développer leur pouvoir, et ils n'ont pas non plus intérêt à s'informer à la hauteur de l'enjeu pour la société, puisque l'enjeu pour eux est singulièrement différent de ce qu'il est pour les autres.

L'alibi électoral

La nécessité de se faire élire passe encore pour limiter l'irresponsabilité des certains hommes de l'État, mais elle en concerne une proportion toujours plus faible, et le "droit de vote" n'a aucune conséquence pratique pour l'individu : cela n'a rien à voir avec la responsabilité à 100 % et le contrôle total de ses choix par un propriétaire. Par conséquent, on ne saurait dire que le citoyen contrôlerait quoi que ce soit d'un système étatisé de partage des risques : sa raison d'être est au contraire de le priver, en tant que contribuable, de son pouvoir de décision en la matière. En outre la règle majoritaire peut impliquer un postulat de propriété collective de tous par tous, un principe d'esclavagisme universel, qui érigerait au contraire l'irresponsabilité en principe.

L'économiste mesure l'aveuglement des hommes de l'Etat

C'est pourquoi les occasions ne manquent pas de constater qu'en effet, malgré leur prétention technocratique à tout savoir mieux que les autres, les hommes de l'État en réalité savent rarement ce qu'ils font.

L'économiste observe tous les jours qu'ils ne connaissent des effets réels de leurs politiques que ce qu'ils veulent bien en connaître, de sorte que Michel Crozier pouvait dire qu'

"une organisation centralisée est une organisation où le centre ne sait rien de ce qui se passe à la périphérie".

L'illusion fiscale

Les politiques et les institutions ont bien d'autres effets que ceux que leur prêtent leurs promoteurs, c'est la leçon fondamentale de l'économie politique, on pourrait même dire sa raison d'être principale  : décrire les effets des politiques et des institutions que les politiques, institutionnellement irresponsables, ne voient pas. L'existence même du métier d'économiste, et sa nécessité, témoignent donc des ravages sur la conscience publique de l'irresponsabilité institutionnelle qui affecte les hommes de l'État.

En témoignent aussi les difficultés que l'économiste rencontre pour le faire comprendre, car cette irresponsabilité institutionnelle explique aussi pourquoi, de ce problème énorme, l'opinion n'a qu'une conscience parcellaire et transitoire.

La réflexion usurpée

En effet, lorsque les hommes de l'État s'emparent de la prise de décision, ils privent les autres des occasions d'y penser, et cela empêche de se rendre compte à quel point cette organisation pourrait être meilleure s'ils ne s'en mêlaient pas du tout : alors qu'ils ne sont pas obligés de s'informer à la hauteur de ses enjeux, et que par conséquent ils ne le font pas, les hommes de l'État paraissent souvent être les seuls qui réfléchissent à l'organisation de la société puisqu'ils sont désormais les seuls à pouvoir agir. Leur sentiment d'être les seuls à savoir ne leur vient que de ce qu'ils ont monopolisé le pouvoir de décision. Et ce sentiment de supériorité tient aussi à leur irresponsabilité institutionnelle, qui garantit qu'ils seront partiellement aveugles, puisqu'elle les dispense de regarder en face la plupart des pertes qu'ils infligent, aux autres, par leur ignorance et leur méchanceté : de sorte qu'ils ne sauront jamais à quel point ils se sont trompés, ni à quel point les destructions que l'on constate sont de leur fait.

L'accumulation des problèmes

C'est pourquoi on peut observer que si les problèmes insolubles s'accumulent - ce qu'on appelle les "problèmes de société", et qu'on ferait mieux d'appeler les calamités de l'étatisme, c'est à proportion de l'ingérence qu'on a laissé exercer aux hommes de l'État : parce que ceux-ci, qui auraient le pouvoir de régler ces problèmes, n'ont aucun intérêt réel à le faire, et que s'ils ont ce pouvoir, c'est pour l'avoir soustrait à ceux qui y sont confrontés.

L'illusion fiscale porte aussi sur la Loi de Bitur-Camember

Et ces destructions, ils n'en mesurent pas plus l'ampleur qu'ils ne s'en reconnaissent les auteurs.

Il se trouve qu'à ce titre, leur intervention introduit un facteur de ruine supplémentaire dans la société parce qu'elle viole les droits de propriété : cela y introduit le principe de la redistribution politique où, par définition, les puissants dépouillent les faibles (sous prétexte ou non de "solidarité") ; et cette redistribution politique-là, en fait, détruit tout ce dont elle s'empare : car ceux qui y opèrent sont prêts à y consacrer des ressources à la hauteur de l'enjeu, que ce soit pour y prendre aux autres ou pour leur échapper, et ces ressources-là sont perdues pour la satisfaction des besoins humains - c'est la Loi de la Destruction Totale ou Loi de Bitur-Camember.

Par conséquent ceux qui attendent de l'étatisme une forme de régulation en vue d'un allègement des charges se trompent du tout au tout : les hommes de l'État qui s'emparent ainsi de la décision sociale ne peuvent qu'y semer le désordre, et détruire la richesse dont ils s'emparent.